Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Fête de l’Épiphanie – Année B – 3 janvier 2021 – Évangile de Matthieu 2, 1-12

Évangile de Matthieu 2, 1-12

Épiphanie : L’Étoile est née

Épiphanie : un mot un peu mystérieux, une fête qui ne signifie plus rien pour beaucoup. Sinon l’occasion de partager une succulente galette des Rois et avoir la chance de trouver la petite figurine enfouie dans la pâte. Pourvu qu’elle représente Messie (Lionel, la star du foot évidemment). Et être applaudi comme roi affublé d’une couronne de carton doré… La bouffe et le folklore ! Toute la richesse de la fête évangélique est aplatie à zéro. Essayons de la retrouver.

Les savants sous la ronde des étoiles

Étaient-ils trois ?..En tout cas ils n’étaient pas rois mais mages. Ce qui ne désigne pas des charlatans amateurs de tours mais de véritables savants de l’époque. Les plus célèbres, en Chaldée, du haut de la tour de Babel, observaient depuis des siècles les mouvements réguliers des étoiles. La voûte céleste n’envoyait-elle pas des messages des dieux ? Notre destinée n’était-elle pas tracée par les signes du zodiaque ? Les hommes étaient-ils les jouets des astres, les pantins soumis à la fatalité ? …La croyance est tenace et elle perdure dans notre société moderne puisque nombreux, même au plus haut niveau politique, me dit-on, sont ceux qui se précipitent pour connaître les prédictions sur les événements de l’année qui débute..

Un jour, une étoile nouvelle intrigua les mages : certains l’interprétèrent comme signe d’ une naissance royale dans le royaume de Judée et décidèrent de se mettre en route. Ils parvinrent à la capitale de ce royaume, Jérusalem, et se présentèrent donc au palais du roi Hérode. A leur grand étonnement, on leur déclara que nulle naissance n’avait eu lieu à la Cour. Mais on leur apporta le grand livre des Écritures, la Torah, où étaient consignées les prophéties des derniers siècles. C’est alors que les mages découvrirent une tout autre conception de l’histoire.

Chez eux, à Babel, ils guettaient, dans la ronde des étoiles, les signes d’un temps qui se répétait sans fin. Les dieux dictaient leurs volontés implacables et l’homme ne pouvait que s’incliner devant leurs décisions. Au contraire, la Torah d’Israël – que nous appelons la Bible – affirmait que l’histoire n’est pas cyclique mais qu’elle a un sens, et que si nous retombons toujours dans les tempêtes des malheurs, des trahisons et des guerres, un jour, Dieu, car il n’y en a qu’un, enverra un roi qu’il consacrera par son amour et qui apportera justice et paix. On l’appelle le Messie.

Les scribes royaux expliquèrent ainsi aux voyageurs que c’est précisément un mage païen, comme eux, dénommé Balaam qui avait jadis déclaré : « Je le vois mais ce n’est pas pour maintenant : Une étoile monte d’Israël… » (Nombres 23, 17). Plus tard le prophète Michée avait même précisé le lieu de naissance de ce Messie : « Et toi, Bethléem, tu n’es pas le plus petit des chefs-lieux de Juda car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître mon peuple Israël. Il sera grand jusqu’aux confins de la terre. Lui-même sera la paix » (Michée 5, 1).

Nos mages proposèrent donc de se rendre à ce village de Bethléem. On leur expliqua le chemin – à quelques km au sud de Jérusalem – mais le roi Hérode et ses prélats refusèrent de les accompagner. On peut très bien connaître les Écritures, faire de beaux commentaires sur la Parole de Dieu…et ne pas obéir à ce qu’elle dit. On reporte pour d’autres, dans l’avenir, les engagements que Dieu tout à coup demande pour aujourd’hui.

La découverte de l’Étoile véritable

L’étoile qu’ils avaient découverte à leur observatoire les guida et cela les remplit d’une très grande joie : signe qu’ils ne s’étaient pas trompés et qu’ils approchaient du but.

« Ils entrèrent dans la petite maison et virent l’enfant Jésus avec sa mère. Ils se prosternèrent devant lui et lui présentèrent leurs cadeaux : de l’or, de l’encens et de la myrrhe ».

Ainsi ce sont des païens, des étrangers, qui furent les premiers à venir à Jésus et à croire en lui. Ils avaient dû quitter leurs familles, leurs travaux pour se lancer dans un long voyage. Ils avaient dû scruter les messages mystérieux que le cosmos leur envoyait. Ils avaient dû se plonger dans la Torah juive pour y découvrir une nouvelle lecture de l’histoire qui n’est plus seulement cycle des saisons mais accomplissement du dessein du Dieu unique qui nous libère des fatalités pour nous conduire peu à peu à la découverte du Messie.

Nos mages étaient partis à la rencontre d’un petit prince, baignant dans le luxe et la puissance d’un palais : et ils découvraient une misérable maisonnette, un couple pauvre avec leur nouveau-né sans couronne ni auréole. Et, avant Hérode, avant les spécialistes des Écritures, eux, les premiers, avaient eu le courage d’aller au bout de leur recherche. Ils offrirent leurs cadeaux et s’agenouillèrent : car la foi au Messie provoque à partager ses biens et à devenir comme des enfants. L’adoration véritable se vérifie dans la donation.

Une vie nouvelle

A Jérusalem, ils avaient trouvé étrange que le roi Hérode refusât de les accompagner. Maintenant, dans un songe, Dieu leur conseilla de ne pas retourner au palais comme convenu.

« Ils retournèrent dans leur pays par un autre chemin ».

On perçoit le double sens de l’expression qui n‘est pas seulement géographique mais spirituelle. Lorsque l’on reconnaît en Jésus le Messie de Dieu, on ne peut plus vivre comme avant. L’échelle des valeurs change, les priorités basculent, on prend d’autres chemins de vie.

On ne croit plus à la fatalité des astres, on n’est plus écrasé par un Dieu tout-puissant. On perçoit les signes qu’il nous fait : la splendeur du cosmos et la lumière de la Torah convergent pour nous conduire devant le grand signe : Jésus. Il devient l’étoile qui nous guide sur le chemin de la vérité, qui nous comble d’une « grande joie » sans pareille, qui nous rend effectivement rois puisque son amour infini nous libère de l’esclavage du péché.

Et on commence à pressentir que ce Messie, humble et pauvre, ne va pas susciter l’admiration universelle. En chemin, nos voyageurs vont apprendre l’effrayante nouvelle : dans la crainte d’un roi qui lui ravirait son trône, Hérode, le tyran fou de jalousie qui avait déjà fait exécuter de ses enfants, ordonna de mettre à mort les enfants de la région de Bethléem nés à l’époque présumée de Jésus.

Le début annonce la fin

Jésus va grandir, devenir prophète itinérant de Galilée et un jour, il montera à Jérusalem où les Puissants et les Scribes n’accepteront pas que ce pauvre puisse être le Messie pourtant désigné par tant de versets des prophètes et ils l’exécuteront. Mais l’Esprit le ressuscitera et l’évangile culminera sur le grand appel missionnaire à ses disciples (28,18):

« Tout pouvoir m’a été donné au ciel et sur la terre. Allez ! Dans toutes les nations, faites des disciples…Apprenez-leur à pratiquer ce que je vous ai appris. Je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps »

Dites aux hommes de scruter les profondeurs infinies du cosmos, de s’interroger sur le sens de ce monde. Dites-leur de scruter aussi les versets de la Bible et de l’Évangile. Le Livre de l’univers et le Livre des Écritures convergent sur le grand Signe de Dieu, Jésus.

En grec, son nom hébreu de Messie est Christos dont la première lettre s’écrit X. Et puisque les hommes l’ont mis sur une croix +, son sigle est *.

« Je suis la Lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres : il aura la lumière qui conduit à la Vie.»

(Jean 8, 12)

Donc Paul peut nous écrire :

« Agissez sans murmure ni réticences, afin d’être sans reproche, enfants de Dieu sans tache au milieu d’une génération dévoyée où vous apparaissez comme des étoiles dans le monde.»

(Phil 2,14)

A condition de vous comporter entre vous comme en Christ (Phil 2, 5).

La foi n’est pas du cinéma.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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