Le Pape exhorte à se convertir à l’écologie du cœur

Le Pape François a adressé, en 2021, un message aux participants à la 49e Semaine sociale des catholiques italiens, convoquée à Tarente dans les Pouilles en Italie. Il y développe sa vision de l’engagement social chrétien, appelant à créer «des réseaux de rédemption».

«La pandémie a mis à jour l’illusion de notre époque selon laquelle nous pouvons nous croire omnipotents, en foulant aux pieds les territoires que nous habitons et l’environnement dans lequel nous vivons», a affirmé le Saint-Père, préconisant que «pour nous remettre sur pied, nous devons nous convertir à Dieu et apprendre à faire bon usage de ses dons, en premier lieu la création».

Le visage et l’histoire des souffrants

Pour cela, il faut écouter les souffrances des pauvres, des derniers, des désespérés, des familles fatiguées de vivre dans des lieux pollués, exploités, brûlés, dévastés par la corruption et la dégradation, a plaidé l’évêque de Rome, rappelant le titre significatif choisi pour cette semaine sociale à Tarente, ville qui symbolise les espoirs et les contradictions de notre époque: «La planète que nous espérons. Environnement, travail, avenir. Tout est lié». «Il y a un désir de vie, une soif de justice, une aspiration à la plénitude qui jaillit des communautés touchées par la pandémie», a-t-il en effet relevé.

Le Pape a souhaité partager plusieurs réflexions, la première étant l’attention portée «aux croisements». Il a déploré les situations suivantes: «Trop de gens traversent nos vies alors qu’ils sont désespérés: des jeunes contraints de quitter leur pays d’origine pour émigrer ailleurs; des femmes qui ont perdu leur emploi en période de pandémie ou qui sont obligées de choisir entre maternité et profession; des travailleurs laissés à la maison sans opportunités; des pauvres et des migrants non accueillis et non intégrés; des personnes âgées abandonnées à leur solitude; des familles victimes de l’usure, des jeux d’argent et de la corruption; des entrepreneurs en difficulté et soumis aux abus de la mafia; des communautés détruites par les incendies…»

Ce sont des visages et des histoires qui interpellent: nous ne pouvons pas rester indifférents. Nos frères et sœurs sont crucifiés et attendent la résurrection, a poursuivi François.

Des chrétiens en mouvement

Second point évoqué, quand nous voyons des diocèses, des paroisses, des communautés, des associations, des mouvements, des groupes ecclésiaux fatigués et découragés, parfois résignés face à des situations complexes, «nous voyons un Évangile qui tend à s’effacer», a-t-il constaté. «Au contraire, l’amour de Dieu n’est jamais statique ou renonçant, « tout croit, tout espère » (1 Co 13,7): il nous pousse à avancer et nous interdit de nous arrêter.»

Et le Saint-Père d’exhorter à ne pas rester dans les sacristies, ne pas former des groupes élitistes qui s’isolent et se referment sur eux-mêmes. «Comme il serait merveilleux que, dans les zones les plus marquées par la pollution et la dégradation, les chrétiens ne se limitent pas à dénoncer, mais prennent la responsabilité de créer des réseaux de rédemption. Il s’agit de redéfinir le progrès», a-t-il souligné, ajoutant que le développement technologique et économique qui ne laisse pas un monde meilleur et une qualité de vie totalement supérieure ne peut être considéré comme un progrès » (n° 194).

Troisième point, «l’obligation du tournant», imposé par lecri des pauvres et de la Terre. «L’espoir nous invite à reconnaître que nous pouvons toujours changer de cap, que nous pouvons toujours faire quelque chose pour résoudre les problèmes». (n. 61). Mgr Tonino Bello, évêque prophète de la terre des Pouilles, aimait à répéter: «Nous ne pouvons pas nous limiter à l’espérance. Nous devons organiser l’espoir!». Ainsi une conversion profonde nous attend, qui touche l’écologie humaine, l’écologie du cœur, avant même l’écologie environnementale, a plaidé le Souverain Pontife, rappelant combien le changement d’époque que nous traversons exige un tournant.

www.vaticannews.va

Manifeste du pape François pour « sauver la biodiversité »

22 juillet 2022

« Réfléchir urgemment à un soutien financier supplémentaire pour la conservation de la biodiversité ». Tel est l’appel du pape François dans son message à l’occasion de la Journée mondiale de prière pour la sauvegarde de la Création, qui sera célébrée le 1er septembre 2022.

Dans un message rendu public ce 21 juillet, le pontife détaille les cris amers de la Création, à commencer par celui de la « mère terre » qui « nous supplie d’arrêter nos abus ». Il mentionne aussi le cri des pauvres, des peuples autochtones et des enfants qui « nous demandent avec anxiété, à nous adultes, de faire tout notre possible pour empêcher ou du moins limiter l’effondrement des écosystèmes de notre planète ».

Le pape François évoque également le cri des créatures, alors que « d’innombrables espèces sont en voie de disparition, cessant à jamais leurs hymnes de louange à Dieu ». Plaidant leur cause, il enjoint les nations à « adopter un nouvel accord multilatéral pour arrêter la destruction des écosystèmes et l’extinction des espèces ».

Le pontife donne quatre principes clés pour cet accord: « construire une base éthique claire »« lutter contre la perte de biodiversité, soutenir sa conservation et son rétablissement » ; « promouvoir la solidarité mondiale » ; et « mettre au centre les personnes en situation de vulnérabilité ».

Des plans climatiques « plus ambitieux »

Au fil de son message, le pape demande des plans climatiques « plus ambitieux » pour atteindre l’objectif de l’Accord de Paris (2015) – limiter l’augmentation de la température à 1,5°C.

Afin de « convertir les modèles de consommation et de production », il encourage la mobilisation pour les deux grands sommets des Nations unies à venir: la COP27 sur le climat, prévue en Égypte en novembre 2022, et le sommet de la COP15 sur la biodiversité, qui se tiendra en décembre au Canada. 

Le pape s’adresse aussi aux grandes entreprises d’extraction – minières, pétrolières – forestières, immobilières et agroalimentaires, les suppliant « au nom de Dieu », d’arrêter « de détruire les forêts, les zones humides et les montagnes, d’arrêter de polluer les rivières et les mers, d’arrêter d’intoxiquer les gens et les aliments ».

Par ailleurs, le pape demande aux nations plus riches, qui ont le plus pollué au cours des deux derniers siècles, « de tenir leurs promesses de soutien financier et technique aux nations économiquement plus pauvres »; et aux pays économiquement moins riches de ne pas rester dans l’inaction.

Rappelons que c’est depuis 2015 que l’Église catholique célèbre chaque année, le 1er septembre, une journée mondiale de prière pour la Création.

Publié le 22 juillet 2022 par Cath.ch

Comment allons-nous appliquer l’évangile de ce jour : « Gardez-vous de toute avidité » ????

Sortir de la légèreté

Le père Pierre de Charentenay sj, ancien rédacteur en chef de la revue Études, apporte son éclairage sur la crise sanitaire actuelle et invite à “reconsidérer la légèreté de nos existences” pour nous préparer sérieusement à faire face à la crise climatique à venir.


Nous avons vécu de manière bien légère, imprudente, inconsciente depuis les grands conflits mondiaux du siècle dernier.

On pouvait tout faire, prendre l’avion pour aller trois jours aux Maldives, commander sur Internet n’importe quel plat ou n’importe quel instrument, manger des fraises en janvier, visiter toutes les capitales d’Europe, et fêter le mariage de son cousin d’Amérique à Honolulu, etc. C’était le temps de la liberté totale, faire ce que je veux quand je veux, sans contrainte, y compris celle de mourir quand je l’ai décidé.

C’était le temps de la légèreté, où tout est possible sans limite grâce à la puissance de la technique qui avait supprimé les barrières.

Mettre des Limites

Eh bien, non. Ce n’est pas la vie réelle, même si nous en avions rêvé. Il n’y a pas de monde sans limite. Le coronavirus nous le rappelle de manière si violente [1] qu’il faut réagir en prenant des mesures extrêmes et immédiates. Imagine-t-on 4 milliards de personnes confinées ! Imagine-t-on notre espace personnel cloisonné par “des gestes barrières” pendant des semaines !

La crise climatique nous dit la même chose mais autrement [2]. Il faut mettre des limites à nos voyages, à notre consommation, à nos productions !

La différence entre les deux est que nous avons compris, peut-être un peu tard, que le virus nous mettait en danger de mort immédiate, ce que nous ne pouvons pas supporter. Donc, on agit, “quoi qu’il en coûte” ! Alors que la crise climatique se déroule sur un moyen terme qui nous laisse le temps de discuter, de polémiquer, en un sens de ne rien faire qui nous dérange sérieusement. Nous ne voulons pas entendre l’avertissement de la crise écologique parce que les délais sont longs et l’urgence moindre.

Ces deux catastrophes, sous des modes différents, nous font entrer dans le monde des contraintes. On avait oublié qu’elles pouvaient exister, emportés et grisés par tout ce que nous avions inventé, qui nous rend la vie si facile, quand tout va bien. Il a bien fallu obéir et rester confinés, encore que, on a tout essayé et parfois réussi à éviter la contrainte, même au temps du virus et de l’urgence absolu : un million de parisiens ont décidé qu’ils seraient plus forts et plus libres en s’enfuyant dans leur résidence secondaire.

L’agent pathogène : pas le virus, l’homme !

Demain, nous ne changerons pas du tout au tout. Je n’y crois pas et le danger est bien de reprendre notre rythme d’avant dès que possible, dès que la contrainte médicale et étatique sera allégée. Les industriels sont sur les starting blocs. Car la dynamique du développement, des entreprises et du profit est puissante. Elle est visible. 

Ce qui est moins visible mais tout aussi puissant, c’est le désir du consommateur qui veut garder son style de vie, ses facilités. C’est cette double dynamique qui épuise notre planète ; les ressorts de notre épuisement, ce sont les choix de chacun, la liberté qu’on veut garder et la légèreté de nos existences. Car “l’agent pathogène dont la virulence terrible modifie les conditions d’existence de tous, ce n’est pas du tout le virus, ce sont les humains !” [3].

Ce virus vicieux est un clin d’œil mortifère sur ce qui sera plus grave encore, car la crise climatique touchera la terre entière et fera des millions de morts. Nous pourrions profiter de cette occasion pour reconsidérer la légèreté de nos existences, leur irresponsabilité. Alors lentement, s’il importe d’abord de sécuriser notre vie dans l’immédiat, nous pourrons progressivement nous préparer sérieusement à faire face à la crise climatique en reconstruisant ce que nous ne voulons pas, des barrières.

Reprendre conscience des limites et redonner du poids à l’existence.

[1] Bill Gates nous avait prévenu il y a 5 ans. Personne ne l’a entendu.

[2] Pierre de Charentenay, Face à la crise climatique, Éditions Chemins de dialogue, avril 2020.

[3] Bruno Latour, Le Monde, 25 mars 2020.

Article paru dans la revue jésuite « Études » – Publié le 18 mai 2020. –

Repris dans « Tout est lié » 20 5 2021 (toutestlie.catholique.fr) : webzine écologie catholique.

Marche pour le climat

La loi Climat du gouvernement n’est pas à la hauteur. C’est ce qu’ont clamé les manifestants du dimanche 28 mars dans toute la France. 110 000 personnes (selon les organisateurs, 44 000 selon la police) ont répondu à l’appel de nombreuses associations comme Alternatiba, Greenpeace, Oxfam France et ATD-Quart monde.

Des « cortèges de croyants »

Du côté des chrétiens, certaines organisations catholiques et protestantes avaient bien l’intention de se montrer solidaires de ce mouvement. Ainsi, les Chrétiens unis pour la Terre (CUT), la Mission populaire évangélique, le Mouvement du christianisme social, la Fédération protestante de France, le CCFD-Terre solidaire, le Ceras, le Réseau Foi & Justice Afrique Europe et les Éclaireuses et Éclaireurs Unionistes de France ont appelé conjointement à constituer un « cortège des croyants ». Un petit groupe d’une trentaine de personnes a ainsi répondu à l’appel à Paris. D’autres groupes d’une dizaine de personnes se sont formés à Valence, Nîmes, Strasbourg, Nice et Rennes.

Coïncidence : le jour de la manifestation correspondait au dimanche des Rameaux. Pour marquer le coup, les chrétiens étaient invités à venir marcher avec leurs rameaux bénis. « Les rameaux sont un signe de la gloire de Dieu, explique Priscille de Poncins, C’est un symbole d’espoir. Si tous les hommes de bonne volonté s’unissent, on peut changer la donne. Cela signifie aussi que c’est l’ensemble de la Création qui doit être sauvé, et pas simplement les humains. »

Thibault, 28 ans, poursuit le parallèle entre la commémoration de la Passion et le combat politique pour l’écologie : « Cette crise qui nous touche est la mort de la société actuelle. Nous espérons, avec le Christ, faire advenir une nouvelle société, plus sobre et plus heureuse ». 

Un signe pour les politiques

Les Rameaux, c’est aussi le signe de la foule, fait remarquer Alexia, elle voit dans cette marche pour le climat « l’occasion de s’unir entre chrétiens sur des valeurs communes que nous ne mettons pas assez au centre de nos vies ».

Mais au-delà du symbole spirituel, le cortège des croyants a un sens plus politique. C’est la conviction de Laura Morosini :« C’est d’abord un signe pour les autres croyants, pour leur montrer qu’ils ont une place dans ces manifestations. C’est aussi un signe pour les politiques : pour qu’ils sentent que les croyants ne se mobilisent pas que « pour la boutique », pour leur demander de réparer les églises, pour manifester sur la bioéthique ou pour les écoles catholiques. Enfin, c’est un signe pour le monde militant. Parmi eux, beaucoup finissent par se décourager et laisser tomber le militantisme…

« J’assume la référence à Laudato si’ »

L’ancienne ministre de l’écologie Delphine Batho, aujourd’hui député des Deux-Sèvres, reconnaît le rôle que peuvent jouer les chrétiens. N’a-t-elle pas intitulé son manifeste politique « Écologie intégrale » en 2019 ? « J’assume la référence à Laudato si’ », confie-t-elle en marchant, reconnaissant dans le texte du pape « une des contributions les plus importantes et les plus profondes à la réflexion sur le lien entre la destruction de la nature et les inégalités sociales ».

Elle ajoute : « Moi qui suis athée, j’assume totalement la dimension spirituelle de la transformation écologique : l’humilité, le refus du sur-consumérisme, l’importance donnée aux valeurs morales par rapport à la possession des choses. »

Une voie étroite

Le fondateur de « Coexister » S. Grzybowski, qui a rendu visite au pape quelques jours plus tôt le confirme : « Beaucoup de croyants sont engagés sur ces questions mais ils ne le font pas de façon « identitaire », ils sont disséminés un peu partout. Sur la question écologique, je ne vois pas l’intérêt de participer à un cortège des croyants. En revanche, cela a du sens de se structurer au sein de nos communautés pour les faire bifurquer vers l’écologie. »

Action locale et réflexion intellectuelle

Laura Morosini et les Chrétiens unis pour la Terre semblent se contenter de leur rôle : être présent dans les cortèges. « On est convaincu que même à 10, avec une banderole ou des gilets, c’est très utile. »

Le renfort d’une prise de parole officielle des Églises, notamment des évêques, serait une bonne ressource pour la cause. « Il faut que les Eglises prennent la parole, estime Laura Morosini. Le pape ne peut pas faire tout le boulot ! On a dix ans pour changer. »

Par Sixtine Chartier
Publié le 30/03/2021 dans LA VIE (extraits)

D’ici 2038, la quasi-totalité de l’humanité devrait avoir accès à la Bible

Aujourd’hui, 6,8 milliards d’êtres humains ont accès à la Bible, partiellement ou intégralement. Il reste néanmoins 246 millions de personnes n’y ayant pas accès du tout. D’ici 2038, l’Alliance biblique universelle souhaite achever 1.200 nouveaux projets de traduction afin de toucher la quasi totalité de la population mondiale.

La Bible, best-seller indémodable, reste à ce jour le livre le plus vendu de tous les temps. Au total, donc 5,6 milliards d’êtres humains y ont accès dans son intégralité. Le texte complet a été traduit dans presque 700 langues (en comptant les 245 langues des signes différentes et le braille) et plus de 1.500 langues disposent d’une traduction du Nouveau Testament — ce qui permet de toucher 805 millions de personnes.

En outre, quelque 1.100 langues disposent d’une traduction d’un élément des Écritures tel qu’un évangile ou un psaume, touchant ainsi 411 millions de personnes. Il reste donc 246 millions de personnes n’ayant pas accès du tout à la Bible.

Près de 4.000 langues avec zéro traduction.

On compte en effet près de 4.000 langues (soit plus de la moitié de celles qui ont été recensées dans le monde) sans le moindre texte biblique traduit. Au total, plus de 600 millions d’êtres humains n’ont pas du tout accès à la Parole de Dieu ou disposent seulement de quelques fragments du texte sacré. 

Il faut souligner que de grands progrès sont faits en la matière : de nombreux textes bibliques sont traduits en langue des signes, en braille, ainsi que dans des langues locales telles que le maban (langue nilo-saharienne) ou encore le blin (parlé en Érythrée).

En 2018, l’Alliance biblique universelle (ABU), un réseau mondial de sociétés bibliques actives dans plus de 200 pays, a permis des traductions dans 66 langues, dont 44 « primo-traductions ».

« Nous sommes en train de vivre un moment extraordinaire pour la traduction de la Bible : les associations bibliques et les donateurs s’associent plus efficacement que jamais auparavant et les évolutions technologiques créent des possibilités sans précédent », notait Alexander M. Schweitzer, directeur exécutif du ministère biblique de l’ABU, à l’occasion du rapport 2018 de l’institution.

Mais le compte ne suffit pas et face à cela, l’ABU s’est lancé un défi : d’ici 2038, mener à bien d’ici 1.200 nouveaux projets de traduction. De quoi permettre à quelque 600 millions de personnes, soit la quasi-totalité de l’humanité, d’avoir accès au moins en partie aux Écritures « dans la langue de leur cœur ». Si la tâche est immense, actuellement, 400 chantiers de traduction sont déjà en cours. Un sacré projet.

ALETEIA. 21 11 2019

Pape François : La destination universelle des biens et la vertu de l’espérance

« … La pandémie a souligné et aggravé les problèmes sociaux, en particulier l’inégalité. L’économie est malade. Elle est tombée malade. C’est le fruit d’une croissance économique inique qui ne tient pas compte des valeurs humaines fondamentales. Dans le monde d’aujourd’hui, quelques  personnes très riches possèdent plus que tout le reste de l’humanité. Je répète : quelques personnes très riches possèdent plus que tout le reste de l’humanité.

C’est une injustice qui crie au ciel !

Dans le même temps, ce modèle économique est indifférent aux dommages infligés à la maison commune. Nous allons bientôt dépasser un grand nombre des limites de notre merveilleuse planète, avec des conséquences graves et irréversibles : de la perte de biodiversité et du changement climatique à l’élévation du niveau des mers et à la destruction des forêts tropicales.

« Au commencement, Dieu a confié la terre et ses ressources à la gérance commune de l’humanité » ( Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2402). Mais attention à ne pas interpréter cela comme une carte blanche pour faire de la terre ce que l’on veut. Non. Il existe « une relation de réciprocité responsable » ( ibid.) entre nous et la nature.  En effet, la terre « nous précède et nous a été donnée » (ibid.), elle a été donnée par Dieu « à tout le genre humain » (CEC, n. 2402).

Il est donc de notre devoir de faire en sorte que ses fruits arrivent à tous, et pas seulement à quelques-uns.

« L’homme, dans l’usage qu’il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu’il possède légitimement comme n’appartenant qu’à lui, mais les regarder aussi comme communes : en ce sens qu’elles puissent profiter non seulement à lui, mais aussi aux autres » (Vatican II – Gaudium et spes, n. 69)

En effet, « la propriété d’un bien fait de son détenteur un administrateur de la Providence pour le faire fructifier et en communiquer les bienfaits à autrui » (CEC, n. 2404). Nous sommes administrateurs des biens, pas les propriétaires. Administrateurs. « Oui, mais ce bien est à moi ». C’est vrai, il est à toi, mais pour l’administrer, par pour le garder de façon égoïste pour toi.

La « subordination de la propriété privée à la destination universelle des biens […] est une “règle d’or” du comportement social, et le premier principe de tout l’ordre éthico-social » (LS, n. 93) (Cf.Jean-Paul II, Lettre Laborem exercens, 19).

Les propriétés, l’argent sont des instruments qui peuvent servir à la mission. Mais nous les transformons facilement en fins, individuelles ou collectives. Et lorsque cela a lieu, on porte atteinte aux valeurs humaines essentielles. Créés à l’image et ressemblance de Dieu, nous sommes des êtres sociaux, créatifs et solidaires, avec une immense capacité à aimer. Nous oublions souvent cela. De fait, nous sommes les êtres les plus coopératifs parmi toutes les espèces, et nous nous épanouissons en communauté,

Nous ne pouvons pas rester impassibles !

Quand l’obsession de posséder et de dominer exclut des millions de personnes des biens primaires ; quand l’inégalité économique et technologique est telle qu’elle déchire le tissu social ; et quand la dépendance vis-à-vis d’un progrès matériel illimité menace la maison commune, alors nous ne pouvons pas rester impassibles.

Avec le regard fixé sur Jésus (cf. He 12, 2) et la certitude que son amour œuvre à travers la communauté de ses disciples, nous devons agir tous ensemble, dans l’espérance de donner naissance à quelque chose de différent et de meilleur. L’espérance chrétienne soutient la volonté de partager, en renforçant notre mission en tant que disciples du Christ, qui a tout partagé avec nous.

Et cela, les premières communautés chrétiennes, qui comme nous, vécurent des temps difficiles, l’ont compris. Conscientes de former un seul cœur et une seule âme, elles mettaient tous leurs biens en commun, en témoignant de la grâce abondante du Christ sur elles (cf. Ac 4, 32-35).

La pandémie nous a tous plongés dans une crise.

On ne peut pas sortir pareils d’une crise : ou bien l’on sort meilleurs, ou bien l’on sort pires. Après la crise, est-ce que nous continuerons avec ce système économique d’injustice sociale et de mépris pour la sauvegarde de l’environnement, de la création, de la maison commune ? Réfléchissons-y. 

Puissent les communautés chrétiennes du 21ème siècle retrouver cette réalité – la sauvegarde de la création et la justice sociale : elles vont de pair –  en témoignant ainsi de la Résurrection du Seigneur. Si nous prenons soin des biens que le Créateur nous donne, si nous mettons en commun ce que nous possédons de façon à ce que personne ne manque de rien, alors nous pourrons véritablement inspirer l’espérance pour faire renaître un monde plus sain et plus équitable.

Et pour finir, pensons aux enfants. Lisez les statistiques : combien d’enfants, aujourd’hui, meurent de faim à cause d’une mauvaise distribution des richesses, d’un système économique que j’ai évoqué auparavant ; et combien d’enfants, aujourd’hui, n’ont pas droit à l’école, pour la même raison. Que cette image des enfants dans le besoin à cause de la faim et du manque d’éducation, nous aide à comprendre

que nous devrons sortir meilleurs de cette crise. Merci.

Audience générale 26.08. 2020

Sauver la Création

Encyclique « Laudato Si » du pape François

Le pape François a reçu en audience privée une délégation de seize Français ce jeudi 3 septembre 2020. Il a discuté avec eux de manière spontanée pendant près d’une heure autour de la thématique écologique.

Cette rencontre se voulait un prolongement des réflexions que la Conférence des Évêques de France a engagées autour de l’Encyclique Laudato si’. Elle était également l’occasion de présenter au Pape différentes personnalités engagées en faveur de l’écologie mais qui ne sont pas forcément croyantes. Parmi la délégation, figuraient notamment la comédienne Juliette Binoche, l’ancienne journaliste devenue adjointe de la maire de Paris, Audrey Pulvar, l’essayiste Pablo Servigne, l’architecte Raphaël Cornu-Thénard, l’entrepreneur Maxime de Rostolan, ou encore le père Gaël Giraud, jésuite et économiste.

« Il nous a raconté comment il a lui-même pris conscience de l’urgence écologique »

Dès le début de son intervention, le pape François a donné le manuscrit de son discours à ses interlocuteurs, privilégiant une discussion plus spontanée. « Il a dit qu’il voulait nous parler d’abondance de cœur » raconte  Laurent Landete, directeur du Collège des Bernardins et membre de la délégation. « C’est très touchant, car il nous a raconté comment il a lui-même pris conscience de l’urgence écologique, et comment il a cheminé petit-à-petit vers Laudato Si’ », ajoute-t-il.

Le pape François a ensuite évoqué les peuples d’Amazonie, et expliqué que l’écologie devait être « profondément emprise d’humanité ». Il a insisté sur l’importance du lien entre les plus jeunes et les anciens. « Le Pape nous a dit que la question de l’écologie est liée à la question de la sensibilité et de la sagesse. Cette dernière se transmet aussi grâce aux anciens », relève Laurent Landete.

Le Pape a ainsi renouvelé à tout le groupe ses encouragements pour poursuivre leurs efforts en faveur de la sauvegarde de l’environnement.

À l’issue de la rencontre, la délégation a offert plusieurs cadeaux au Souverain pontife, dont un olivier et quatre plans d’Artemisia, une plante très cultivée en Afrique car elle permettrait de lutter contre le paludisme.

Texte écrit non prononcé et remis aux participants

« Je suis heureux de vous recevoir, et je vous souhaite une cordiale bienvenue à Rome. Et je vous remercie, Monseigneur de Moulins Beaufort, d’avoir pris l’initiative de cette rencontre suite aux réflexions que la Conférence des Evêques de France a menées autour de l’Encyclique Laudato si’,

Nous faisons partie d’une unique famille humaine, appelés à vivre dans une maison commune dont nous constatons, ensemble, l’inquiétante dégradation. La crise sanitaire que traverse actuellement l’humanité nous rappelle notre fragilité. Nous comprenons à quel point nous sommes liés les uns aux autres, insérés dans un monde dont nous partageons le devenir, et que le maltraiter ne peut qu’entraîner de graves conséquences, non seulement environnementales, mais aussi sociales et humaines.

Il est heureux qu’une prise de conscience de l’urgence de la situation apparaisse désormais un peu partout, que le thème de l’écologie imprègne de plus en plus les mentalités à tous les niveaux et commence à avoir une influence sur les choix politique et économiques, même s’il reste beaucoup à faire et si nous assistons à trop de lenteurs et même de retours en arrière.

Pour sa part, l’Eglise catholique veut être pleinement participante à l’engagement pour la sauvegarde de la maison commune. Elle n’a pas de solutions toutes faites à proposer et elle n’ignore pas les difficultés des enjeux techniques, économiques et politiques, ni tous efforts que cet engagement entraîne. Mais elle veut agir concrètement là où cela est possible, et elle veut surtout former les consciences en vue de favoriser une profonde et durable conversion écologique, seule capable de répondre aux défis importants qui se présentent à nous.

Sur cette question de la conversion écologique, je voudrais vous partager la manière dont les convictions de foi offrent aux chrétiens de grandes motivations pour la protection de la nature, ainsi que des frères et des sœurs les plus fragiles, car je suis sûr que la science et la foi, qui proposent des approches différentes de la réalité, peuvent développer un dialogue intense et fécond (cf. Laudato si’, n. 62).

La Bible nous enseigne que le monde n’est pas né du chaos ou du hasard, mais d’une décision de Dieu qui l’a appelé et toujours l’appelle à l’existence, par amour. L’univers est beau et bon, sa contemplation nous permet d’entrevoir la beauté et la bonté infinies de son Auteur. Chaque créature, même la plus éphémère, est l’objet de la tendresse du Père qui lui donne une place dans le monde. Le chrétien ne peut que respecter l’œuvre que son Père lui a confiée comme un jardin à cultiver, à protéger, à développer dans ses potentialités.

Et si l’homme a le droit d’user de la nature à ses fins, il ne peut, en aucune manière, s’en croire le propriétaire ni le despote, mais seulement l’intendant qui devra rendre des comptes de sa gestion. Dans ce jardin que Dieu nous offre, les hommes sont appelés à vivre en harmonie dans la justice, la paix et la fraternité, idéal évangélique que propose Jésus (cf. LS, n. 82). Et lorsque l’on considère la nature uniquement comme un objet de profit et d’intérêt – une vision qui consolide l’arbitraire du plus fort – alors l’harmonie est rompue et de graves inégalités, injustices et souffrances apparaissent.

…Tout est donc lié. Ce sont la même indifférence, le même égoïsme, la même cupidité, le même orgueil, la même prétention à se croire le maître et le despote du monde, qui portent les hommes : d’un côté à détruire les espèces et piller les ressources naturelles, et, d’un autre côté, à exploiter la misère, abuser du travail des femmes et des enfants, renverser les lois de la cellule familiale, ne plus respecter le droit à la vie humaine depuis sa conception jusqu’à son achèvement naturel.

Ainsi, «si la crise écologique est l’éclosion, une manifestation extérieure d’une crise éthique, culturelle, spirituelle, nous ne pouvons pas prétendre soigner notre relation à la nature sans assainir toutes les relations fondamentales de l’être humain » (LS, n. 119).

Il n’y aura donc pas de nouvelle relation avec la nature sans un être humain nouveau, et c’est en guérissant le cœur de l’homme que l’on peut espérer guérir le monde de ses désordres tant sociaux qu’environnementaux.

Alors que l’état de la planète peut sembler catastrophique et que certaines situations paraissent même irréversibles, nous, les chrétiens, gardons toujours l’espérance, car nous avons le regard tourné vers Jésus-Christ. Il est Dieu, le Créateur en personne, venu visiter sa création et habiter parmi nous (cf. LS nn. 96-100), afin de nous guérir, nous faire retrouver l’harmonie que nous avons perdue, harmonie avec nos frères, harmonie avec la nature. « Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins » (LS, n. 245).

Je demande à Dieu de vous bénir, et s’il vous plait, je vous demande de prier pour moi. »

Pape François

Les plus beaux textes du pape François écrits pendant le confinement

Les éditions Bayard publient « La force dans l’épreuve », un ouvrage qui rassemble les huit textes parmi les plus inspirants du pape François écrits ou prononcés au plus fort de la crise sanitaire en Europe provoquée par l’épidémie de Covid-19.

Entre le mois de mars et le mois de mai dernier, alors que l’Europe était engluée dans la crise du coronavirus, le pape François a délivré plusieurs homélies et discours qui ont marqué les esprits. C’est la raison pour laquelle le Vatican a accepté de publier certains d’entre eux dans un livre intitulé « La force dans l’épreuve ». Le lecteur pourra à cette occasion retrouver la très puissante méditation qu’il avait proposé le soir de sa bénédiction Urbi et Orbi historique, le 27 mars 2020, donnée depuis une place Saint-Pierre déserte, sa lettre aux mouvements populaires du 12 avril dernier ou encore son message aux vendeurs de journaux du 27 avril.

Figure en outre sa missive écrite à son ami juge de Buenos Aires (Argentine) dans laquelle il salue les gouvernements ayant pris des mesures exemplaires pour lutter contre le coronavirus.
 
Au travers de ce corpus de textes, le pape François « relie tout le monde dans une humanité et un esprit communs » et met « au défi d’oser faire le bien, de faire mieux », estime le cardinal Michael Czerny, dans la préface de cet ouvrage. « Parce que le monde post-COVID-19 doit être façonné » par tous, les messages du pontife ont selon lui une portée universelle.

Le Saint-Père encourage les catholiques dans leur foi et donne des clés pour envisager sereinement la période après la pandémie. Il plaide aussi pour l’assouplissement des sanctions internationales, l’allégement de la dette des pays pauvres et l’instauration d’un cessez-le-feu mondial.

Supplication au Seigneur pour la guérison d’un monde blessé et souffrant

A chaque fois, François parvient à exprimer la proximité et la tendresse de Dieu en un temps de douleur, de solitude et de peur, montrant par- là que «l’espérance est contagieuse», comme l’indique le bandeau du livre.  

«Le Pape parle des besoins et des souffrances des personnes dans leurs diverses situations locales d’une manière très personnelle, sincère, engagée et pleine d’espérance. Ce sont des messages « vraiment universels », non seulement parce que le « virus menace tout le monde » mais « surtout parce que le monde post-COVID-19 doit être façonné par tout le monde »». Ces textes présentent une approche «chaleureuse et inclusive». François, «relie tout le monde dans une humanité et un esprit communs», «met tout le monde au défi d’oser faire le bien, de faire mieux».

Sans Jésus, nous ne pouvons rien faire

Quand François nous parle de la mission

Dans un ouvrage paru aux éditions Bayard, le pape François échange avec le journaliste italien Gianni Valente sur une thématique qui lui tient à cœur depuis le début de son pontificat: être missionnaire aujourd’hui dans le monde. Et selon François, « sans Jésus, nous ne pouvons rien faire ».

Extraits choisis

Éprouver le vertige

Que devient une Église si elle n’annonce pas et ne sort pas? demande le journaliste. Ce à quoi François répond: « Elle devient une association spirituelle. Une multinationale destinée à lancer des initiatives et des messages au contenu éthique et religieux. Il n’y a là rien de mal, mais ce n’est pas l’Église. Il s’agit d’un risque lié à toute organisation statique dans l’Église. On finit par domestiquer le Christ. Vous ne portez plus témoignage de ce que fait le Christ, mais vous parlez au nom d’une certaine idée du Christ. »

François insiste sur cette idée, plus loin dans le livre: « La mission n’est pas un projet d’entreprise bien réglé. » C’est avant tout l’Esprit Saint qui doit inspirer le missionnaire. Cela peut provoquer un certain ‘vertige’, en présence des paroles du Christ, mais c’est ce vertige qui confère toute sa fécondité à la mission: « Sans moi, vous ne pouvez rien faire », dit Jésus à ses disciples (Jean 15, 5)

L’attraction du Christ

Comment définir et comprendre la mission et l’annonce de l’Évangile?
Pour François, la seule phrase « Attire-moi » éclaire tout. « […] Si c’est le Christ qui vous attire et que vous agissez parce que vous êtes attiré par le Christ, les autres n’ont aucune peine à s’en rendre compte » . Il n’est pas nécessaire de le démontrer et encore moins d’en faire parade, ajoute le saint Père. Il souligne aussi que c’est toujours le Seigneur qui prend l’initiative, « c’est toujours lui qui commence ».

« Il y a du prosélytisme partout où se trouve l’idée de faire croître l’Église en se passant de l’attraction du Christ et de l’œuvre de l’Esprit […]. » Il condamne à nouveau cette manière d’agir: « Il [le prosélytisme] ne supporte pas la liberté et la gratuité avec lesquels la foi peut se transmettre, par la grâce, de personne à personne. »

État permanent

Que veut dire annoncer l’Évangile?

« Annoncer l’Évangile signifie transmettre à l’aide de mots sobres et précis le témoignage du Christ comme le firent les apôtres ». Mais « la répétition littérale de l’annonce n’a pas d’efficacité en elle-même et peut tomber dans le vide si les personnes à qui elle s’adresse n’ont pas l’occasion de rencontrer et de goûter d’une manière ou d’une autre la tendresse de Dieu pour eux […] ».

Dans « Evangelii Gaudium » (La joie de l’Évangile), François écrivait que même les activités ordinaires pouvaient être vécues de manière missionnaire. « La condition ordinaire est pour tous le lieu où l’on peut vivre la vocation missionnaire de chaque baptisé. […] Cela signifie être en ‘état permanent’ de mission. […] Il suffit de vivre la vie comme elle vient, de vivre de manière missionnaire les gestes les plus habituels, les occupations les plus ordinaires, au milieu des personnes que le Seigneur nous fait rencontrer. »

Évangile et cultures

François s’exprime également sur la notion d’inculturation et sur la mondialisation. En adoptant les valeurs des différentes cultures, l’Église ne peut que s’embellir en devenant « l’épouse qui se pare de ses bijoux, comme l’évoque le prophète Isaïe ». Et nous devons garder à l’esprit que le message révélé ne s’identifie à aucune culture. Et les chrétiens n’ont pas à imposer une forme culturelle déterminée en même temps que la proposition évangélique. Dès lors, un missionnaire doit s’alléger de sa propre culture pour rencontrer celle de l’autre.

Sur la mondialisation, François explique: « En soi, elle n’est pas une mauvaise chose. Elle peut devenir une menace si on la met en avant avec l’intention de tout aplatir, de tout uniformiser, comme s’il s’agissait d’une sphère où sont effacées les richesses et les particularités de chacun des peuples. »

A cette image, le pape préfère celle d’un polyèdre où toutes les facettes sont unies mais où chacune conserve sa spécificité. Et face aux mouvements de population induits par la mondialisation, « les chrétiens ne devraient pas avoir peur de ces phénomènes qui ouvrent de nouveaux chemins et de nouvelles possibilités à l’annonce de l’Évangile » .

Enfin, aujourd’hui, il semble urgent de préserver le cœur de la mission en évitant de la présenter comme une forme de colonisation idéologique, même masquée. « Il ne s’agit en fait que de proposer le Christ. Dire qu’aujourd’hui, nous avons la possibilité de le suivre. »

 

Sophie DELHALLE – Cathobel –   4 mai 2020

 

« Sans Jésus, nous ne pouvons rien faire. Être missionnaire aujourd’hui dans le monde » – Pape François avec Gianni Valente, éd. Bayard, 2020, 13 euros.

Trinité et Création

Finale de l’exhortation du pape François «Laudato Si»

5ème anniversaire

238. Le Père est l’ultime source de tout, fondement aimant et communicatif de tout ce qui existe. Le Fils, qui le reflète, et par qui tout a été créé, s’est uni à cette terre quand il a été formé dans le sein de Marie. L’Esprit, lien infini d’amour, est intimement présent au cœur de l’univers en l’animant et en suscitant de nouveaux chemins.

Le monde a été créé par les trois Personnes comme un unique principe divin, mais chacune d’elles réalise cette œuvre commune selon ses propriétés personnelles. C’est pourquoi « lorsque […] nous contemplons avec admiration l’univers dans sa grandeur et sa beauté, nous devons louer la Trinité tout entière » (Jean-Paul II).

239. Pour les chrétiens, croire en un Dieu qui est un et communion trinitaire, incite à penser que toute la réalité contient en son sein une marque proprement trinitaire. Saint Bonaventure nous enseigne que toute créature porte en soi une structure proprement trinitaire, si réelle qu’elle pourrait être spontanément contemplée si le regard de l’être humain n’était pas limité, obscur et fragile. Il nous indique ainsi le défi d’essayer de lire la réalité avec une clé trinitaire.

240. Les Personnes divines sont des relations subsistantes, et le monde, créé selon le modèle divin, est un tissu de relations. Les créatures tendent vers Dieu, et c’est le propre de tout être vivant de tendre à son tour vers autre chose, de telle manière qu’au sein de l’univers nous pouvons trouver d’innombrables relations constantes qui s’entrelacent secrètement (S. Thomas d’Aquin).

Cela nous invite non seulement à admirer les connexions multiples qui existent entre les créatures, mais encore à découvrir une clé de notre propre épanouissement.

En effet, plus la personne humaine grandit, plus elle mûrit et plus elle se sanctifie à mesure qu’elle entre en relation, quand elle sort d’elle-même pour vivre en communion avec Dieu, avec les autres et avec toutes les créatures. Elle assume ainsi dans sa propre existence ce dynamisme trinitaire que Dieu a imprimé en elle depuis sa création.

Tout est lié, et cela nous invite à mûrir une spiritualité de la solidarité globale qui jaillit du mystère de la Trinité.

Marchons en chantant

243. A la fin, nous nous trouverons face à face avec la beauté infinie de Dieu et nous pourrons lire, avec une heureuse admiration, le mystère de l’univers qui participera avec nous à la plénitude sans fin.

Oui, nous voyageons vers le sabbat de l’éternité, vers la nouvelle Jérusalem, vers la maison commune du ciel. Jésus nous dit : « Voici, je fais l’univers nouveau ». La vie éternelle sera un émerveillement partagé, où chaque créature, transformée d’une manière lumineuse, occupera sa place et aura quelque chose à apporter aux pauvres définitivement libérés.

244. Entre-temps, nous nous unissons pour prendre en charge cette maison qui nous a été confiée, en sachant que tout ce qui est bon en elle sera assumé dans la fête céleste. Ensemble, avec toutes les créatures, nous marchons sur cette terre en cherchant Dieu, parce que « si le monde a un principe et a été créé, il cherche celui qui l’a créé, il cherche celui qui lui a donné un commencement, celui qui est son Créateur » (St Basile).

Marchons en chantant ! Que nos luttes et notre préoccupation pour cette planète ne nous enlèvent pas la joie de l’espérance.

245. Dieu qui nous appelle à un engagement généreux, et à tout donner, nous offre les forces ainsi que la lumière dont nous avons besoin pour aller de l’avant. Au cœur de ce monde, le Seigneur de la vie qui nous aime tant, continue d’être présent. Il ne nous abandonne pas, il ne nous laisse pas seuls, parce qu’il s’est définitivement uni à notre terre, et son amour nous porte toujours à trouver de nouveaux chemins. Loué soit-il.

Chaque génération se croit vouée à refaire le monde.
La mienne sait pourtant qu’elle ne le refera pas.
Mais sa tâche est peut-être plus grande.
Elle consiste à empêcher que le monde se défasse.

Albert Camus – Discours de réception du Prix Nobel – 10 12 1957

246. Après cette longue réflexion, à la fois joyeuse et dramatique, je propose deux prières : l’une que nous pourrons partager, nous tous qui croyons en un Dieu Créateur Tout-Puissant ; et l’autre pour que nous, chrétiens, nous sachions assumer les engagements que nous propose l’Évangile de Jésus, en faveur de la création.

Prière chrétienne avec la création

Nous te louons, Père, avec toutes tes créatures, qui sont sorties de ta main puissante.
Elles sont tiennes, et sont remplies de ta présence comme de ta tendresse.
Loué sois-tu.

Fils de Dieu, Jésus, toutes choses ont été créées par toi.
Tu t’es formé dans le sein maternel de Marie, tu as fait partie de cette terre,
et tu as regardé ce monde avec des yeux humains.
Aujourd’hui tu es vivant en chaque créature
avec ta gloire de ressuscité.
Loué sois-tu.

Esprit-Saint, qui par ta lumière orientes ce monde vers l’amour du Père
et accompagnes le gémissement de la création,
tu vis aussi dans nos cœurs pour nous inciter au bien.
Loué sois-tu.

Ô Dieu, Un et Trine, communauté sublime d’amour infini, apprends-nous à te contempler
dans la beauté de l’univers, où tout nous parle de toi.

Éveille notre louange et notre gratitude pour chaque être que tu as créé.
Donne-nous la grâce de nous sentir intimement unis à tout ce qui existe.

Dieu d’amour, montre-nous notre place dans ce monde
comme instruments de ton affection pour tous les êtres de cette terre,
parce qu’aucun n’est oublié de toi.

Illumine les détenteurs du pouvoir et de l’argent pour qu’ils se gardent du péché de l’indifférence,
aiment le bien commun, promeuvent les faibles, et prennent soin de ce monde que nous habitons.

Les pauvres et la terre implorent :
Seigneur, saisis-nous par ta puissance et ta lumière
pour protéger toute vie, pour préparer un avenir meilleur,
pour que vienne ton Règne de justice, de paix, d’amour et de beauté.
Loué sois-tu.
Amen.

Donné à Rome, le 24 mai 2015, solennité de Pentecôte,
Pape François

L’humanité doit changer

Le cri du pape François en faveur de notre planète

Il faut relire la magnifique encyclique du pape François sur l’écologie
avec le projet de décider, nous chrétiens, les changements immédiats.

Empruntant les belles invocations du Cantique des créatures de saint François, « Laudato si » s’inscrit d’emblée dans la lignée franciscaine, louant les beautés de la nature, notre maison commune, notre sœur, avec laquelle nous partageons notre existence. « Loué sois-tu mon Seigneur pour sœur notre mère la terre, qui nous soutient et nous gouverne, et produit divers fruits avec les fleurs colorées et l’herbe », chantait hier François d’Assise. Aujourd’hui, notre sœur souffre et gémit, la maison va mal, et ses habitants aussi.

Le pape François n’est pas le premier pape à s’élever avec autant de force contre la dégradation de la planète et l’exploitation éhontée des ressources naturelles. Dès le concile Vatican II, la conscience écologique de l’Église s’est affirmée et tous les papes se sont largement exprimés sur le sujet. Mais cette encyclique est la première à aborder le sujet de façon aussi approfondie, faisant du souci écologique bien plus qu’une simple inquiétude de surface : une véritable angoisse pour les générations à venir, un appel vibrant à la conversion. L’écologisme intégral dont parle François se déploie dans toutes les directions : économique, politique, religieuse. Ce texte s’appuie, entre autre, sur les travaux des conférences épiscopales d’Amérique latine, qui depuis des années s’élèvent contre l’exploitation des terres et de leurs habitants.

Construit autour de 6 chapitres, ce texte, au ton souvent dramatique, se décline comme une vaste fresque d’un monde post industriel qui a fait de la croissance économique son moteur principal, n’écoutant ni la clameur des pauvres, ni les gémissements d’une planète à bout de souffle. Conscient de la complexité des problèmes, le pape François y lance un appel pressant pour que tous, dirigeants politiques, financiers, économiques, et simples citoyens dialoguent, agissent et… changent de vie.    

Chapitre 1 : ce qui se passe dans notre maison

Pollution, culture du déchet, réchauffement climatique, déforestation, extinction des espèces, problème de l’eau, dans ce premier chapitre le pape revient longuement sur la dégradation de notre environnement, qui va de pair avec la dégradation sociale. Car, rappelle François, nous ne pouvons aujourd’hui parler d’environnement sans écouter la clameur de la terre et la clameur des pauvres, exposés à toutes sortes de trafics et à la perte d’identité. «Ces situations provoquent les gémissements de sœur terre qui se joignent aux gémissements des abandonnés du monde» : situations insoutenables, qui peuvent conduire à de nouvelles guerres. Bien sûr, avance le pape, l’espérance chrétienne invite à reconnaître qu’il y a toujours une porte de sortie, mais reprend-il avec un ton presque douloureux, reconnaissons que «l’actuel système mondial est insoutenable» et que «la croissance n’a pas eu de retentissement sur la vie quotidienne de certaines populations marginalisées». 

Chapitre 2 : l’Evangile de la création

Après un premier chapitre au scénario catastrophe, le second revient longuement, et souvent de façon lyrique, sur les textes bibliques dont la sagesse a traversé les siècles et qui peuvent encore nous parler. Oui, nous avons été créés, par amour, par un père créateur et unique maître du monde, attaché à la plus petite et insignifiante de ses créatures. Ce créateur nous a confié un monde fragile, interpellant notre esprit pour «reconnaître comment nous devrions orienter, cultiver et limiter notre intelligence. « Ce monde, qui a encore besoin de développement, nous est confié et nous marchons avec lui vers la plénitude de Dieu »où le Christ ressuscite embrasse et illumine tout«. Ce chapitre, où Teilhard de Chardin est cité, a des accents très franciscains. Le pape évoque « l’univers matériel qui est un langage de l’amour de Dieu, de sa tendresse démesurée pour nous. Le sol, l’eau, les montagnes, tout est caresse de Dieu ». Comment, se demande alors  François, « être écologiste sans avoir un amour sincère pour tous les êtres humains ? » Tout est lié et comme êtres humains, nous sommes tous unis comme des frères et des sœurs, »dans un merveilleux pèlerinage, entrelacés par l’amour que Dieu porte à chacune de ses créatures et qui nous unit aussi avec une tendre affection à frère soleil, à sœur lune, à sœur rivière, et à la mère terre ». 

Chapitre 3 : la racine humaine et la crise écologique

Dans ce chapitre qui tranche avec la douceur et la tendresse du précédent, le pape revient sur le paradigme technocratique dominant et la place de l’être humain et de son action dans le monde.
Ne reniant pas le «merveilleux» de l’activité humaine et la créativité de tous ceux qui ont permis les progrès de l’humanité, le pape revient longuement sur cette technique qui donne à l’homme «un terrible pouvoir». Hier l’homme accompagnait la nature, aujourd’hui, il l’écrase. «Voilà pourquoi l’être humain et les choses ont cessé de se tendre amicalement la main». On presse les biens de la planète au-delà des limites. Cette logique de domination de la technique étend son emprise sur le politique et l’économie sans prêter attention aux conséquences négatives sur l’environnement. Et le pape de fustiger la théorie «bien installée selon laquelle la croissance des marchés est une solution aux problèmes de la misère».

C’est ici que le pape revient sur la présentation inadéquate à ses yeux d’une anthropologie chrétienne qui conduit  à soutenir que l’homme doit dominer la nature : «un rêve prométhéen de domination sur le monde qui a donné l’impression que la sauvegarde de la  nature est pour les faibles». L’homme n’est pas «le seigneur de l’univers, il en est l’administrateur responsable».

Dans ce chapitre, François revient sur cette conception qui lui est chère et que l’on retrouve souvent dans ce texte : tout est lié. Et la crise écologique est une manifestation de la crise culturelle éthique et spirituelle de la modernité.

Ce pouvoir de l’homme sur la nature, souvent dénoncé par le pape, a pour lui des conséquences désastreuses sur un style de vie qu’il qualifie de «dévié» c’est-à-dire en proie au «relativisme pratique» qui fait qu’on ferme les yeux sur l’exploitation des enfants, la traite d’êtres humains, la criminalité organisée, le narcotrafic, le commerce d’animaux en voie d’extinction… tout cela donne une culture corrompue, une logique du «utilise et jette» qui engendre tant de désastres.

Et de terminer  sur cette crise socio environnementale qui requiert «une approche intégrale pour combattre la pauvreté, rendre la dignité aux exclus et simultanément, préserver la nature» car, encore une fois, tout est lié… 

Chapitre 4 : une écologie intégrale

Voici une expression chère au pape, sur laquelle il revint longuement dans ce chapitre, dans lequel il s’adresse plus précisément aux organisations politiques. Peut-on espérer que la législation et les normes relatives à l’environnement soient bien efficaces ? Pouvons-nous être sûrs que certains pays ne violent pas systématiquement les lois existantes ? Comment prendre en compte la construction de nouvelles villes, comment respecter les cultures locales, préserver les richesses des peuples ? Nous courons vers l’homogénéisation si préjudiciable à l’harmonie des cultures. Et le pape de s’alarmer contre les grandes mégapoles, bruyantes, polluées, dont les habitants les plus pauvres s’entassent dans des quartiers insalubres. Nous avons besoin du beau, ne cesse de dire François, nous avons besoin de nous sentir à la maison, besoin de nous sentir en harmonie avec notre loi morale inscrite au fond de nous. C’est cela aussi qui fonde notre dignité.

Allons-nous alors changer de style de vie ? Quel monde allons-nous laisser à nos enfants ? C’est avec des mots très forts et presque désespérés que François conclut ce chapitre.  «L’homme et la femme post modernes courent le risque  permanent de devenir profondément individualistes, et beaucoup de problèmes sociaux sont liés à la vision égoïste actuelle axée sur l’immédiateté, aux crises des liens familiaux et sociaux, aux difficultés de la reconnaissance de l’identité». 

Chapitre 5 : quelques lignes d’orientation et d’action

Dans ce chapitre, le pape donne des conseils qui permettraient de sortir de cette spirale d’autodestruction dans laquelle nous nous sommes engagés. C’est un chapitre très politique dans lequel  il invite les gouvernants à plus de transparence et de souci du bien commun.
Il revient longuement sur les efforts du mouvement écologique mondial et les sommets mondiaux de ces dernières années. Il se félicite des avancées dans certaines stratégies écologiques et dans l’imposition de mesures adéquates. Mais il déplore un affaiblissement des États nationaux du fait de la finance et de l’économie qui a pris le pas sur la politique.

C’est avec force qu’il invite à un travail honnête et transparent pour que les besoins particuliers ne prennent pas le pas sur le bien commun. Et de prôner «une certaine décroissance dans quelques parties du monde mettant à disposition des ressources pour une saine croissance en d’autres parties». 

Chapitre 6 : éducation et spiritualité écologique

L’humanité doit changer et prendre un nouveau départ. C’est là la conclusion du pape. Et de donner des pistes pour un nouveau style de vie. Responsabilité des consommateurs, éducation à de nouveaux comportements, susciter une culture de vie au sein même de nos familles, éveiller au beau. François réveille nos consciences et appelle aussi l’Église à plus d’austérité responsable. Ce chapitre est l’occasion de tracer les lignes «d’une spiritualité de la sobriété, de la capacité à jouir de peu» et du retour à la simplicité. Il cite longuement et à plusieurs reprises sainte Thérèse et sa petite voie de l’amour, ainsi que Jean de la Croix qui enseigne qu’on ne peut rien admirer sans admirer la grandeur de Dieu. C’est ainsi que le pape appelle tous les hommes à œuvrer pour le bien de la terre, là où ils trouvent. Ce travail et cette attention sont pour lui un chemin de vie spirituelle et d’avancée vers Dieu.

Il termine par deux belles prières pour notre terre et avec la création.

 

Sophie de Villeneuve
LA CROIX – 23 mai 2020

“Laudato Si” est disponible sur le net ainsi que d’autres appels de François pour l’écologie.

Yuval Harari et le pape François

Deux lectures « prophétiques » pour temps de confinement

Voici cinq ans, deux essais sur l’avenir du monde étaient unanimement salués par la critique : ils sont pourtant aux antipodes l’un de l’autre. Le coronavirus a tranché : c’est l’encyclique qui voyait juste !


… Si vous les avez en votre possession, je vous conseille de reprendre deux ouvrages publiés la même année, 2015.
Le premier est un essai devenu rapidement un best-seller mondial : Homo Deus. Une brève histoire du futur (Albin Michel) de l’essayiste israélien Yuval Noah Harari. Le second est un document pontifical, dont le retentissement a largement dépassé les milieux catholiques : l’encyclique Laudato si’ du pape François (Bayard, Cerf, Mame).

Deux styles très différents, deux perspectives très différentes aussi ; mais pour les deux publications, un même accueil favorable de la critique qui a salué ces ouvrages comme « prophétiques ». Cinq ans après, alors que l’épidémie de Covid-19 a mis une bonne partie du monde à l’arrêt, qu’en est-il exactement ?

Harari : finies, les épidémies !

Dans son essai, Harari entend dévoiler le « nouvel ordre du jour humain ». Alors que pendant des millénaires et sous toutes les latitudes, elle a dû lutter contre les mêmes fléaux — famines, épidémies et guerres —, l’humanité se réveille aujourd’hui encore un peu hagarde et se découvre un nouvel avenir. Les hommes sont enfin sur le point de se hisser au niveau des dieux : l’homo sapiens va laisser la place à l’homo deus, doté de pouvoirs littéralement divins de création et de destruction. Le vieux rêve de l’immortalité est à portée de main grâce à l’irruption prochaine de la vie dans l’immensité du champ inorganique. Harari en est convaincu, les vieux maux du passé sont en voie d’extinction rapide. « L’ère où l’humanité était démunie face aux épidémies naturelles est probablement révolue », assène l’écrivain.

Plus encore que le démenti apporté par les faits, c’est le triomphalisme de l’ouvrage qui nous heurte aujourd’hui, alors que le monde entier, paralysé, barricadé et tétanisé, plie le genou. L’essayiste aura au moins vu juste sur un point : l’humanité se réveille difficilement et voit son programme habituel profondément bouleversé. Pour le reste, nous sommes bien loin de la justesse d’analyse d’un Orwell dans 1984. Le livre semble plutôt habité par ce que les anciens Grecs nommaient l’hybris, ce sens de la démesure, de l’excès. Homo deus : une percée fulgurante qui fascine un court instant avant de s’abîmer dans l’immense océan des prédictions démenties.

François : « Tout est lié »

Au même moment, le pape François offrait au monde l’encyclique Laudato si’. Le propos y est nettement moins ambitieux, mais plus ample et plus profond. Avec vigueur, François y appelle au respect de notre « maison commune », l’oikos en grec, terme qui a donné en français « écologie ». Il y souligne l’importance d’une collaboration internationale pour préserver et construire cette maison.

La dislocation en quelques semaines, voire quelques jours, de toutes les solidarités internationales face à l’épidémie de coronavirus, un problème pourtant mondial, montre que nous sommes encore bien loin du compte.

Et s’il ne faut pas chercher dans l’encyclique des réponses à toutes les questions que la crise actuelle ne manque pas de susciter, nul doute que les lignes de force du texte pontifical — la restauration du lien à l’oikos, la maison, la Terre, notre terre ; l’établissement d’authentiques collaborations à tous les échelons pour construire un projet commun ; la redécouverte d’une certaine sobriété dans nos modes de vie… — n’acquièrent dans les mois et années à venir une acuité toute particulière.

La voie de l’humilité

C’est finalement tout notre rapport à la terre qui est aujourd’hui interrogé. Là où Harari appelait à « se libérer de la terre » (sic), François nous rappelle que nous en sommes étroitement solidaires, pour le meilleur comme pour le pire. Tout est lié. L’hybris s’efface devant le soin humble, persévérant et modeste apporté à l’oikos. Alors, un conseil, si, à tout hasard, vous retrouvez chez vous ces deux livres, commencez plutôt par Laudato si’ !

Bertrand Lesoing – Aleteia – 25 mars 2020