Évangile de Luc 1, 26-38
Marie : Écouter la Parole pour la servir
L’ultime étape du chemin de l’Avent nous conduit évidemment devant la femme qui a permis l’éclosion du plus grand événement de l’histoire de l’humanité : Marie. Y avait-il quelqu’un de plus caché que cette jeune habitante d’un village perdu de Galilée ? Y a-t-il aujourd’hui une femme plus glorieuse dans le monde ? Chaque jour des millions de bouches reprennent sa prière, des masses de pèlerins marchent à sa rencontre. Les plus grands musiciens, les plus grands peintres ont composé pour elle des chefs-d’œuvre et les plus magnifiques des édifices portent son nom : « Notre-Dame ».
Quel est le secret de sa grandeur ? Il est caché derrière les solennelles déclarations dogmatiques qui risquent de l’éloigner de nous : Marie a écouté, Marie a accepté, Marie a obéi. Voilà le message que Luc nous offre à l’orée de son évangile et nous n’aurons jamais fini de méditer ce portail de l’Annonciation.
Marie en silence
Nazareth : un minuscule village à l’écart, où il ne se passe jamais rien. Rien n’est dit de la date, de l’heure, des apparences de la femme. Il y a quelques mois, tout le village a célébré ses noces avec un charpentier appelé Joseph : elle doit donc avoir 14-15 ans, âge habituel à l’époque pour le mariage des filles. Et selon la coutume, elle vit encore chez ses parents, le temps nécessaire pour que l’époux acquière et aménage une maison. A quoi est-elle occupée ? On ne sait mais elle semble seule, il n’y a pas de témoin. Marie est en silence.
Tout à coup quelqu’un est là : un Ange, c.à.d. un envoyé de Dieu. On imagine un être lumineux, aux grandes ailes déployées mais il n’est pas décrit. Luc ne dit pas que Marie le voit mais il connaît son nom : Gabriel. Donc c’est l’ange qui est venu jadis près du jeune prophète Daniel pour lui faire comprendre que c’est le temps de la fin (Daniel 8, 16 ; 9, 20). Gabriel est l’interprète, il fait entrer dans la signification de la Parole de Dieu, il révèle l’importance unique du « kaïros », du moment que la personne est en train de vivre.
Au lieu de dire « Shalom », Gabriel relance à Marie la Bonne Nouvelle à Jérusalem-Sion éplorée par ses malheurs : « Réjouis-toi, ris de tout ton cœur : le Seigneur est au milieu de toi » (Sophonie 3, 14). L’expression va s’intérioriser en Marie. Car tu es comblée de grâce, tu as la faveur de Dieu.
Choc totalement inattendu qui pourrait faire fuir la petite ! En effet Luc emploie un verbe très fort : elle n’est pas seulement troublée, « elle est bouleversée ». Comme une tempête qui secoue tout son être. Mais au lieu de se dérober, Marie a une réaction admirable : « Elle se demandait ce que pouvait signifier cette salutation ». L’événement claque comme un séisme mais Marie accepte d’entrer dans le dialogue. Elle réfléchit à la signification de ce qui lui a été adressé. Contrairement à ce que prétendent certains, la foi n’éteint pas l’intelligence mais l’éveille, l’excite, pousse à la réflexion. Loin d’être un doute mauvais contre la foi, le questionnement est normal et il importe de le creuser, de le pousser à fond : c’est ainsi que le cœur s’ouvre à la lumière.
C’est pourquoi Gabriel peut alors jouer son rôle d’interprète de la Parole et il poursuit :
« Sois sans crainte. Tu vas être enceinte, tu enfanteras un fils et on lui donnera le nom de » Jésus. « Dieu lui donnera le trône de David son père et il règnera pour toujours ».
Comme tous les jeunes, Marie connait l’histoire de son peuple car les Écritures forment la base de toute l’éducation et sont commentées sans cesse dans le culte des synagogues. Gabriel lui rappelle cet épisode célèbre lorsque le prophète Isaïe alla trouver le jeune roi Akhaz en train de surveiller les travaux de fortification de Jérusalem (Isaïe 7). Une grande armée coalisée s’approchait avec le dessein de prendre la ville et d’installer une nouvelle dynastie. Isaïe rassura le petit roi qui s’angoissait : « Ne crains pas, tes ennemis ne viendront pas et la dynastie de David subsistera. Dieu te donne un signe : la jeune femme aura un fils qui grandira en paix et on l’appellera Emmanuel, Dieu-avec-nous ».
Quel est donc ici le rôle essentiel de l’ange ? C’est d’interpréter et d’actualiser l’histoire. Ce qui s’est passé 7 siècles auparavant est une grande prophétie messianique : Dieu a choisi la dynastie du roi David afin d’apporter la paix en dépit de tous les efforts des hommes pour la détruire. Babylone puis la Perse puis les Grecs puis les Romains, tous ont tenté d’anéantir ce peuple mais maintenant toi, Marie, tu as épousé Joseph, un vrai descendant de David. Tu auras un fils et tu l’appelleras Jésus – Iéshouah qui, en hébreu, signifie « sauveur ». Il sera le Messie qui délivrera du mal et il règnera pour toujours.
Comment n’être pas chamboulée d’apprendre que maintenant, aujourd’hui, on est la femme choisie pour accomplir cette vocation ? Marie a compris que sa maternité devait être imminente : elle objecte qu’elle n’a pas de relations conjugales avec Joseph. L’Ange explique :
Comment cela se fera-t-il puisque je ne connais pas d’homme ?
L’Esprit Saint viendra sur toi et la puissance du Très Haut te couvrira de son ombre : c’est pourquoi celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu ».
L’événement près de survenir est d’une importance telle qu’il est comparable à la création de l’univers. La Genèse commençait ainsi: « La terre était tohu-bohu, ténèbres sur l’abîme ; et l’Esprit, le Souffle de Dieu, planait sur les eaux. Dieu dit : Que la lumière soit ! – Et la lumière fut »» (Gen 1, 2). Ainsi l’enfant de Marie sera l’œuvre de la puissance de l’Esprit-Saint : dans la nuit du monde ravagé par l’égoïsme, la cupidité et la haine, il sera la Lumière de la Révélation. La foi n’est pas une loi : elle n’est rien moins qu’une re-création !
Si stupéfiante que soit cette nouvelle, Marie n’exige pas de voir un signe qui prouverait la véracité de ce qu’elle vient d’apprendre, au contraire du prêtre Zacharie (Luc 1, 18). Marie fait confiance, elle croit, elle est la croyante. Alors l’Ange peut quand même lui donner un signe :
Élisabeth, ta parente, est aussi enceinte d’un fils dans sa vieillesse, elle en est à son 6ème mois, elle qu’on appelait la stérile. Car rien n’est impossible à Dieu »
Luc en effet a noté qu’Élisabeth était un peu gênée d’être enceinte après tant d’années de mariage si bien qu’elle n’avait pas fait connaître la nouvelle à Marie qui habitait dans le nord, en Galilée.(1, 24).
Suspense. Que va-t-il se produire ? La jeune femme va-t-elle décliner l’offre sous prétexte de sa pauvreté ? Proposer une autre femme plus apte à accomplir cette mission immense ? Va-t-elle demander un délai de réflexion ? Suggérer d’avoir un entretien préalable avec ses parents ?…
Simple et sublime la réponse finale de Marie :
« Voici la servante du Seigneur : que tout se passe pour moi comme tu l’as dit ». Et l’Ange la quitta.
Se présenter comme servante de Dieu n’est pas une confession de modestie : c’est, en toute liberté, s’offrir à la réalisation du projet de Dieu pour l’humanité. Don de soi sans retenue, audacieux, sans exiger d’assurance pour l’avenir. Les mains ouvertes devant toi, Seigneur…Que tout se passe… : Marie laisse carte blanche à Dieu sur son avenir. Elle ignore ce que cache ce « tout ». Et l’Ange ne reviendra jamais pour la consoler.
Imiter Marie
Ce texte fondamental sur l’écoute nous apprend à prier en vérité :
Écarter la dictature des médias et du bruit perpétuel. Oser entrer en silence. Tel que l’on est.
Ouvrir le Livre : s’arrêter sur un passage – lire lentement – relire –
Demander la venue de l’interprète divin. Surtout ne jamais croire que l’on a tout compris
Ne pas s’étonner de la surprise, de la peur, du bouleversement
Présenter son incompréhension, ses interrogations sur le sens des mots
Percevoir que moi, lecteur, je suis sollicité pour devenir acteur. Je peux ou non accepter.
Se rappeler les témoins qui, avant nous, sont entrés sur le chemin de l’Évangile : nous sommes toujours précédés.
Librement, consciemment, décider son engagement : servir Dieu = accomplir la Parole aujourd’hui
Enfin et surtout : ne pas oublier d’imiter Marie dans la suite :
1) Marie part sur le champ chez sa cousine afin de la servir : le service de Dieu se traduit tout de suite par le service du prochain.
2) Comblée de Joie, Marie éclate en action de grâce : « Magnificat… ». le cœur est comblé de la plénitude qu’il a reçu gratuitement dans sa pauvreté.
Ainsi le Fils, en nous, par nous, poursuit son incarnation.
Frère Raphaël Devillers, dominicain