Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Dimanche des Rameaux – 2 avril 2023 – Évangile de Matthieu 21, 1-11

Évangile de Matthieu 21, 1-11

L’entrée de Jésus à Jérusalem

Lorsque Jésus a décidé de monter à Jérusalem après une longue mission à travers la Galilée, il a veillé à y parvenir juste en ces jours avant la grande célébration de la Pâque et il a prévenu ses disciples sur le sort qui l’y attendait. En effet le rituel pascal prescrit à toute famille juive de se procurer un agneau mâle d’un an, de l’observer pendant quelques jours pour constater s’il n’a pas un défaut caché, puis l’immoler le 14 nisan et le consommer, le soir, accompagné de pains azymes. C’est le signal que Moïse avait donné avant de s’enfuir dans la nuit et quitter l’esclavage d’Egypte : aussi ce mémorial de la libération devra-t-il être observé jusqu’à la fin des temps.

Fils élu du Père, Jésus que Dieu n’a nul besoin de sacrifices d’animaux. C’est lui, l’agneau innocent que les hommes vont exécuter mais qui va s’offrir en toute liberté et avec amour afin de faire miséricorde aux hommes de toutes nations. Si la perspective de la crucifixion qu’il entrevoit le terrifie, ses horreurs indicibles ne sont dues ni à lui ni à son Père mais à l’ignorance et à la haine des hommes. Jésus ne veut pas la souffrance comme si elle était nécessaire : il veut de tout son être accomplir la mission reçue de son Père. Si elle l’entraîne dans la mort, c’est à cause de notre méchanceté. La croix, sommet ignoble de notre péché, poussera Jésus au paroxysme de l’amour. Ainsi la Pâque deviendra à jamais, et pour tous, la fête de la libération de l’esclavage du péché.

L’Entrée à Jérusalem

Quelques jours avant la Pâque, Jésus et ses disciples arrivent à Bethfagué, sur les pentes du mont des Oliviers. Il envoya deux disciples : «  Allez au village : vous trouverez une ânesse attachée avec son petit. Détachez-la et amenez-la moi. Si l’on vous dit quelque chose, répondez : « Le Seigneur en a besoin, il les renverra ». Cela s’est passé pour accomplir la prophétie : « Dites à la fille de Sion : voici ton roi qui vient vers toi, humble, monté sur une ânesse et son ânon ». Les disciples obéirent, amenèrent l’ânesse et son petit, disposèrent sur eux leurs manteaux et Jésus s’assit dessus.

Jésus n’invente pas sa conduite, il réalise ce que Dieu lui dit à travers les Ecritures : se jucher sur une bête qui n’a vraiment rien d’un cheval de guerre. Le royaume viendra  au pas de l’âne , lentement, sans violence, chez les hommes qui ont de grandes oreilles pour bien écouter la parole de Dieu. Mais la mention du mont des Oliviers évoque déjà le lieu où, dans quelques jours, le roi adulé sera seul, tordu de souffrances. Pour l’instant personne ne comprend le signe de l’humilité. On veut un chef puissant.

Dans la foule, la plupart étendirent leurs manteaux sur le chemin ; d’autres coupaient des branches aux arbres et en jonchaient la route. Les foules qui marchaient devant Jésus et celles qui le suivaient criaient : «  Hosanna au fils de David ! Béni soit celui qui vient au nom du Seigneur ! Hosanna au plus haut des cieux ! ». Comme Jésus entrait en ville, l’agitation gagna toute la ville, on se demandait : « Qui est cet homme ? ». Et les foules répondaient : « C’est le prophète Jésus, de Nazareth en Galilée ».

Matthieu exagère sans doute un peu car Jésus est toujours resté en Galilée ; la capitale ne le connaît que par la rumeur, et encore moins les pèlerins qui affluent des pays étrangers, pris par la joie de revenir à la ville sainte et de retrouver leurs familles. En tout cas une procession se forme autour de celui que certains tiennent pour le roi messie. Ne s’appelle-t-il pas Iéshouah, qui signifie Sauveur ? N’est-il pas un lointain descendant du roi David ? Ses miracles ne manifestent-ils pas sa puissance ? Emportés par l’enthousiasme, tout fiers, les disciples sont ravis. Pâle, amaigri, Jésus cache un sourire devant ce triomphe ambigu et ces gens qui bientôt demanderont sa mort : « Toujours leur volonté de grandeur et de faste ! ».

Suspense !

Quand Jésus entra dans Jérusalem, toute la ville fut en émoi : « Qui est-ce ? » disait-on : les gens répondaient «  C’est le prophète Jésus de Nazareth en Galilée ».

Ponce Pilate, le préfet, qui vit habituellement au port de Césarée, est monté à Jérusalem avec sa troupe d’élite et surveille tout à partir de la forteresse Antonia qui jouxte le temple. Ordre a été donné de rester sur ses gardes : avec ces sales Juifs, une étincelle peut mettre le feu aux poudres. Dans son palais, le grand prêtre Caïphe enrage : « Ce menteur a osé venir ?! ». Suspense ! Que va faire cet intrus ? Foncer dans les quartiers malfamés et foudroyer ces voyous, ces dévergondés qui souillent la sainteté du lieu ? Mais non puisque le messie vient pour pardonner aux pécheurs. Rejoindre les équipes de zélotes qui ont accumulé des armes dans des caches secrètes en vue de l’insurrection ? Mais non puisque le messie vient pour sauver tous les peuples. Déclencher la déflagration suprême et mettre fin au monde ? Non puisque le Royaume doit venr lentement, dans la douceur et la paix, par la collaboration de Dieu et des hommes.

Purifier le Temple

Jésus entra dans le temple et chassa ceux qui vendaient et achetaient ; il renversa les tables des changeurs et les sièges des marchands de colombes. Et il cria : « Il est écrit : « Ma Maison sera appelée maison de prière et vous en faites une caverne de bandits ». Des aveugles et des boiteux s’avancent vers lui et il les guérit. Voyant ces choses étonnantes et ces enfants qui criaient : « Hosanna au fils de David ! », les grands prêtres et les scribes furent indignés : «  Tu entends ce qu’ils disent ? ». Jésus répond : «  N’avez-vous pas lu ce texte : «  Par la bouche des tout petits tu t’es préparé une louange »’?. Il les planta là et sortit de la ville.

Jésus fonce sur l’immense esplanade que les grands prêtres avaient transformée, pour les grandes fêtes, en marché – alors qu’il y avait des marchés en ville. Location des stands et vente des peaux de mouton rapportaient de plantureux bénéfices à ces prélats connus pour leur train de vie et leurs tenues ostentatoires. Jésus ne reproche pas aux petits marchands d’augmenter leurs prix : il attaque les prélats qui dissimulent leurs méfaits dans un lieu saint où ils pontifient avec majesté mais dont ils interdisent l’entrée aux handicapés et aux enfants. On n’achète pas la grâce de Dieu par des simagrées hiératiques et en payant des sacrifices d’animaux.

Cet esclandre de Jésus est grave, c’est la goutte qui fait déborder le vase : désormais les grands prêtres et les scribes seront d’accord de supprimer au plus tôt ce perturbateur.

Pourtant Jésus a l’audace de revenir au temple les jours suivants et il enseigne, comme il le fait depuis le début. Les diverses catégories de ses ennemis vont venir le cribler de questions pour le désarçonner et montrer à la foule qu’il est un faussaire dangereux. Peine perdue : Jésus prouvera qu’il est fidèle aux Ecritures.

Finalement on cessera de le questionner (22, 46). Mais à ses disciples, il annoncera que « tout cela sera détruit » (24, 02). En effet en 66 les zélotes déclencheront la révolte et en l’an 70, la ville et son Temple seront détruits par les Romains. Qui se sert du glaive périra par le glaive.

Conclusion

Emporter chez soi un rameau béni signifie que nous laissons entrer un Messie qui n’est pas dupe des cérémonies et qui vient avec la ferme volonté d’inaugurer le Royaume. Au lieu de s’en prendre aux scandales du monde et aux méfaits des puissants, il dénonce les dérives de l’organisation religieuse.

Remarquons que si notre cher pape François est follement applaudi par des foules de tous pays, son œuvre principale est sans doute sa volonté de réformer la Curie où se décident les grandes orientations. Là où ses prédécesseurs n’ont pas eu le courage d’agir, François met les pieds dans le plat et ne craint pas de critiquer des dérives graves. On se souvient de son célèbre discours où il dénonçait les 15 maladies qui sévissaient dans les couloirs du Vatican (22 déc.14) : quelques éminences rouges ne le lui ont guère pardonné et lui souhaitent un successeur, le plus vite possible.

La désaffection de la messe dominicale, la chute des baptêmes et des sacrements, la fermeture des couvents, l’écartement général des jeunes générations ne doivent pas être pour nous des sujets de lamentations mais des indices que nous aussi, nous avons à agir. Comme Jésus, quels marchés devons-nous chasser ? Comme François quelles maladies devons-nous dénoncer ?

Il est faux de vouloir à tout prix sauvegarder le visage que l’Eglise avait depuis un temps. Maintenant je sais que l’Eglise de ma jeunesse était absolument différente de celle de Pierre, Paul et Jean. Et que si le concile Vatican II a fait un travail de réforme, celle-ci se révèle aujourd’hui très insuffisante.

Oui l’entrée des Rameaux n’est pas un fait banal  et le petit rameau fait réfléchir à ce qui s’est passé ensuite : « la semaine sainte » ! Le refus des triomphes, l’exclusion du lucre, du cléricalisme, du hiératisme, des grands apparats a conduit Jésus au Golgotha. Mais il le faut pour que vienne une Eglise simple, ouverte à tous, qui lutte pour que tout être humain jouisse de ses droits fondamentaux : nourriture, logement, soins. Et qui déjà réalise cet idéal en son sein.

Certes nous allons apprendre que porter sa croix ne se cantonne pas dans des petites privations mais qu’elle est le retour de manivelle d’un pouvoir qui se croit fidèle parce qu’il est immobile. Mais nous reprendrons nos rameaux à Pâques pour applaudir celui qui va en effet devenir Roi, Seigneur du monde, Vivant pour toujours.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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