Année C — Vigile pascale — 19 avril 2025
Évangile selon saint Luc 24, 1-12
Nous avons médité, jeudi passé, à l’occasion du Lavement des pieds et de la dernière Cène, sur l’angoisse qui devait tirailler Jésus alors qu’il voyait la mort s’approcher inexorablement ; sur les larmes qui devaient lui monter aux yeux, alors qu’il partageait un dernier repas avec Judas : « Pourquoi me fais-tu ça ? Pourquoi ce rejet, cette violence, cette crucifixion ?
Pourtant le Christ ne fait aucun reproche à Judas. A sa trahison, il répond par un amour toujours plus humble, s’abaissant pour lui laver les pieds, prendre soin de sa liberté d’aller, partager encore un repas avec lui. Plutôt que se laisser envahir par la peur de ce qui va arriver, le Christ se laisser submerger par l’amour. Ce faisant, il désarme son agresseur : au lieu de se laisser prendre, il se donne. L’antidote aux forces qui broient de l’humain, c’est l’amour.
Nous ne supportons pas le vide que crée en nous la douleur. La souffrance fait que nous ne sommes plus à nous-mêmes. Viennent alors les pensées sombres et les réflexes de vengeance, contre autrui ou contre nous-même. On se fabrique des boucs émissaires : faire mal à quelqu’un exactement là où nous-même avons mal, pour compenser ce vide que crée en nous toute souffrance.
C’est le vrai danger des maux et des souffrances qui nous atteignent : ils instillent en nous le poison du désespoir et l’esprit de vengeance – contre soi, contre les autres, contre la vie voire contre Dieu. Très vite l’amertume nous envahit l’âme et, après elle, le ressentiment et la haine – de soi, des autres, de la vie voire de Dieu. Et c’est alors l’Enfer. Notre peur de souffrir encore nous enferme dans le rejet de soi, des autres, de la vie voire de Dieu.
Ainsi, toute la spiritualité chrétienne consiste à ne pas se laisser enfermer dans la peur, le ressentiment voire la haine qui surgissent de la violence que nous subissons. Ceux qui ont eu a subir de lourds traumatismes savent à quel point la peur, l’anxiété, l’angoisse de souffrir encore peut rendre la vie infernale et vide.
Notre monde aujourd’hui est perclus de peurs, de souffrances et d’anxiété. Notre planète agonise et les peuples partout se confrontent. La santé mentale des populations est inquiétante. Partout le désespoir gagne et l’avenir s’obscurcit. Il y a quelque chose de l’angoisse apocalyptique qui nous étreint. Certains imaginent déjà la fin des temps.
Alors que nous voyons chaque jour l’amour et la fraternité humaine se dissoudre dans la peur du lendemain, allons-nous être de ces disciples qui abandonnent et trahissent le bel idéal chrétien dans un grand élan de sauve-qui-peut ? Allons-nous laisser l’angoisse de l’avenir nous ronger nous aussi et nous désespérer ?
Pourtant, surmonter l’angoisse et la peur est humainement possible. C’est ce que le Christ nous montre à Pâques. Si le Christ-Humain effectivement meurt et ressuscite, le Christ-Dieu, lui, reste éternel. Face à l’humanité qui s’effondre, l’amour divin reste intact. Il est possible, confrontés à la souffrance et même à la mort, de ne pas chercher de revanche. Au contraire, comme le montre Jésus, il est possible de trouver dans l’abaissement une manière toujours plus humble d’aimer.
L’antidote à l’enfermement dans la douleur, c’est le surcroît d’amour. Si nous pensons que notre monde court à sa perte, c’est alors qu’il faut nous abaisser pour l’aimer d’avantage.
Bien sûr, on peut toujours espérer un miracle, mais surmonter les drames de la vie par l’amour est quelque chose qui s’apprend et requiert de l’entraînement. Même si, comme le bon larron, on peut espérer le surgissement du salut à la toute fin d’une vie désordonnée, il est préférable de se former à transcender nos anxiétés et nos peurs par l’amour, par une vie spirituelle régulière, par une amitié habituelle avec Dieu. Ce qui nous libère des angoisses à venir, c’est notre proximité actuelle avec Dieu.
Notre monde est en crise, comme l’est à Pâques la communauté des disciples de Jésus. Tous, comme nous aujourd’hui, font face à l’effondrement de leur bel idéal. Serons-nous de ceux qui laisseront la peur du lendemain nous envahir ou serons-nous de ceux qui restent en compagnie du Christ jusqu’au pied de la croix ? De notre croix …
Aujourd’hui les temps sont anxiogènes et le risque est grand de se laisser égarer. Déposons nos peurs et nos angoisses au pied de cet autel et demandons à Dieu de les convertir en amour, que de nos tombeaux vides, il fasse surgit la lumière.
Seigneur, même si demain nous inquiète et que l’avenir semble incertain, fais que nous soyons des témoins de ta Résurrection.
— Fr. Laurent Mathelot OP