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L’HEURE DU GRAIN DE BLÉ
Pâque : la modeste capitale de Jérusalem est envahie, surchargée de pèlerins venus de partout pour commémorer pendant 8 jours l’Exode, la libération des ancêtres hébreux, gage de toutes les libérations postérieures. Et de celle qu’on attend aujourd’hui de ce Jésus qui est peut-être le Messie attendu.
Avec son affirmation d’un Dieu unique, sans image ni statue, la grandeur de sa morale et le témoignage de sa prière, la religion juive impressionnait beaucoup de gens du bassin méditerranéen. Et si peu d’entre eux se convertissaient à fond (en acceptant la circoncision et la nourriture casher), au moins ils fréquentaient les synagogues et, sollicités par leurs amis juifs, ils se joignaient parfois à eux pour les trois grands pèlerinages obligatoires à Jérusalem : Pâque, Pentecôte, Tentes.
Lorsque Jésus fait son entrée en ville, monté sur un âne, certains de ces « Grecs » s’étonnent devant le petit cortège enthousiaste qui se forme autour de Jésus. Qui est cet inconnu dont ils n’ont jamais entendu parler et qui semble une célébrité ? Comme on leur montre deux disciples de ce personnage qui portent des prénoms grecs (Philippe et André), ils passent par eux pour obtenir un entretien.
Choc !: la demande de ces étrangers est comprise par Jésus comme le signal de Dieu :
« L’Heure est venue où le Fils de l’homme doit être glorifié ».
Le thème de l’HEURE court tout au long de l’évangile. Dès le début, à Cana, Jésus a répondu à sa mère que son Heure n’était pas venue ; ensuite Jean répètera ce refrain : on voulait l’arrêter mais « ce n’était pas son Heure » (8, 20…).
Jésus ne décide pas lui-même des orientations de son existence. Son Père lui a confié une mission et c’est lui qui a fixé le Jour J, l’Heure H où son Fils doit achever cette œuvre ultime. La demande des étrangers sonne la venue de cette Heure. Oui le Père veut que tous les hommes, et pas seulement ceux d’Israël, « voient Jésus », voient qui il est, l’écoutent, le croient, reçoivent son salut.
Déjà, dans la rencontre avec la femme, Jésus avait renversé la barrière dressée entre Juifs et Samaritains ; avec l’aveugle-né, il avait renversé la barrière entre les bien-portants et les handicapés exclus du temple ; maintenant il déclare que sa Passion-Glorification va renverser le mur entre Israël et les Nations. La croix sera l’Heure de l’Internationale et provoquera des lendemains qui chantent dans toutes les langues (Comme disait E. Mounier, le communisme était une idée chrétienne devenue folle)
Des multitudes voudraient « voir Jésus », savoir qui il est, le découvrir, le croire. Le mur que nous imaginons entre eux et nous n’existe plus ou il n’est dû qu’à notre indifférence, à notre enfermement dans nos lieux clos. Ecoutons leurs cris, leurs appels. Sortons de nos huis-clos, répète François.
SI LE GRAIN NE MEURT
« Le Fils de l’homme doit être glorifié » : la prophétie de Daniel 7 va se réaliser mais à quel prix ! Tout de suite Jésus enchaîne avec un double « amen », signe de certitude et de solennité.
Amen, amen, je vous le dis : si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruit.
Qui aime sa vie la perd ; qui s’en détache en ce monde la gardera pour la vie éternelle. Si quelqu’un veut me servir, qu’il me suive ; et là où moi je suis, là aussi sera mon serviteur. Si quelqu’un me sert, mon Père l’honorera
Dans les évangiles, Jésus prononçait des paroles tel un semeur qui lance ses semences. Ici il se compare lui-même à ce grain de blé. Tel qu’il est, homme parmi les hommes, il est-avec les autres, il est auprès d’eux…mais, comme chacun de nous il est seul, séparé.
Maintenant, il en est certain, la mort approche. Terrifiante perspective. Mais il va se donner pour les hommes, donc il resurgira de la terre, il deviendra communion avec les hommes, tous les hommes de tous les pays, de tous les temps. Il portera à l’infini des fruits de bonté, de tendresse, de réconciliation, de service, de tendresse…
Et ses disciples ne resteront pas spectateurs passifs de ce don sur la croix : eux aussi, chacun à son tour, se devront de mourir à leur solitude, à leur enfermement afin de se donner à l’amour. Alors ils seront pour toujours avec leur Seigneur et ils seront comblés par l’Honneur, la Lumière du Père.
L’AGONIE EN PUBLIC
Notre habitude de considérer Jésus comme « Notre Seigneur », « Fils de Dieu » promis à la Résurrection nous conduit souvent à minoriser son humanité. Comme si sa qualité divine lui avait permis de supporter mieux que nous la souffrance. Or c’est le contraire qui est vrai.
Plus un homme est saint, plus il communie à l’amour infini, plus il devient sensible, plus son âme réagit profondément aux émotions. Au contraire, celui qu’on appelle justement « un dur à cuire » n’a plus la même vulnérabilité. C’est sans doute pour cette raison qu’on nous apprend à « nous endurcir », comme pour nous blinder devant les coups de la vie.
Jésus, lui, parfaitement pur, tendresse infinie, était percé par une remarque désobligeante, bouleversé par un sourire narquois, une injure, une gifle. C’est pourquoi l’évocation de sa chute toute proche dans le brasier infernal de sa passion le chavire, le transperce, le démolit.
Et alors que les autres évangélistes ne parleront de son agonie qu’à Gethsémani, dans la nuit du mont des Oliviers, Jean nous dit que c’est déjà ici, en plein milieu des vivats de la foule – ce qui rend la scène d’autant plus dramatique-, que Jésus, qui n’est pas dupe de ce triomphe, blêmit et subit une attaque violente de son instinct vital :
Maintenant mon âme est bouleversée. Que vais-je dire ? « Père, sauve-moi de cette Heure ? »…Mais non : c’est pour cela que je suis parvenu à cette Heure ! …Père, glorifie ton Nom. Une voix du ciel dit : « Je l’ai glorifié et le glorifierai encore »
Oui il est normal d’avoir peur, de trembler, d’avoir des sueurs froides devant le mal qui approche. Ne nous reprochons pas nos paniques devant l’apparition des maladies, des dangers, des ennemis.
Jésus lui-même, qui sait que cette même foule, dans quelques jours, criera « A mort », que ses disciples s’enfuiront et qui « réalise » ce qu’est l’horreur de la croix qui l’attend, est pris d’épouvante. Tout son être se tord devant cette perspective. Mais il ne cède pas. Non ce n’est pas son Père qui veut sa mort : ce sont des hommes qui le refusent et veulent sa perte. En se donnant, il est certain que son Père glorifiera son Nom et le sien.
Quand la mort sera vécue et vaincue, alors les Grecs et l’humanité entière pourront « voir Jésus ». Lorsque ses bras seront cloués sur les bois de la croix, ouverts comme pour indiquer l’Heure terrible, son cœur s’arrêtera pour que nos cœurs, enfin vaincus, commencent à battre d’amour pour la Gloire du Père et pour tous les hommes.
LE COUP QUI ANNONCE LE JUGEMENT
Jean dramatise au maximum l’événement. Peut-être un orage – normal en ce mois d’hiver – se préparait-il au-dessus de la ville ? Un coup de tonnerre retentit. C’est MAINTENANT : le Ciel – Dieu –donne le signal. Que va-t-il se passer ? Le jeune Galiléen va buter contre une résistance impitoyable. Il va être traîné en justice devant tous les tribunaux et il perdra son procès : condamné à mort et exécuté de façon ignominieuse sur une croix.
Cela, ce sont les apparences. En fait, en profondeur, le Fils de Dieu va être confronté au Prince de ce monde, à ce satan mystérieux capable d’endurcir le cœur des plus hauts prélats, de convaincre un Préfet romain de condamner un innocent, de retourner une foule versatile, de faire fondre le courage de tous les disciples.
Maintenant a lieu le jugement de ce monde ; maintenant le prince de ce monde va être jeté dehors ; et moi, quand j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes. » Il signifiait par là de quel genre de mort il allait mourir.
Et c’est le condamné qui va l’emporter. Lui qui avait toujours échappé à la lapidation prévue pour les blasphémateurs, va être hissé sur la croix. Il va être « élevé », dressé entre ciel et terre pour faire le pont de l’amour entre Dieu et l’humanité. « Elevé », il pourra être vu et cru par les Grecs puis par toutes les nations.
MAINTENANT NOTRE HEURE
En cette semaine, méditons ce passage. A certains moments, la foi exige sa propre purification et celle de l’Eglise. C’est « l’heure » d’initiatives nouvelles donc de certains affrontements car la paresse, le goût de la tranquillité, la peur des oppositions nous poussent à stagner dans le « on a toujours fait comme ça ». On est donc tenté de se résigner à l’état de fait mais le Père appelle, donne le signal. C’est l’heure d’agir. Il ne faut pas sauver sa vie. Une foi confortable est sans doute mensongère.
Savoir le vrai jugement. Pour le monde et les médias, qui sont les vainqueurs, les meilleurs ?… Pour le chrétien, la croix indique où sont les justes : ceux qui font la vérité dans la pauvreté, sous les moqueries, à travers les épreuves. La foi retourne les sentences du monde.[/fusion_text][/one_full][one_full last= »yes » spacing= »yes » center_content= »no » hide_on_mobile= »no » background_color= » » background_image= » » background_repeat= »no-repeat » background_position= »left top » hover_type= »none » link= » » border_position= »all » border_size= »0px » border_color= » » border_style= » » padding= » » margin_top= » » margin_bottom= » » animation_type= » » animation_direction= » » animation_speed= »0.1″ animation_offset= » » class= » » id= » »][fusion_text]
Raphaël Devillers, dominicain
Tél. : 04 / 220 56 93 – Courriel : r.devillers@resurgences.be
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« UNE INFIRMIERE M’A SAUVE LA VIE »
TEMOIGNE LE PAPE FRANÇOIS
« Une infirmière m’a sauvé la vie », a témoigné le pape François devant 6 500 infirmiers et infirmières italiens, assistants sanitaires et puéricultrices, de différentes confessions religieuses, qu’il a reçus ce samedi matin, 3 mars 2018, en la salle Paul VI du Vatican.
Il les a exhortés à travailler à « humaniser la société » et à cultiver la « tendresse », comme clef pour comprendre le malade.
« Je voudrais rendre hommage à une infirmière qui m’a sauvé la vie », a dit le pape.
« C’était, a-t-il précisé, une infirmière sœur, une religieuse italienne, dominicaine, qui avait été envoyée en Grèce comme professeur, elle était très cultivée… Mais, toujours comme infirmière, elle est ensuite arrivée en Argentine. Et quand, à vingt ans, j’étais sur le point de mourir, c’est elle qui a dit aux docteurs, y compris en discutant avec eux : « Non, cela ne va pas, il faut en donner davantage. » Et grâce à ces choses, j’ai survécu. Je la remercie tant ! Je la remercie. Et je voudrais la nommer ici devant vous : sœur Cornelia Caraglio. »
« Une femme courageuse aussi, au point de discuter avec les médecins. Humble mais sûre de ce qu’elle faisait », a souligné le pape.
Le pape fait probablement allusion à son hospitalisation, du fait d’une pneumonie aiguë avec trois kystes pulmonaires, en 1957, à 20 ans: il subit alors une opération, lourde, au cours de laquelle une partie d’un poumon droit lui est enlevée, à l’hôpital syro-libanais de Buenos Aires.
Un « long chemin de croix » qui a duré des semaines selon sa sœur Maria Elena: il a souffert « le martyre » (cf. Arnaud Bédat, Seul contre tous, p. 63). Il venait d’intégrer le séminaire de Buenos Aires, mais après cette épreuve, il entrera au noviciat de la Compagnie de Jésus, en 1958.
« Et tant de vies, tant de vies sont sauvées grâce à vous ! Parce que vous êtes là toute la journée et vous voyez ce qui arrive au malade. Merci de tout cela », s’est exclamé le pape toujours en s’adressant aux infirmiers.
Le pape a notamment cité le code de déontologie international des infirmiers et infirmières qui ont pour mission de « promouvoir la santé, prévenir la maladie, rétablir la santé et soulager la souffrance ».
Pour ce qui est des relations humaines, le pape ensuite a souligné qu’ « être en contact avec les médecins et la famille, ainsi qu’avec les malades, devient le carrefour de mille relations dans les hôpitaux, les lieux de soins et les foyers, qui nécessitent attention, expertise et confort ».
Cela exige, a souligné le pape, d’être des « experts en humanité », au service de « l’humanisation » de la société et de la promotion « de la vie et de la dignité des personnes ».
Il leur a recommandé la « tendresse» comme « clef » pour comprendre le malade : « Avec la dureté, on ne comprend pas le malade. La tendresse est la clef pour le comprendre et c’est aussi un remède précieux pour sa guérison. Et la tendresse passe du cœur aux mains, elle passe par un « toucher » des blessures plein de respect et d’amour.»
Le pape a évoqué la surcharge de travail qui caractérise souvent les horaires des infirmiers et infirmières : « Ce que vous faites est un travail usant, en plus d’être exposé aux risques, et l’engagement excessif, combiné avec la dureté des tâches et des tours, pourrait vous faire perdre la fraîcheur et la sérénité dont vous avez besoin.»
Il a aussi déploré « le manque de personnel », ce qui rend parfois la tâche « insoutenable ».
Le pape a recommandé par ailleurs aux patients de ne jamais considérer comme un dû les soins qui leurs sont prodigués : « Vous aussi, les malades, soyez attentifs à l’humanité des infirmiers qui vous assistent. »
(Dans Zenit 4 mars 2018)
———- Peut-être un texte à copier et à communiquer aux infirmières découragées.——-
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VIENT DE PARAÎTRE
Dans son nouvel ouvrage « Comment peut-on être catholique ? », Denis Moreau explique avec beaucoup d’humour, en mêlant profondeur et légèreté, toutes les raisons qui le poussent à être, encore aujourd’hui, catholique.
Selon Denis Moreau, être catholique aujourd’hui apparaît pour beaucoup de gens comme quelque chose d’extraordinaire, ou une bizarrerie datée. Dans une conversation, entre l’athée et le catholique, contrairement à d’autres époques, c’est au catholique que l’on demande de se justifier et de donner ses raisons de croire en Dieu. Plutôt que de se lamenter sur une disparition du christianisme, Denis Moreau y voit d’abord l’occasion de présenter et d’expliquer toutes nos raisons de croire dans un très beau livre plein d’humour et de tendresse pour les uns et les autres.
Vous avez écrit un livre joyeux sur le fait d’être catholique. On y sent beaucoup d’humour, cela affleure en permanence. C’est un point qui vous tient à cœur ?
Denis Moreau : Je n’ai jamais compris pourquoi historiquement la philosophie, la théologie se sont construites comme des disciplines pas drôles…. À vrai dire, les rares penseurs assez drôles sont souvent des antichrétiens, Voltaire par exemple, ou Nietzsche. Comme j’écris sur la joie, je voudrais que mes livres soient drôles, ou au moins donnent envie de sourire. C’est important que les gens y trouvent quelque chose de la joie.
Vous citez la première lettre de saint Pierre : « Soyez prêts à tout moment à vous expliquer devant quiconque vous demande de rendre raison de l’espérance qui est en vous. ». C’est cela que vous avez voulu faire, rendre raison de votre foi ? Vous souhaitez aller contre un certain anti-intellectualisme qui atteint parfois certains chrétiens ?
J’ai beaucoup de respect pour la foi du charbonnier, quand c’est celle d’un charbonnier. Mais en France, parmi les catholiques, beaucoup ont fait des études, et ils pourraient rendre raison de leur foi autrement qu’en parlant de leur ressenti ou de leur expérience personnelle. La foi n’est pas qu’une sensation. Une sensation, cela n’est pas communicable. La foi est bien autre chose, c’est une disposition (une « vertu »), une certaine manière d’être au monde. Benoît XVI tout au long de son pontificat a suffisamment insisté sur l’importance de la rationalité de la foi pour que nous prenions son invitation au sérieux.
…. Je n’ai pas voulu écrire un livre de pure apologétique argumentative, ni un simple un témoignage de foi. J’ai essayé de croiser les deux fils pour constituer une sorte de scoubidou avec une ligne argumentative et une ligne de témoignage, où je présente concrètement comment le catholicisme a enrichi ma vie.
On sent dans l’introduction de votre ouvrage la mention d’une nécessité intérieure. Quelque chose, ou quelqu’un, vous a poussé, proche d’une inspiration ?
…J’étais parti, jusqu’à il y a dix ans, pour faire une honnête carrière d’historien de la philosophie. J’écrivais des articles très savants sur Descartes, que personne ne lisait. J’ai longtemps pensé que j’allais faire une carrière universitaire et rien de plus….Mais vers mes quarante ans, je me suis dis : tu es catholique ; dans les milieux intellectuels, la foi devient pour beaucoup quelque chose d’incompréhensible ; il y a quelque chose que tu pourrais essayer de dire.
Il y a alors eu un élément déclencheur très improbable : en mai 2007 j’ai reçu le mail d’un Monseigneur du Vatican qui m’invitait à un congrès pour les universitaires organisé à la demande de Benoît XVI…. Au cours d’une audience à la fin du congrès, Benoît XVI a appelé les universitaires à prendre la parole pour l’Église. Il nous a engagés à partir en mission en utilisant notre savoir académique. Je suis rentré et je me suis dit que cela, c’était peut-être quelque chose comme un appel.
Votre ouvrage, Comment peut-on être catholique ?, s’inscrit donc dans le prolongement de ce déclic ?
Denis Moreau : Oui, voilà. J’ai d’abord écrit sur le Salut et la résurrection, comme catégories d’entrée dans le christianisme, puis sur le mariage qui a été pour moi la voie de salut. Avec cet ouvrage, j’essaie de synthétiser un peu le tout. Je suis content car j’ai pu dire ce que j’avais à dire : une espèce de compréhension du christianisme à laquelle je suis arrivé après trente ans passés à lire de la philosophie et de la théologie. Je pense qu’il y a plein de portes d’entrée possibles dans le christianisme. Pour moi, ce sont le salut et la résurrection du Christ. Pour d’autres, c’est plus le vendredi saint que le dimanche de Pâques. C’est une des grandeurs du christianisme que d’offrir de nombreuses portes d’entrée, qui toutes permettent de rester dans les clous de l’orthodoxie et de la communion.
Vous évoquez une histoire d’amour entre le catholicisme et la philosophie. Que pouvez-vous en dire ?
C’est indiscutable. De toutes les grandes religions, le catholicisme est celle qui a choisi le compagnonnage avec la philosophie grecque. Les derniers grands personnages à avoir écrit des textes à retentissement planétaire sur la philosophie sont Jean Paul II et Benoît XVI. Il y a une confiance dans la rationalité qu’on ne trouve pas dans l’islam, ni dans le judaïsme. Les grands théologiens, ce sont des personnes qui s’emparent d’une philosophie pour penser le christianisme. Saint Augustin s’empare de Platon, saint Thomas s’empare d’Aristote. Dans une époque plus récente, la phénoménologie a eu un grand impact sur la théologie. Il suffit de penser à Jean Paul II, à Hans Urs von Balthasar, Jean-Luc Marion ou Jean-Louis Chrétien. Il y a un vrai dialogue possible, qui enrichit considérablement la pensée chrétienne et notre compréhension du Christ et de ce qu’il a à nous dire.
Être catholique, est-ce que cela veut dire aimer le corps ?
Je ne vois pas comment on pourrait répondre non. Reprenons les grands thèmes du christianisme : l’Incarnation, Dieu qui se fait homme ; la Genèse et la création du monde (Dieu vit que cela était bon) ; l’Eucharistie, un repas ; la résurrection des corps. Tout cela est parfaitement convergent : on ne peut pas être chrétien et mépriser le corps. Il est vrai qu’il y a eu une sorte de dérive vers un mépris du corps, qui s’exprime bien chez des penseurs comme Malebranche ou Pascal. C’est vraiment une dérive, sans doute liée à un certain platonisme caricatural qui a contaminé le christianisme assez tôt. Sur ce point, le christianisme a fait fausse route.
Mais les chrétiens qui aiment le corps ont toujours existé : ils se délectent du Cantique des cantiques et de sa célébration des joies de la chair, ils chantent avec le Psaume 104 « le vin qui réjouit le cœur de l’homme », ils préfèrent la sensualité du baroque à l’austérité du classicisme. Il ne faut pas non plus aller trop loin dans cette voie : l’esprit constitue la meilleure partie de notre être et il doit diriger pour domestiquer ce qu’il y a d’impulsif, de brutal dans la chair laissée à elle-même. Le vrai concept chrétien est l’incarnation, pas le dualisme corps/esprit. L’esprit s’inscrit dans un corps, c’est le point de départ.
Le pape François a écrit deux exhortations apostoliques, La joie de l’Évangile et La joie de l’amour, d’après lesquelles il semble que la joie soit une dimension centrale de la vie chrétienne. La morale catholique, selon vous, doit être une morale au service de la joie ?
Je n’aime pas beaucoup qu’on réduise le christianisme à une morale, même si « morale » n’est pas un mot sale : la morale, c’est chercher des réponses à une question qu’on ne peut pas ne pas se poser, « que faire ? ». Mais le christianisme est plus fondamental qu’une morale : c’est une façon de se tenir face aux grands problèmes de la vie. Si on entend « morale » au sens d’une codification précise de toutes les dimensions de l’existence, il n’y a rien de tel dans le Nouveau Testament, contrairement à la Torah, ou aux Hadiths. De plus, je ne suis pas sûr qu’il existe quelque chose comme une « morale chrétienne », au sens de « spécifiquement chrétienne » : ne pas tuer, ne pas voler, être bienveillant, la morale que défend le chrétien est en fait la morale des gens honnêtes et raisonnables, chrétiens ou non. Aristote a écrit des choses magnifiques sur la morale, il n’était pourtant pas chrétien. C’est aussi pourquoi l’utilisation polémique faite par certains chrétiens de cette (trop ?) fameuse phrase de Dostoïevski « Si Dieu n’existe pas, alors tout est permis » est insultante pour ceux qui n’ont pas la foi. Il suffit de fréquenter le monde pour rencontrer des « athées honnêtes hommes », d’une exigence et d’une rectitude morale remarquables.
Après, si l’on prend morale au sens de tonalité d’existence fondamentale, l’Évangile parle de joie partout : « Que votre joie soit parfaite », « Que ma joie demeure en vous ». C’est ce que le pape François est en train de faire : remettre la joie au cœur du christianisme, avec l’idée que la joie est ce qui accompagne l’affirmation de soi dans ce que l’on a de bon. Voyez Nietzsche : il reproche aux chrétiens d’être réactifs, de passer leur temps à grogner, critiquer. La réactivité est vraiment un piège. Elle se traduit notamment par la volonté de restreindre ou interdire l’expression les gens qui ne pensent pas comme nous. Le chrétien ne doit pas interdire (négativement), il doit (positivement) dire ce qu’il a à dire. Aujourd’hui, il doit le faire en admettant qu’il est minoritaire. Et tout cela doit se faire dans la joie.
Pensez-vous que des nouvelles noces entre le catholicisme et la Gauche sont possibles ?
Il faudrait d’abord répondre à la question de savoir ce que signifie « être de Gauche » : c’est devenu compliqué ! Dans l’histoire de la Gauche française, il y a bien une composante de révolte contre la misère, d’attention aux plus faibles qui est aussi centrale dans le christianisme. C’est aussi l’idée d’accepter d’assumer l’impôt comme instrument de répartition des richesses et de correction des inégalités, et de développer une critique de l’enrichissement sans limite, du capitalisme déchaîné. Il y a un vrai problème de répartition des richesses, de régulation étatique. Là, l’Église a des choses à dire, elle aborde ces questions dans sa « Doctrine sociale ». Il faut relier cela avec l’analyse du pape François en matière d’écologie. Comme il l’a dit « tout se tient ». Je suis intéressé par les Poissons Roses, le courant chrétien du Parti socialiste. Ils ont des propositions originales et inventives. Après, comme je suis de ceux qui estiment que le clivage droite/gauche a encore du sens, je pense qu’il est bon qu’il y ait des catholiques de droite, et d’autres de gauche. Religion « universelle » (c’est le sens de « catholique » en grec), le catholicisme devrait souffler dans tous les secteurs de la société, irriguer l’ensemble de l’échiquier politique (hors peut-être les partis explicitement athées ou promouvant de façon massive des thèses à l’évidence antichrétiennes). Le souffle social et la confiance des catholiques de gauche d’une part, d’autre part la rectitude doctrinale, le sens de la tradition et la prudence de leurs frères de droite, peuvent se nourrir réciproquement. C’est aussi cela, l’Eglise. Diversi, non adversi, nous sommes divers, mais pas adversaires, disait saint Augustin.
« Heureux comme un catholique en France » ?
Pour moi, la France est un des pays du monde où il est le plus facile d’être catholique. Etre catholique ne m’a pas empêché de faire une honnête carrière universitaire, de publier des livres aux éditions du Seuil, d’être invité à donner des conférences, etc. Il serait insultant pour les chrétiens réellement persécutés de dire que les catholiques en France sont persécutés. Nous avons une loi qui garantit la possibilité d’exercer notre religion librement, voire sous la protection de l’État. Les gens se déclarent très vite persécutés, dès lors que l’on n’est pas d’accord avec eux. Il faut vraiment que les catholiques français soient conscients de la chance qu’ils ont ! On le voit par exemple avec les associations diocésaines créées en 1924 qui permettent à l’évêque, sans empiéter sur les lois de la République, de diriger son diocèse. Personne n’en parle jamais ! C’est pourtant un bel exemple d’accommodement pacifique, respectueux, entre la République et le catholicisme français, après les disputes occasionnées par la loi de 1905. Je suis frappé par la façon dont les gens préfèrent se crisper sur les moments de tension, somme toute assez rares, entre les catholiques et la République, plutôt que de se réjouir de tout ce qui va bien !
Editions du Seuil, 368 pages, 22 euros
(Interview parue dans « Aleteia » sur le net)
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