Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Dimanche de Pentecôte – 28 mai 2023 – Évangile de Jean 20, 19-23

Évangile de Jean 20, 19-23

L’Esprit qui brûle en nous

Il y a des chrétiens pour qui l’Esprit-Saint n’est jamais comme une langue de feu, c’est-à-dire un langage que nous percevons, et qui nous enflamme.

Nous savons tous qu’en nous, il y a des mots et des idées qui se bousculent. Et nous savons tous aussi que parmi ces idées certaines nous attristent, d’autres nous réjouissent, d’autre encore nous emportent le cœur et l’âme. Il y a des mots, des phrases, des sons que nous percevons et qui nous portent vers la plénitude, l’élévation de tout notre être et parfois même l’extase ; des mots qui provoquent une jubilation esthétique intense – déjà les mots « Je t’aime » sont de ceux-là.

Et bien, il y a des chrétiens pour qui les mots qui émanent de l’Esprit même de Dieu ne sont jamais de telles langues de feu, ne suscitent en eux aucun embrasement, ni même de joie particulière.

Certainement, ils ont des désirs, des êtres et des passions qui les enflamment … mais pas Dieu. Ce sont des chrétiens purement rationnels, pour qui Dieu est finalement toujours une idée, un concept et jamais une rencontre, une personne qui les aime, quelqu’un dans leur vie. Ils ont la foi, ils croient en un être suprême, mais ce Dieu n’est jamais un « tu » auquel ils s’adressent. Il est trop loin.

Il y a aussi des chrétiens pour qui le seul esprit qui leur parle c’est le leur ; des chrétiens qui n’écoutent qu’eux-mêmes, des chrétiens qui croient que Dieu parle comme eux – et qui ont même tendance à l’affirmer – des chrétiens qui pensent détenir la vérité – bien sûr, la leur.

Et puis il y a les chrétiens pour qui la religion est spiritualité : c’est-à-dire un embrasement de l’esprit, par un Esprit avec lequel on dialogue. Un « tu » qui nous parle dans le cœur et auquel on répond ; un « tu » que l’on retrouve quand on lit la Bible, un « tu » que l’on sait voir présent dans ceux qu’on aime, un « tu » qui, lui-même, s’exprime parfois à travers nous.

Il y a des chrétiens que le « Je t’aime » entendu de Dieu embrase et comble de joie ; qui jubilent de l’Amour de Dieu qui s’exprime ; qui non seulement ont conscience de cet Amour mais bien plus le ressentent et l’éprouvent ; un peu comme l’amour s’éprouve entre ceux qui s’aiment : des langues de feu brûlantes comme le sont les mots des amoureux entre eux ; ceux que se chuchotent parents et enfants quand ils s’embrassent.

L’Esprit de Dieu cherche à tous nous parler. Pas à nous tenir un discours ; pas à nous donner des leçons ; pas simplement à exprimer une pensée que nous pourrions trouver intéressante ou belle ou adéquate. Non ! à nous parler de la manière la plus complète qui soit ; avec des mots qui changent et emportent celles et ceux à qui ils s’adressent ; avec des mots brûlants qui nous attirent. Dieu veut nous attirer à lui avec une Parole qui touche à l’essentiel de nous-mêmes. A notre profond désir d’aimer et d’être aimés.

On ne comprend bien l’image des langues de feu qui tombent sur les disciples que si l’on sait soi-même à quel point on peut brûler du désir d’amour et à quel point Dieu désire rencontrer ce désir. On ne comprend bien l’image des apôtres qui parlent désormais toutes les langues que si l’on se rend compte de l’universalité de ce désir d’amour et aussi de l’universalité des réponses qui y sont apportées. Quelle que soit notre langue maternelle, partout dans le monde, l’amour et la tendresse s’expriment de la même manière, avec les mêmes gestes, les mêmes élans du cœur, les mêmes marques d’affections.

Alors certains me diront, c’est très bien tout ce discours sur l’Esprit Saint qui nous parle d’Amour mais moi je ne l’entends pas comme ça. Pire, repensons au cas de Mère Teresa pour qui Dieu était bel et bien un « tu » auquel elle s’adressait mais qui, toute sa vie, est restée dans la nuit, sans percevoir de réponse de la part de Dieu … Et qui est pourtant devenue sainte !

Je crois en effet qu’une extrême confrontation à la souffrance, une vie qui s’affronte au malheur au point de concevoir – à juste titre – un profond sentiment personnel d’impuissance, peuvent nous empêcher de voir l’amour de Dieu à l’œuvre parmi les hommes. C’est difficile, dans la souffrance ultime, de ressentir encore l’Amour de Dieu.

Mais c’est alors peut-être, comme Sainte Teresa – et comme le Christ sur la croix qui a aussi vécu ce sentiment d’abandon – c’est peut-être qu’on devient un être non plus qui entend Dieu mais un être qui ne fait plus que dire Dieu par sa vie. Finalement Teresa, comme le Christ, ne sont plus que le cri d’Amour de Dieu face à la souffrance ultime.

La Pentecôte c’est le don fait à l’Humanité de pouvoir véritablement entendre Dieu comme le Christ a entendu son Père. Et le fruit de la Pentecôte c’est de pouvoir exprimer à notre entourage cet amour infini de Dieu pour l’Humanité. S’il le faut, en n’étant seulement plus qu’un cri.

La Pentecôte c’est recevoir l’Esprit d’Amour qui permet de se relever en toutes circonstances.

— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.


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