par Guillaume Cuchet
Professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris Sorbonne
Spécialiste en histoire des religions
L’enquête sur les religions en France, effectuée par l’Insee, a donné lieu à un débat dans le journal « La Croix ». Voici des extraits de la réflexion de G. Cuchet parue ce 22 mai 2023.
L’enquête portait sur les années 2019-2020 : la comparaison avec la précédente en 2007-2008 est instructive. La première constatation est que les choses évoluent très rapidement depuis 12 ans…Les grandes tendances s’accentuent. La seule vraie nouveauté est la croissance spectaculaire des protestants évangéliques.
Hausse des sans-religion déclarés qui passent de 45 à 53 %. On est dans un processus classique de « sortie de la religion » tel que le décrivent depuis le 19ème s. les théoriciens de la sécularisation.
Déclin du catholicisme qui passe de 43 à 25 %, une quasi-division par deux en 12 ans ! La crise des abus sexuels a amplifié la tendance mais ne l’a pas créée. Ce n’est pas de déclin qu’il faut parler mais d’effondrement ; et nul ne peut dire à quel niveau se fera la stabilisation.
Forte montée des « autres chrétiens, de 2,5 à 9 %, surtout des protestants évangéliques.
Progression des Musulmans, de 9 à 11 %
Caractère de plus en plus identitaire et fervent du judaïsme – religion la plus « identitaire » de France.
Le bouddhisme reste stable : 0,5 %
L’enquête délivre des enseignements instructifs sur les moteurs du changement religieux en France.
L’immigration joue un rôle croissant.
Le taux de reproduction spirituelle des groupes (leur capacité à transmettre leurs convictions à la génération suivante : le meilleur est celui de l’islam : 91 % ; le moins bon celui du catholicisme : 67 % : mais celui des évangéliques est de 69 %
Efficacité du prosélytisme, capacité à faine des convertis. Elle est surtout évangélique
De toutes ces tendances, il ressort que le paysage religieux français au sens de répartition des cultes déclarés qui n’avait guère bougé dans ses grandes lignes depuis le XVIIème s. et qui avait résisté à la Révolution française, à la révolution industrielle, aux deux guerres mondiales, à l’effondrement de la pratique depuis les années 1960, est en train de changer profondément sous nos yeux.
En 1872, plus de 97 % des Français avaient répondu qu’ils étaient catholiques romains…Dans la nouvelle enquête ils ne sont plus que 25 % à le dire.
Dans ces conditions, il n’est pas sûr que le catholicisme reste encore longtemps la première religion du pays…Un déclassement annoncé qui, étrangement, suscite peu de commentaires dans l’Eglise, comme si les évêques, sonnés par la crise de abus sexuels, ne savaient plus qu’assister, muets et impuissants, à l’effondrement.
Guillaume Cuchet (extraits)
LIVRES :
- Comment notre monde a cessé d’être chrétien ( éd. Seuil)
- Le catholicisme a-t-il encore un avenir en France ? (id.)