Évangile de Matthieu 1, 18-24
Un si grand mystère
Avant le Concile Vatican II, dans la liturgie, lorsqu’on arrivait à la confession de Foi du Credo : « Par l’Esprit Saint il a pris chair de la Vierge Marie, et s’est fait homme », on s’agenouillait des deux genoux. Même si ce rite n’est presque plus pratiqué de nos jours – tout au plus, certains inclinent-ils encore la tête lorsque le Credo évoque l’Incarnation – l’appel à l’humilité est toujours adressé à notre intelligence humaine nécessairement limitée quand il s’agit du dessein de Dieu. Nous ne sommes pas ici en présence d’un « miracle » livré à nos « explications » les plus fantaisistes, et les moins convaincantes pour notre « curiosité ». Nous sommes en présence d’un « Mystère », c’est-à-dire un acte de l’Esprit divin qu’il nous faut « accueillir » dans la Foi et la confiance.
La différence est essentielle : aucune explication ne pourra venir à bout du mystère divin ; jamais notre intelligence ne pourra l’épuiser : il restera mystère quelque soit la théologie que nous déployions. En ce sens, bien plus que contraindre la pensée, la limiter par un cadre rigide (et pour certains obsolète voire contraire à l’intelligence), les dogmes de l’Église servent à cerner le mystère. Jamais la notion du Dieu trinitaire ne trouvera d’explication rationnelle satisfaisante ; jamais nous ne pourrons pleinement comprendre l’Incarnation divine, puisque nous ne sommes pas le Christ. Et, en effet, face à de tels mystères, l’intelligence humaine doit savoir rester humble.
Loin d’être humiliante, cette soumission intellectuelle au mystère nous grandit. Seule l’humilité nous rend « capables de comprendre » la puissance d’amour du Dieu de Jésus Christ. Cette grandeur a été celle d’Abraham qui s’est réjoui de ce que Sara sa femme stérile tombe incompréhensiblement enceinte d’Isaac, le fils de la Promesse. Elle a aussi été celle d’Élisabeth qui, dans sa vieillesse, devint enceinte de Jean le Baptiste. Grandeur également de Joseph qui, à l’invitation d’une voix angélique reçue en songe, prit Marie pour épouse enceinte avant qu’il ait posé l’acte géniteur. Grandeur de profonde humilité de Marie enfin, qui, dans son Magnificat, exulte de joie de se trouver enceinte par la Puissance de Dieu qui pour elle fit la « merveille » de se pencher sur sa servante.
Au delà de l’humilité face à Dieu qui se révèle, il faut mesurer le tragique de ce qui se joue entre Marie et Joseph. Elle est une jeune fille – si on se reporte aux mœurs de l’époque, elle ne doit pas avoir plus de quatorze, quinze ans – une jeune vierge, promise en mariage à Joseph. Elle se retrouve enceinte et tous deux savent pertinemment que l’enfant n’est pas de lui. Parce que c’était à l’époque la loi, Joseph aurait pu la faire lapider. Il lui suffisait de la dénoncer, puisqu’elle-même reconnaissait ne pas être enceinte de lui. C’était alors les mœurs de lapider les vierges tombées enceintes hors mariage ; et on en trouve encore hélas des traces de nos jours … Il est coûteux de soumission, le « fiat » de Marie : en faisant confiance à Dieu, elle joue sa vie.
De même, de la part de Dieu, il n’y a pas plus radical abaissement, que d’arriver au monde par l’innocence d’une jeune fille que la résolution du cœur d’un seul homme pouvait condamner à mort ou laisser vivre.
C’est bien dans ces sentiments, dès lors, qu’il faut nous approcher de la crèche de Noël et, intellectuellement, en nous, nous agenouiller humblement, comme si avec Marie nous jouions notre vie dans la confiance. Contrairement à une démarche rationnelle qui viserait à tout comprendre et tout expliquer, il nous faut rester humbles face à l’incarnation de Dieu en l’humanité. Elle ne se fait qu’à ce prix. Ce ne sont pas nos certitudes, ni même nos efforts intellectuels qui nous rapprochent le plus intimement de Dieu, ce sont plutôt nos abandons dans la foi en son amour pour nous.
Le croyant est celui dont l’intelligence reste ouverte au mystère et, même, qui accepte une certaine ignorance. Nous ne savons pas tout des choses de l’amour, des choses de la vie, encore moins savons-nous tout de Dieu.
C’est peut-être une belle prière à faire pour se préparer à Noël : « Seigneur, donne-moi l’humilité d’accepter de ne pas tout comprendre – ni de l’amour, ni de la vie, ni de toi – et remplis mon ignorance du merveilleux de ton mystère … de ton incarnation. Viens au monde en moi ; habite de ton Esprit ce que ma raison ne voit pas. »
— Fr. Laurent Mathelot, dominicain.