par le Cardinal Mario Grech
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Note préliminaire : en latin maison se dit « domus ». Une Église domestique est donc une communauté chrétienne en famille.
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Vous avez parlé plus tôt d’une « nouvelle ecclésiologie » qui émerge de l’expérience forcée du confinement. Que suggère cette redécouverte de la maison ?
Cela suggère que l’avenir de l’Église est ici, à savoir, dans la réhabilitation de l’Église domestique et en lui donnant plus d’espace, une Église-famille composée d’un certain nombre de familles-Église. Telle est la prémisse valide de la nouvelle évangélisation, qui nous semble si nécessaire entre nous. Nous devons vivre l’Église au sein de nos familles.
… La grande Église communautaire est composée de petites Églises qui se rassemblent dans des maisons. Si l’Église domestique échoue, l’Église ne peut pas exister. S’il n’y a pas d’Église domestique, l’Église n’a pas d’avenir ! L’Église domestique est la clé qui ouvre des horizons d’espérance ! Dans les Actes des Apôtres, nous trouvons une description détaillée de l’Église domestique: « Jour après jour, alors qu’ils passaient beaucoup de temps ensemble dans le temple, ils rompaient le pain à la maison et mangeaient leur nourriture avec un cœur heureux et généreux » (Actes 2,46).
Dans l’Ancien Testament, la maison familiale était le lieu où Dieu se révélait et où la célébration la plus solennelle de la foi juive, la Pâque, était célébrée. Dans le Nouveau Testament, l’Incarnation a eu lieu dans une maison, le Magnificat et le Benedictus ont été chantés dans une maison, la première Eucharistie a eu lieu dans une maison, de même que l’envoi du Saint-Esprit à la Pentecôte. Au cours des deux premiers siècles, l’Église se réunissait toujours dans la maison familiale.
Récemment, l’expression « petite église domestique » a souvent été utilisée avec une note réductrice, peut-être involontairement… Cette expression aurait-elle pu contribuer à affaiblir la dimension ecclésiale du foyer et de la famille, si facilement comprise par tous, et qui nous paraît aujourd’hui si évidente ? Nous en sommes peut-être à ce stade à cause du cléricalisme, qui est l’une des perversions de la vie sacerdotale et de l’Église, malgré le fait que le Concile Vatican II ait restauré la notion de famille comme « Église domestique » en développant l’enseignement sur le sacerdoce commun.
… La théologie et la valeur de la pastorale dans la famille vue comme Église domestique ont pris un tournant négatif au IVe siècle, avec la sacralisation des prêtres et des évêques, au détriment du sacerdoce commun du baptême, qui commençait à perdre de sa valeur. Plus l’institutionnalisation de l’Église progressait, plus la nature et le charisme de la famille en tant qu’Église domestique diminuait.
Ce n’est pas la famille qui est subsidiaire à l’Église, mais c’est l’Église qui doit être subsidiaire à la famille. Dans la mesure où la famille est la structure fondamentale et permanente de l’Église, il convient de lui redonner une dimension sacrée et cultuelle, la « domus ecclesiae » (la maison Eglise). Saint Augustin et Saint Jean Chrysostome enseignent, dans le sillage du judaïsme, que la famille doit être un milieu où la foi peut être célébrée, méditée et vécue. Il est du devoir de la communauté paroissiale d’aider la famille à être une école de catéchèse et un espace liturgique où le pain peut être rompu sur la table de la cuisine.
Qui sont les ministres de cette « Église-famille » ? Pour saint Paul VI, le sacerdoce commun est vécu de manière éminente par les époux, armés de la grâce du sacrement du mariage. Les parents, donc, en vertu de ce sacrement, sont aussi les « ministres du culte », qui, pendant la liturgie domestique, rompent le pain de la Parole, prient avec elle et transmettent la foi à leurs enfants. Le travail des catéchistes est valable, mais il ne peut remplacer le ministère de la famille. La liturgie familiale elle-même initie les membres à participer plus activement et consciemment à la liturgie de la communauté paroissiale.
…Croyez-vous que la spécificité de ce « ministère » de la famille, des époux et de la relation conjugale peut et doit aussi avoir une importance prophétique et missionnaire pour toute l’Église ainsi que pour le monde ?
Bien que pendant des décennies, l’Église ait réaffirmé que la famille est la source de l’action pastorale, je crains qu’à bien des égards, cela ne soit devenu simplement une partie de la rhétorique de la pastorale familiale. Beaucoup ne sont toujours pas convaincus du charisme évangélisateur de la famille ; ils ne croient pas que la famille a une « créativité missionnaire ». Il y a beaucoup à découvrir et à intégrer.
J’ai personnellement vécu une expérience très stimulante dans mon diocèse avec la participation des couples et des familles à la pastorale familiale. Certains couples ont participé à la préparation du mariage ; d’autres accompagnaient les jeunes mariés au cours des cinq premières années de leur mariage. Les familles « sont appelées à poser leur marque dans la société, trouvant d’autres expressions de fécondité qui prolongent en quelque sorte l’amour qui les soutient. »
Un résumé de tout cela se trouve dans le Document final du Synode des Évêques sur le Famille: « La famille se constitue ainsi comme sujet de l’action pastorale à travers l’annonce explicite de l’Évangile et l’héritage de multiples formes de témoignage : solidarité avec les pauvres, ouverture à la diversité des personnes, soin de la création, solidarité morale et matérielle avec les autres familles, en particulier les plus nécessiteuses, engagement pour la promotion du bien commun à travers la transformation de structures sociales injustes, à partir du territoire dans lequel il vit, en pratiquant des œuvres de miséricorde corporelle et spirituelle. »
Une nouvelle vision de l’Église
… Le virus ne connaît pas de barrières. Si des égoïsmes individuels et nationaux sont apparus, il est vrai qu’il est clair aujourd’hui que sur terre nous vivons une fraternité humaine fondamentale. Cette pandémie doit nous conduire à une nouvelle compréhension de la société contemporaine et nous permettre de discerner une nouvelle vision de l’Église. On dit que l’histoire est un professeur qui souvent n’a pas d’élèves !
Précisément à cause de notre égoïsme et de notre individualisme, nous avons une mémoire sélective. Non seulement nous effaçons de notre mémoire les difficultés que nous causons, mais nous sommes également capables d’oublier nos voisins. Par exemple, dans cette pandémie, les considérations économiques et financières ont souvent pris le pas sur le bien commun. Dans nos pays occidentaux, bien que nous soyons fiers de vivre en régime démocratique, en pratique tout est conduit par ceux qui possèdent le pouvoir politique ou économique. Au lieu de cela, nous devons redécouvrir la fraternité.
Si l’on assume la responsabilité liée au Synode des Évêques, je pense que synodalité et fraternité sont deux termes qui s’appellent mutuellement. Dans quel sens ? La synodalité est-elle également proposée à la société civile ?
Une caractéristique essentielle du processus synodal dans l’Église est le dialogue fraternel. Dans son discours au début du Synode sur les jeunes, le Pape François a déclaré : « Le Synode doit être un exercice de dialogue avant tout entre ceux d’entre vous qui y participent. » Et le premier fruit de ce dialogue est que chacun s’ouvre à la nouveauté, au changement d’opinion, à se réjouir de ce que disent les autres. »
Par ailleurs, au début de l’Assemblée spéciale du Synode pour l’Amazonie, le Saint-Père a fait référence à la « fraternité mystique » et a souligné l’importance d’une atmosphère fraternelle parmi les pères synodaux, « en gardant la fraternité qui doit exister ici » et non la confrontation. À une époque comme la nôtre, où l’on assiste à des revendications excessives de souveraineté des États et à un retour d’une approche de classes, les sujets sociaux pourraient réévaluer cette approche « synodale », ce qui faciliterait une voie de rapprochement et une vision coopérative.
Comme le soutient Christoph Theobald, ce « dialogue fraternel » peut ouvrir une voie pour surmonter la « lutte entre intérêts compétitifs » : « Seul un sentiment réel et quasi-physique de « fraternité » peut permettre de surmonter la lutte sociale et de donner accès à une compréhension et une cohésion, certes fragiles et temporaires. L’autorité se transforme ici en « autorité de fraternité » ; une transformation qui suppose une autorité fraternelle, capable de susciter, par interaction, le sentiment évangélique de fraternité – ou “ l’esprit de fraternité ”, selon le premier article de la Déclaration universelle des droits de l’homme – alors que les tempêtes de l’histoire risquent de le balayer. »
Dans ce cadre social, les paroles clairvoyantes du Saint-Père résonnent fortement lorsqu’il a dit qu’une Église synodale est comme une bannière levée parmi les nations qui appelle à la participation, à la solidarité et à la transparence dans l’administration des affaires publiques, quand le monde au contraire place souvent le sort de tant de gens entre les mains avides de groupes au pouvoir étroit.
Dans le cadre d’une Église synodale qui « marche ensemble » avec les hommes et les femmes et participe aux travaux de l’histoire, nous devons cultiver le rêve de redécouvrir la dignité inviolable des peuples et la fonction de service de l’autorité. Cela nous aidera à vivre d’une manière plus fraternelle et à construire un monde pour ceux qui viendront après nous, qui soit plus beau et plus digne de l’humanité. »
NOTE : à méditer et à discuter entre baptisés.