Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

2ème dimanche de Carême – 5 mars 2023 – Évangile de Matthieu 17, 1-9

Évangile de Matthieu 17, 1-9

La Transfiguration

Si l’on s’en réfère à la quarantaine inaugurale de Jésus, le carême n’est donc pas d’abord un temps d’ascèse et de mortifications, mais la reprise de conscience d’une révélation bouleversante : par Jésus, nous sommes devenus, par adoption, des enfants de Dieu. Du coup, avec lui, nous sommes chargés de la mission vitale d’étendre le Royaume de l’amour dans l’humanité tout entière.

Cette vocation divine nous laisse libres si bien que nous devons combattre les méthodes séduisantes mais diaboliques de l’accomplir. La vie devient un combat contre ce qui pourrait nous paraître comme des évidences : assouvir la cupidité, hypnotiser par le spectacle, écraser par la violence. Le carême est donc un recentrement de nous-mêmes afin de mener une vie conforme à l’évangile de Jésus. Ce combat n’est jamais clos : la résistance à ce projet va se durcir et même provenir du milieu religieux.

Car Jésus, avec audace, ne cesse de dénoncer des cérémonies formalistes et des pratiques minutieuses qui semblent honorer la gloire de Dieu sans entraîner la justice et l’amour du prochain. Prêtres du Temple et laïcs pharisiens sont très vite exacerbés par ce paysan sans titre qui annonce la venue du Royaume de Dieu : c’est un imposteur qui a fait un pacte avec le diable, un gourmand qui profite de toutes les occasions de se goinfrer. Ce n’est pas possible qu’il soit le messie sauveur annoncé par les Écritures.

A nouveau Jésus plonge dans la prière, cherche la lumière de l’Esprit et un jour, il annonce le grand tournant qu’il va prendre. « Je monte à Jérusalem, on me haïra, on me mettra à mort mais mon Père me rendra la Vie et le Royaume naîtra. Quiconque veut être mon vrai disciple devra lui aussi prendre le même chemin et porter la croix du refus ». Abasourdis, sans comprendre, les apôtres acceptent de le suivre. C’est ici que nous rejoignons l’Evangile de jour.

La Transfiguration

Jésus prend avec lui Pierre, Jacques et Jean et les emmène à l’écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : son visage devint brillant comme le soleil, et ses vêtements blancs comme la lumière. Voici que leur apparurent Moïse et Elie qui s’entretenaient avec lui.

Parce qu’il a accepté de prendre cette terrible décision, pour l’encourager à poursuivre et en offrir le signe aux trois grands disciples, la présence divine du Père étreint le Fils. Son visage qui était crispé par la terreur se détend, rayonne de beauté et de paix. Le don total de son corps lui attire la lumière ; la pesanteur s’épanouit dans la grâce.

Les deux grands personnages de l’histoire, représentant la Loi et les Prophètes, apparaissent aux disciples. Tous les deux sont allés sur la montagne pour prier et écouter Dieu, la face de Moïse rayonnait, tous les deux ont lutté avec ardeur pour l’honneur de Dieu, mais tous les deux avaient encore employé la violence.

A présent, ils viennent s’incliner autour de Jésus et ils reconnaissent sa valeur ultime, sa suprématie. Ils parlaient à Jésus, ajoute Luc, de son exode qu’il allait accomplir à Jérusalem. Oui, c’est bien toi le Sauveur messianique ; par ta croix et ta résurrection, tu vas accomplir l’exode définitif. Non d’un pays à un autre ni le fait d’un peuple particulier. Mais la libération de l’humanité entière hors de l’esclavage du péché.

Pierre prit la parole : « Seigneur, il est heureux que nous soyons ici. Si tu veux, je vais dresser trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie ».

Ebloui par la vision, Pierre souhaiterait prolonger ce moment de vision qui le comble de bonheur mais il demeure dans un monde de la division et il voudrait arrêter l’histoire. Dieu va faire éclater sa tentation.

Il parlait encore lorsqu’une nuée lumineuse les recouvrit de son ombre ; et, de la nuée, une voix disait : « Celui-ci est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ».

Entendant cela, les disciples tombèrent la face contre terre et furent saisis d’une grande frayeur. Jésus s’approcha, les toucha et leur dit : «  Redressez-vous, n’ayez pas peur ».

Levant les yeux, ils ne virent plus que lui, Jésus seul.

Dans la Bible, la Nuée représente la présence de Dieu. Le choc de sa venue provoque un certain recul car notre état de pécheur nous plonge dans la peur. Mais Jésus Seigneur nous relève, nous re-suscite. Devant Dieu nous retrouvons notre stature d’homme debout et nous découvrons notre état. Ce n’est pas d’abord aux hommes de construire des maisons de Dieu mais au contraire c’est Dieu qui spirituellement réunit sous son ombre tous les croyants. Abraham et Jacob, Moïse et Isaïe, Pierre et Paul, François et Dominique, Marie et Madeleine… : en Jésus enfin la communion est possible. Il ne faut plus rêver d’extase, de phénomène miraculeux mais faire converger tous nos regards sur Jésus, l’homme. Reconnu Seigneur, Jésus nous unifie

En descendant de la montagne, Jésus leur donna cet ordre : « Ne parlez de cette vision à personne avant que le Fils de l’homme ne soit ressuscité d’entre les morts ».

Les visions sont fugitives, les extases éphémères : elles ne sont offertes que pour encourager à poursuivre la route jusqu’au bout, à affronter l’opposition. Pour le moment, il serait dangereux de propager que Jésus est bien le Messie car la foule n’est que trop portée à attendre un sauveur glorieux qui par la force, écrase les ennemis et elle déclencherait l’insurrection – ce qu’elle fera en l’an 66 et la révolte s’achèvera par la guerre et la destruction de Jérusalem et du Temple.

Bientôt, après la résurrection pascale et le don de l’Esprit, alors les apôtres pourront et devront certifier à tous vents que Jésus est bien l’authentique et l’unique Sauveur du monde qui utilise les méthodes qu’il avait choisies lors de son baptême.

Carême : Temps de conversion

L’Eglise nous presse de « faire pénitence » oui mais au sens premier de meta-noïa, conversion, retournement.

Le premier dimanche nous a replacé devant la révélation qui change notre vie : par le passage dans l’eau du baptême, Dieu nous a adoptés comme ses enfants. Méditons et n’oublions jamais le don de cette nouvelle identité spirituelle. Faisons confiance à notre Père qui ne nous abandonnera jamais et nous fera toujours miséricorde.

Par conséquent nous avons à réfléchir longuement dans la prière sur la mission reçue. Assumer votre mission, débusquer les fausses méthodes de laisser advenir le Royaume, rejeter les méthodes du monde, oser nous démarquer. Ne nous étonnons pas que le carême soit un temps de lutte acharnée pour écarter les tentations. Si votre fils refuse l’Evangile, montrez-lui que notre monde qui le rejette aussi s’enlise dans l’injustice, écrase les pauvres, se déchire dans la barbarie des guerres, détruit la planète. Mais votre affirmation ne sera valable que si vous pouvez lui montrer des communautés paroissiales qui, en effet, ont fait les options de Jésus Sauveur. Privons-nous de dessert mais surtout prenons du désert.

Le deuxième dimanche nous replace devant le mur de l’échec et provoque une prière plus torturée. Pourquoi refuse-t-on le message pacifique et miséricordieux ?…Pourquoi cette surdité à l’évangile ?…Comme Jésus montait dans la montagne, exhaussons notre vision et notre réflexion vers notre Père du ciel. Peut-être avec quelques autres, prions.

Comme Jésus, soyons attristés que tant de gens honnêtes, baptisés, et même des responsables de l’Eglise se cabrent devant toute proposition de changement et nous en veulent pour oser toucher à l’ordre établi alors que celui-ci montre ses insuffisances.

Alors, comme Jésus, au lieu de demeurer entre nous et nous lamenter sur l’incroyance, au lieu de nous plaindre d’être nous-mêmes des pécheurs (ce qui est exact), prions pour prendre la décision de secouer des structures moribondes, de démasquer la piété hypocrite qui ne donne pas de fruit.

Pour ne pas imposer nos idées personnelles ni nous décourager trop vite, une seule solution. Essentielle ! Regarder Jésus. Etre émerveillé par ce personnage unique. Recevoir sa Lumière. Pénétrer la magnifique déploiement du projet de Dieu qui va d’Abraham à Moïse puis Elie, Isaïe…Jean-Baptiste et, au sommet Jésus messie…puis Pierre, Paul, Marie-Madeleine…..des milliards de saints…

L’entreprise sera laborieuse, échouera souvent mais elle ne pourra capituler. Il faudra « prendre sa croix », être la cible éventuelle des moqueries, être condamnés comme aventuriers et menteurs. La Vérité sonne toujours à son heure. Notre chemin aboutira au calvaire pour rebondir dans l’élan éternel de Pâques.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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