Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Fête de l’Épiphanie – Année A – Dimanche 5 janvier 2019 – Évangile de Matthieu 2, 1-12

ÉVANGILE DE MATTHIEU 2, 1-12

L’ÉPIPHANIE ou LA MANIFESTATION

Ils n’étaient pas rois, ils n’étaient pas trois, ils ne s’appelaient pas Gaspard, Melchior et Balthazar et il est tout à fait vain de se perdre dans des calculs astronomiques pour découvrir en quelle année une comète a filé dans le ciel du Moyen-Orient pour servir de GPS à ces braves voyageurs. Quant au gâteau des Rois, nous y goûterons un plaisir gastronomique mais la découverte de la fève ne nous offrira qu’une éphémère royauté de pacotille.

Voilà, comme les autres fêtes chrétiennes, à quel niveau de folklore et d’enfantillage est tombée une célébration qui a une signification beaucoup plus profonde. Alors si vous ne croyez plus en tous ces détails, ne pensez pas que vous avez perdu la foi: vous êtes bien plutôt en chemin pour la découvrir.

LES PAÏENS VOIENT LE MESSIE QU’ISRAEL NE VOIT PAS

Tous les souverains de l’antiquité s’entouraient de vagues savants, de prophètes et de visionnaires qui prétendaient percevoir les signes de l’avenir et ainsi permettre au pouvoir de prendre des décisions avisées. L’un d’eux nommé Balaam est célèbre, il est cité dans la Bible et il avait annoncé jadis: “ Oracle de l’homme à l’oeil perçant et qui entend les paroles de Dieu. Je le vois mais pas pour maintenant: d’Israël monte une étoile, de Jacob un dominateur” (Nombres 24,17). L’oracle d’un prophète païen entretint pendant des siècles l’espérance d’Israël en un Grand Souverain.

Or, raconte Matthieu, au temps de la naissance de Jésus, dans un pays d’Orient (Perse, Arabie, ???), des mages assurèrent avoir vu un tel signe et, sur l’ordre de leur roi, ils se mirent en route pour se rendre au palais de Jérusalem afin de rendre hommage au nouveau petit prince.

Stupeur à la Cour car il n’y a pas de naissance royale. Alors on comprend: il doit s’agir du fameux Messie, l’”étoile” entrevue par Balaam et que tant de prophètes avaient annoncé depuis lors. Le comité des exégètes se réunit et, en spécialistes des Écritures, ils peuvent tout de suite indiquer le lieu de son apparition:

“ C’est à Bethléem de Judée, car c’est ce qui est écrit par le prophète: “Et toi, Bethléem, terre de Juda, tu n’es certes pas le plus petit des chefs lieux de Juda” (Michée 5, 1).
En outre, il était aussi écrit: “Car c’est de toi que sortira le chef qui fera paître Israël mon peuple”(2 Samuel 5, 2, qui était une promesse adressée à David)

Puisqu’ils sont certains de la réponse, les autorités juives devraient se hâter de monter un beau cortège pour aller honorer, avec leurs visiteurs, ce fameux Messie né dans ce petit village bien connu. Or au contraire, le roi se limite à renseigner les mages sur la route à prendre et lui-même refuse de se déplacer.

Les mages, eux, sont décidés à aller jusqu’au bout de leur recherche; la mystérieuse étoile réapparaît et “Ils éprouvèrent une très grande joie” – Signe, comme pour les bergers de Luc, de la découverte de la vérité du Sauveur.

“Dans la maison, ils virent l’enfant avec Marie sa mère, ils se prosternèrent et lui offrirent de l’or, de l’encens et de la myrrhe”.

Cadeaux à valeur symbolique: l’or pour un Roi, l’encens pour la prière à un Dieu, la myrrhe, parfum de l’amour et aromate pour l’ensevelissement. Les présents signifient l’identité de cet enfant et prédisent son destin.

“Puis divinement avertis en songe de ne pas re tourner auprès d’Hérode, ils se retirèrent dans leur pays par un autre chemin”.

L’attitude sournoise du roi les avait déjà inquiétés: la prière maintenant les persuade de ne pas aller le renseigner comme il le demandait. Aussi repartent-ils par une autre route.

AVEUGLEMENT ET ÉPIPHANIE

Matthieu ne s’est évidemment pas contenté de conter une gentille anecdote intéressante pour les marchands de santons et les pâtissiers. Cette histoire montre en effet un grand drame – l’aveuglement d’Israël -, et une Bonne Nouvelle: la découverte du Messie juif par les païens.

En dépit de tous ses efforts, Jésus ne réussira pas à se faire reconnaître comme le Messie. Si quelques disciples – et avec quelle peine !- se sont attachés à lui, le peuple ne demandait que des guérisons et la santé: or Jésus exigeait une guérison plus profonde, la conversion du coeur, le changement de vie et on y rechignait. D’autres guettaient le signe d’une insurrection armée et d’un affrontement guerrier contre l’armée romaine: et Jésus se refusait absolument à recourir à la violence. Quant aux autorités religieuses, tout de suite elles se méfièrent de cet inconnu et le grand tribunal du sanhédrin décida son exécution.

Il fallut l’Épiphanie de Pâques, la manifestation du Ressuscité pour qu’enfin les yeux des disciples s’ouvrent et découvrent que Jésus était bien le Messie et que les Écritures s‘étaient réalisées. Éclairés par l’Esprit, les apôtres se mirent à expliquer la nouvelle interprétation mais rien n’y fit: on leur défendit de prêcher, on les jeta en prison, certains furent mis à mort.

Alors ils se tournèrent vers les païens, Barnabé partit à Chypre, Paul en Macédoine, en Grèce, en Galatie et des conversions s’effectuèrent, des petites communautés naquirent au sein d’une société idolâtre et païenne. Le dernier envoi de Jésus s’accomplissait avec une vitesse fulgurante: “ Allez, de toutes les nations faites des disciples…” (Matt 28, 19)

Trois fois hélas en 3 ou 4 siècles, la coupure s’élargit et il y eut judaïsme et christianisme, séparés et ennemis.

Il faut relire les 3 chapitres 9 à 11 de la Lettre aux Romains où Paul pleure cet aveuglement de ses frères et découvre un sens à ce drame. “Dieu n’a pas rejeté son peuple…Il y a un reste…Grâce à la faute de beaucoup, les païens ont accédé au salut…Je ne veux pas que vous ignoriez ce mystère: l’endurcissement d’une partie d’Israël durera jusqu’à ce que soit entré l’ensemble des païens…Car les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables…”

POUR QUI L’ÉPIPHANIE AUJOURD’HUI ?

Aujourd’hui à nouveau la situation se répète car on n’arrête pas le dessein de Dieu. Frappée par la sécularisation et la cupidité de la consommation, l’Europe peut transmettre au monde une foi dont elle se détourne. Et en beaucoup de pays d’Afrique et maintenant en Chine, dans la pauvreté, la persécution et le risque des attentats meurtriers, les conversions se multiplient, les nouvelles communautés se fondent et exultent de “la grande joie” de suivre la lumière du Sauveur.

Quand Jérusalem ne reconnaissait pas son messie, il se manifestait aux païens. Quand Paris, Bruxelles et Berlin abandonnent la foi, des pauvres des bidonvilles d’Ethiopie, du Laos et de Mongolie sont tout heureux de découvrir la nouvelle étoile, “ils prennent un autre chemin” qui les guide sur les chemins de la charité et de l’espérance. Les païens voient ce que nous ne voulons plus voir. Où sera la Vie demain ?

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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