« L’homme qui répare les femmes »
(suite et fin)
- Avez-vous hésité, par moments, à raconter ces crimes ?
Non, je n’ai pas hésité. La violence ne connaît pas aucune limite et il faut l’affronter…Le silence est l’arme absolue des bourreaux. Il ne faut jamais cesser de dénoncer. Après, à titre personnel, tout cela m’a bouleversé, j’ai tellement pleuré…Au fil du temps, j’ai fini par me dire qu’une émotion qui n’est pas suivie d’action ne sert à rien. Nous devons canaliser notre tristesse, notre dégoût, notre colère pour les transformer en action. C’est tout le sens de mon engagement.
- Votre foi n’a jamais vacillé devant ces abominations ?
Non, jamais. Car le Dieu auquel je crois laisse entier notre libre arbitre. Chacun de nous est et reste pleinement responsable de ses actes. Pour moi, l’essentiel, c’est de mettre l’être humain au centre, et donc l’amour. A mes yeux, c’est vraiment le socle sur lequel on peut bâtir un monde plus juste et plus égalitaire. « Aime ton prochain comme toi-même ». Pour moi tout est là. Après, vous pouvez appeler cela une religion, une philosophie, un mode de vie…peu importe. Mais c’est ce qui guide ma conduite.
- Votre liberté de ton dérange. Vous avez échappé à six tentatives d’assassinat. Vous dites-vous parfois que le prix à payer est trop lourd ?
Le plus marquant pour moi reste la tentative d’assassinat à laquelle j’ai échappé en 2012 et au cours de laquelle mon garde du corps a perdu la vie. A partir de là, j’ai décidé de m’exiler à Boston aux USA. Je ne voulais pas être un héros mort mais un homme vivant.
- Vous êtes pourtant vite revenu en RD du Congo ?
Oui. Un groupe de femmes de mon pays a en effet écrit au secrétaire général des Nations Unies et au Président de la République. En vain. Alors ces femmes se sont portées volontaires pour assurer ma sécurité et elles se sont mis en tête de vendre des fruits et légumes pour me payer un billet d’avion de retour. Vous imaginez ? Elles vivent avec moins d’un dollar par jour mais elles se cotisent pour me faire revenir ! A partir de là, je suis rentré, c’était plus fort que moi. J’ai la chance d’avoir une épouse exceptionnelle, Madeleine, et elle était partante pour me suivre…
- Il n’empêche, vous êtes toujours menacé de mort. Comment vit-on avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?
Ne pas avoir peur ne serait pas humain. Donc oui j’y pense bien sûr. Aujourd’hui j’ai élu domicile dans l’hôpital de Panzi qui est protégé par des soldats de l’ONU. C’est sûr mais très contraignant. Cela fait neuf ans maintenant que je ne peux plus aller voir mes amis chez eux, que je ne me rends plus au restaurant….Mais ce n’est rien face à la douleur de mes patientes. Tant que je peux, je dois tout faire pour elles…Je suis persuadé que le bien que l’on fait nous revient à un moment donné. C’est en tout cas le monde tel que je rêve. »
Interview (extraits) dans « La Croix » du dimanche 5 12 2021
Tout téléphone portable est marqué de sang. Acheter et diffuser le livre du Dr Mukwege, c’est participer à la lutte pour la justice.
« J’ai été amené à prendre en charge des milliers de femmes congolaises, toutes abominablement violées ou mutilées. Et ce sont les mêmes qui ensuite font preuve d’un courage inouï pour s’en sortir. Certaines se sont lancées dans de longues études… Leurs violeurs pensaient les anéantir… Et non ! Si ces femmes n’abandonnent pas, comment le pourrions-nous, nous-mêmes ? …
« Leur résilience et leur courage nous montrent à tous la voie.»
Éd. Gallimard- 20 euros.