Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

2ème dimanche de l’Avent – Année C – 5 décembre 2021 – Évangile de Luc 3, 1-6

Évangile de Luc 3, 1-6

Préparez la route du Seigneur

En débutant une année nouvelle, le 1er dimanche de l’Avent nous a dit l’essentiel à savoir: le terme de l’histoire (Jésus, le Fils de l’homme glorieux, établit son règne d’amour et de paix), et, en conséquence, notre façon de vivre (parmi la succession des malheurs, rester éveillés, sur nos gardes, conscients de l’enjeu majeur).

A partir d’aujourd’hui, 2ème de l’Avent, nous allons à nouveau parcourir la vie de Jésus, le Verbe de Dieu fait homme. Nous n’évoquons pas de vieux souvenirs surannés car la liturgie actualise, rend présents les actes et les paroles de Jésus pour les disciples qui se rassemblent. S’ils sont attentifs, avides de les recevoir, ils deviennent pour eux «  Évangile »aujourd’hui. Chaque dimanche – jour de résurrection – la Bonne Nouvelle les réveille de leur somnolence et leur apporte la présence du Fils de l’homme qui ne cesse de venir pour nourrir leur foi et les unir dans sa communion

La Venue du précurseur dans l’histoire

L’an 15 du règne de l’empereur Tibère ; Ponce-Pilate étant gouverneur de Judée ; Hérode, prince de Galilée ; son frère Philippe, prince du pays d’Iturée et de Traconitide ; Lysanias, prince d’Abilène ; les grands prêtres étant Hanne et Caïphe : la Parole de Dieu fut sur Jean, fils de Zacharie, dans le désert.

L’Évangile n’est pas une fuite dans un autre monde, il ne se réduit pas à une spiritualité mystique, à une quête de développement personnel, de consolation sacrée : il se joue dans l’histoire, il est événement, au cœur des affrontements politiques et économiques. Pour éviter que le lecteur prenne les personnages de son livre pour des mythes à la ressemblance des dieux gréco-romains, Luc – qui écrit vers les années 8O-85 – aime noter les dates.

Israël est alors le seul peuple qui adore le Dieu Unique qui a fait alliance avec lui et cependant depuis des siècles il est écrasé par les grands Empires : Babylone, la Perse, la Grèce et maintenant Rome. Or, après des siècles de silence de Dieu, tout à coup un homme reçoit la Parole de Dieu : il s’appelle Iohanan (Dieu fait grâce) et Luc avait raconté sa naissance. Fils d’Élisabeth et de Zacharie, le prêtre, il devait normalement, comme celui-ci, exercer des fonctions liturgiques dans le temple de Jérusalem mais, comme jadis Jérémie et Ézéchiel, Dieu a fait bifurquer sa vocation et l’a envoyé prêcher sur les routes : le prêtre est devenu prophète.

Dans la liturgie, les hommes construisent une maison pour Dieu, on y appelle les croyants et ils font des sacrifices et des prières : avec Jean, la Parole de Dieu sort du lieu sacré et retentit sur les chemins des hommes.

Jean parcourait toute la région du Jourdain ; il proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés – comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe : «  A travers le désert, une voix crie : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies. Et tout homme verra le salut de Dieu ».

Jean choisit son champ d’action : non pas un désert – mot qu’il reprend à Isaïe pour correspondre à la citation – mais la vallée du Jourdain qui est la région frontalière entre Israël et la Transjordanie, pays de cultures, de transit, de contacts entre Juifs et païens – indice du futur passage de l’Évangile dans toutes les nations.

Prédication de Jean

« Il proclame » : le verbe est important car il désigne la tâche du héraut qui doit accomplir, en hâte et avec justesse et solennité, une annonce capitale qui concerne tout le peuple. Ce même verbe sera utilisé pour Jésus et les premiers apôtres. Hélas, aujourd’hui, il est davantage la pratique des médias et de la publicité qui lancent « la bonne nouvelle » de la sortie d’un nouveau modèle. Notre prédication a perdu de son tranchant : elle enseigne, elle répète, elle moralise, elle ne secoue pas. « Il cause bien, le père ! »…mais il ne cause aucun effet.

Jean proclame donc qu’il est urgent de se convertir et de manifester cette décision en se laissant plonger par lui dans les eaux du Jourdain. « Conversion » ( en grec « métanoïa »): encore un mot important. Il ne s’agit évidemment pas de changer de religion ni seulement d’accomplir quelques sacrifices de pénitence mais de prendre la décision radicale de changer son orientation de vie, de reconnaître que l’on a besoin d’être purifié. Le prophète Jean n’envoie pas ses auditeurs aux sacrifices purificateurs du temple, il n’engage pas à des ablutions répétées comme à Qûmran. C’est lui Jean qui mène ce baptême, il est unique et il est passage de la frontière du Jourdain. Car les archéologues ont retrouvé le lieu du baptême de Jean : il se situait sur la rive gauche du fleuve (en Trans-Jordanie) si bien que cela forçait les candidats à refaire le mouvement d’entrée en terre d’Israël. St Luc pouvait donc y voir comme une suite de l’histoire d’Israël, comme un nouveau retour d’exil.

La Libération

Jean proclamait un baptême de conversion pour le pardon des péchés – comme il est écrit dans le livre du prophète Isaïe : «  A travers le désert, une voix crie : « Préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Tout ravin sera comblé, toute montagne et toute colline seront abaissées ; les passages tortueux deviendront droits, les routes déformées seront aplanies. Et tout homme verra le salut de Dieu »

Au temps de Jean, Israël vit sur sa terre mais écrasé sous le joug de l’esclavage païen : soumis à la puissance colossale de l’Empire romain, la situation paraît irrémédiable. Et voilà que Jean annonce un événement extraordinaire : c’est le Seigneur lui-même qui va venir. Quelle route faut-il donc lui préparer ?

Les Cantonniers du Seigneur

Évidemment si le Seigneur vient, il n’est pas question de lui construire une autoroute, ni de préparer une navette spatiale. Les cinq travaux détaillés par Isaïe sont à prendre au sens imagé et il n’existe pas de gros engins pour faciliter leur exécution.

« Aplanir sa route – Tout ravin sera comblé –  Toute montagne et toute colline seront abaissées –  Les passages tortueux deviendront droits –  Les routes déformées seront aplanies » : Jean nous exhorte à un gros travail sur nous-mêmes. Nous usons parfois de ruses tortueuses pour obtenir des résultats, nous nous gonflons d’orgueil, ou au contraire nous nous laissons tomber dans le découragement, nous louvoyons par manque de sincérité. L’entrée dans l’Évangile nous mobilise pour tracer un chemin de clarté, de droiture, de justice, pour aménager les rencontres qui nous conduisent vers les autres. Concorde, dialogue, partage, solidarité, réconciliation, service, fin du racisme, dons aux pauvres : il nous faut construire et pratiquer ces chemins ardus afin que nous soyons certains que le Seigneur vient. Sans cela, Noël devient du toc.

Mais pour quel résultat merveilleux : « Et tout homme verra le salut de Dieu ». Certes l’événement ne sera pas le fruit de nos efforts car Dieu seul est maître de sa décision mais l’effet ne sera plus réservé au profit d’un seul peuple. « Toute chair verra le salut de Dieu ». L’Évangile aura une visée universelle.

Jean n’est que le Précurseur

Jean-Baptiste est bien le premier personnage de l’évangile et il est essentiel d’écouter sa voix et de mettre en pratique ce qu’il dit. D’ailleurs le prochain dimanche nous précisera davantage la conduite convertie qu’il nous presse de prendre. Mais en outre il nous révélera l’essentiel de sa mission : nous préparer à accueillir Celui-là qu’il annonce et qui viendra derrière lui. « Le salut de Dieu » sera Quelqu’un : Jésus de Nazareth.

Conclusion : Vivre l’Avent

L’Avent se vit dans la joie des commencements. Dieu dit : « Je vais accomplir ma promesse de bonheur » (1er dimanche). Mais il serait trop facile de déposer sa pantoufle au coin du feu pour y attendre des cadeaux. « Préparez le chemin du Seigneur » clame Jean : il faut au préalable s’atteler au dur travail de la conversion. Pour cela, il n’ y a pas de machine mais l’effort d’ouvrir les yeux, d’oser remarquer nos manques de rectitude, nos mensonges, notre passion d’accumuler, notre laisser-aller, nos découragements.

Et pour demeurer dans la joie du Seigneur qui vient avec certitude, relisons l’extrait de la lettre de Paul (lue en 2ème lecture). On y ressent tellement bien l’écho de la joie et de l’amour qui faisaient vibrer la vie des premiers chrétiens.

Frères, chaque fois que je prie pour vous tous, c’est toujours avec joie…
Dieu a si bien commencé son travail : je suis persuadé qu’il le continuera jusqu’au jour où viendra le Christ Jésus…
Que votre amour vous fasse progresser dans la connaissance…
Ainsi, dans la droiture, vous marcherez vers le Jour du Christ.
Vous aurez en plénitude la justice obtenue grâce à Jésus-Christ pour la Gloire et la Louange de Dieu ».

Chers lecteurs et lectrices, je reprends cette prière à votre intention.

Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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