Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Le don de soi à la vie divine

Assomption de la Vierge Marie — 15 août 2024

Évangile selon saint Luc 1, 39-56

Les Évangiles parlent relativement peu de Marie. Essentiellement, dans ce qu’on appelle les Évangiles de l’enfance, dans le récit des noces de Cana et à la Crucifixion. C’est à peu près tout. On la retrouve ensuite dans les Actes des Apôtres ; Paul, quant à lui, n’en parle jamais.

Marie est surtout révérée pour son « oui » inconditionnel à l’inattendu de Dieu. Si on le regarde à la lumière de notre propre confiance en Dieu, peut-être pourrait-on passer à côté du côté tragique de ce « oui ». Nous avons tendance, et c’est bien naturel, à nous tourner en confiance vers Dieu pour trouver l’amour, la paix et la joie et si nous le suivons, nous les aurons. Mais sommes-nous aussi prêts à dire « oui » à Dieu pour les déchirements de cœur, les persécutions, les crucifixions ?

Le « oui » de Marie contient d’emblée un risque inouï. Sans doute est-elle fort jeune quand elle est promise en mariage à Joseph – 13 ou 14 ans tout au plus, l’âge nubile pour l’époque. Tomber enceinte alors qu’on n’est pas mariée signifiait alors la lapidation. Joseph l’aurait dénoncée qu’elle serait morte sous les pierres. Elle prend un risque colossal à accepter une grossesse inexpliquée. Sa confiance est sans mesure. Nous-mêmes, dirions-nous aussi spontanément « oui » à Dieu s’il s’agissait de mettre directement notre vie en jeu ?

C’est pourtant ce qu’il nous demande. A nous aussi. « Donne-moi ta vie », voilà ce que Dieu ne cesse de nous demander : « Donne-moi ta vie ». Il ne s’agit pas de courir au martyre : Marie n’est pas suicidaire quand elle accueille l’incroyable demande divine. Elle fait juste pleinement confiance en la promesse que Dieu lui fait : « Qu’il me soit fait selon ta parole » (Lc 1, 38).

Au-delà du risque assumé, mettons-nous un peu dans sa peau de mère qui enfante Dieu. Que ce passe-t-il quand on accueille en son sein, la plénitude incarnée de l’amour de Dieu ? Que se passe-t-il quand on éprouve en soi la vie divine ? Que se passe-t-il quand on tressaille d’allégresse ? Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment de l’extase, de bonheur absolu, de la joie qui emporte tout, qui fait dire « oui » à tout, malgré les risques ? Avez-vous déjà eu le cœur qui tressaille d’allégresse ? Peut-être à l’occasion d’une rencontre, d’une naissance, peut-être grâce au simple souvenir d’un être cher.

Vivre un moment la plénitude de l’amour, celle de la vie, c’est avoir l’âme qui exalte Dieu et l’esprit comme le corps qui exultent ; c’est se sentir heureux pour l’éternité ; le cœur contemplant des merveilles. Avez-vous déjà éprouvé ce sentiment de joie qui confine à l’extase ? Dans votre vie à tous, j’espère qu’il y a eu de ces moments de plénitude où le cœur, le corps, l’esprit et l’âme jubilent d’une joie profonde qui touche au divin.

Cette joie, cette plénitude de l’amour, il est possible de la vivre dans la seule relation avec Dieu. Voilà essentiellement le message du Magnificat. Il est possible que notre vie spirituelle soit constellée de ces tressaillements d’allégresse qu’éprouvent celles et ceux – les mystiques – qui accueillent en leur chair, la vie de Dieu. Marie est la première mystique. Et nous mettre à sa suite, c’est avant tout dire « oui » à l’incarnation en nous de la vie divine. Comme à Marie, Dieu nous dit : Donne-moi ta vie et, par toi, ma présence adviendra au monde. Laisse-moi pleinement prendre vie en toi.

A l’école de Marie, nous comprendrons aussi que la vie mystique n’est pas de tout repos ; qu’il faudra parfois aller rechercher Jésus au Temple ; que le vin des noces, comme à Cana, finira par manquer et qu’un miracle sera nécessaire pour nous restaurer dans la joie divine. Parfois, il nous faudra languir ; parfois il nous faudra nous inquiéter. Comme Marie, vivre la vie mystique, c’est accepter que toute joie vient d’abord et essentiellement de Dieu ; qu’elle est un don qui s’espère et se reçoit.

Enfin, il y a l’image de Marie au pied de la croix. Accueillir mystiquement la vie divine, c’est aussi s’apprêter à avoir – comme l’avait prophétisé Siméon – l’âme « traversée d’un glaive » (Lc 2, 35). Rechercher à incarner aujourd’hui la présence de Dieu, c’est aussi envisager qu’il faudra parfois se tenir debout au pied de la croix, le cœur déchiré de souffrances.

La vie mystique se partage entre ces deux extrêmes : entre tressaillements d’une joie véritable – celle de donner la vie de Dieu au monde – et douleur qui nous déchire les entrailles à chaque fois que l’amour en nous est crucifié. La vie mystique, c’est vivre autant des Magnificat que des Stabat Mater avec, entre deux, la confiance en Dieu.

La vie mystique c’est la vie de l’amour, à mesure qu’il est intense et qu’il touche au divin. Et ce peut être notre vie de tous les jours, une vie donnée à apporter au monde la présence de Dieu.

C’est à tous que Dieu dit « Donne-moi ta vie et tu m’enfanteras ».
« Qu’il me soit fait selon ta Parole. »

— Fr. Laurent Mathelot OP


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