4ème dimanche de Carême – Année C – 24 mars 2019 – Évangile de Luc 15

ÉVANGILE DE LUC 15

PARABOLE DU PÈRE PRODIGUE

Que dire encore de cette parabole ressassée tant de fois depuis l’enfance ? Précisément qu’elle n’a rien d’enfantin, qu’elle est d’une profondeur inégalée, qu’elle évoque l’échec de notre société, qu’elle nous apprend que le pardon est chose grave et que son titre est faux puisqu’elle s’adresse aux pharisiens. Et que le péché peut nous conduire à connaître le vrai Dieu.

RENIER DIEU POUR ENFIN LE CONNAÎTRE VRAIMENT ?

Si l’éducation chrétienne a été sévère, si l’enfant n’en retient que des règlements et des rites obligatoires sous peine de châtiment, si l’autorité des adultes s’est montrée trop pesante, l’image de Dieu risque fort de devenir le « sur-moi » de Freud, l’instance écrasante qui enferme dans la prison de la culpabilité. Et que l’homme doit rejeter s’il veut respirer et s’épanouir dans la liberté.

« Donne-moi ma part » exige le cadet pour faire sous-entendre qu’il voudrait la mort du père. Mais le père de Jésus ne se crispe pas sur son autorité : sans un mot, il cède à la demande. Il sait les risques mais il veut des enfants libres et non des agenouillements d’esclaves (Péguy).

Nous pouvons bien renier Dieu : le ciel ne nous tombera pas sur la tête. Nous serons même d’abord heureux. Mais… ?

L’ECHEC D’UNE SOCIETE

Le cadet rassembla tout ce qu’il avait et partit pour un pays lointain où il gaspilla sa fortune en menant une vie perdue.

Le fils renonce à Dieu mais il a de l’argent, beaucoup d’argent. La puissance, la liberté, la jeunesse. Et aucun compte à rendre à personne. Au volant de sa Porsche bourrée de vêtements à la dernière mode, de jeux vidéo, de téléphones portables, ivre de joie, il file pleins tubes sur l’autoroute avec un unique projet : croquer la vie à pleines dents. Palaces 5 étoiles, boîtes de nuit, jolies filles, champagne… : enfin il va jouir, s’éclater. Pétillement de jouissances dans la magnifique société de consommation. Le bonheur total ! Qui se pimente davantage quand il pense à son imbécile de frère qui est resté empêtré dans les vieilles traditions de la famille et de la religion. Vieux catho obsolète. Tandis que moi, je suis moderne !

Mais « le pays lointain » – la société qui veut se construire sur la mort de Dieu – est un piège. Plus on consomme plus on se consume. Notre jeune homme peu à peu s’abîme dans l’échec total :

  • Echec de l’amour : la femme n’était qu’un objet et il n’a pas découvert l’amour.
  • Echec de la liberté : il avait voulu être maître de sa vie et le voilà esclave, méprisé
  • Échec de l’économie : dans ce pays ou règne l’unique loi de « donne-moi ma part », la concurrence est féroce et les puissants sans pitié. Ayant tout dépensé, le jeune étranger en est réduit à garder les porcs (comble de l’impureté).
  • Echec de l’amitié : où sont ses anciens copains ? Le pauvre type dépenaillé n’attire plus personne.
  • Echec de la vie : « Et personne ne lui donnait rien ». Il glisse à la mort. « Et moi ici je meurs ».

Ce n’est pas Dieu qui le punit. Mais puisque Dieu est la source de la vie des hommes et qu’il sait comment ils doivent vivre sur une terre heureuse, s’ils le nient, c’est eux-mêmes qui fabriquent leur malheur.

LA DOUBLE MERVEILLE DE LA CONVERSION ET DE LA MISERICORDE

La liberté l’avait poussé au refus de Dieu : la pauvreté l’y reconduit. « Il réfléchit » : mon père me donnera bien un peu à manger. Avec des pieds de plomb, dépité, il se met en route. Et voici ce qui est sans doute une des plus belles scènes de toute la littérature mondiale et qui faisait pleurer Péguy :

Comme il était encore loin, son père l’aperçut et fut bouleversé aux entrailles. Il courut se jeter à son cou et le couvrit de baiser. Le fils dit : « Père, j’ai péché contre le ciel et contre toi : je ne mérite plus d’être appelé ton fils ». Mais le père le coupe : « Vite, apportez le plus beau vêtement, mettez-lui une bague au doigt et des sandales aux pieds. Tuez le veau gras et nous allons festoyer. Car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ». Et la fête commença.

Car malgré le camouflet du départ, le père ne s’habitue jamais au départ d’un fils. Sans relâche il scrutait l’horizon et il a reconnu tout de suite la silhouette qui était encore engluée dans « le pays lointain ». L’amour est patient, il attend, il espère. Ses yeux ne dardent pas de colère : ils se mouillent de tendresse.

Rectifions la traduction trop mièvre : non « pris de pitié » mais « ému à la matrice ». L’expression est réservée à Dieu dans les 4 Evangiles. Ainsi s’éclaire une absence qui nous avait échappé au début : pourquoi ne parle-t-on pas de la mère ? Parce qu’évidemment Dieu est les deux. Quand le Créateur voit à quel point le péché abîme l’homme, il est comme une maman poignardée devant son enfant défiguré et moribond. Si nous, les sots, nous considérons le péché comme une peccadille, une infraction à une loi, toute la bible le dénonce avec force parce qu’il est homicide.

Et la conversion ? C’est une merveille. C’est croire que la déchéance n’est pas inexorable, que nous ne sommes jamais condamnés sans appel, que nous ne sommes pas réduits à nos pires actions, que les pires ténèbres n’empêcheront jamais l’aurore. Non pas que nous méritions le pardon. Le prodigue n’a nulle contrition – et d’ailleurs son père ne l’exige pas. Il suffit qu’il avoue sa faute : « J’ai péché… », qu’il veuille vivre et qu’il crie au secours. Et son père le coupe pour ne pas entendre la fin de sa confession : « Traite-moi comme un ouvrier ». Expression intolérable, indicible. Nous ne serons jamais des fonctionnaires de Dieu.

Et la miséricorde ? Autre merveille. Ce n’est pas un coup d’éponge sur une tache, une excuse facile. Ce n’est rien moins qu’une re-création de l’homme. Ce que signifient tous les détails du récit.
L’amour ne lambine pas, il urge : « Vite ». Enlevez-lui ses haillons et mettez-lui son plus bel habit: je veux que mon fils soit beau. Et une bague en or pour signifier sa grandeur de propriétaire. Et les plus belles sandales pour marcher fièrement…. Au risque qu’un jour peut-être il reparte ? Je cours le risque car la liberté jamais ne se lie. Ainsi le père lui offre tout ce qu’il croyait chercher dans le pays lointain : la gloire, la dignité, la richesse, la liberté.

Ce moment de grâce n’est pas une réconciliation de sacristie : il doit éclater en une fête. Que toute la cuisine se mette en branle, que les musiciens jouent avec les anges: « Quand on n’a que l’amour ». Je veux que ciel et terre chantent d’allégresse. Un fils perdu est retrouvé ; un fils mort est vivant.

La scène questionne les débats sur la confession parfaite, les chuchotements dans la tombe du confessionnal, les démangeaisons des scrupules, les pénitences tarifées (5 Pater et 5 Ave + tva.). Et elle doit transformer nos messes piteuses en banquets des pécheurs pardonnés et fiers de l’être.

LE FILS AINÉ : LE PHARISIEN

Il est scandalisé, il enrage, le brave garçon : « Moi, je suis resté fidèle, j’ai travaillé durement, j’ai observé tous les préceptes, j’ai résisté aux tentations, tu n’as aucun reproche à me faire. Et mon fichu de frère qui a dépensé tout l’argent, qui s’est roulé dans la débauche, voilà qu’il revient et non seulement tu lui pardonnes mais tu lui fais la fête comme pour un héros !? ».

Le père se justifie : « Il est mon fils, je l’avais perdu et il est revenu, je le croyais mort et il est vivant. Donc il faut se réjouir, faire un banquet. N’oublie pas : c’est ton frère, viens l’embrasser. Comprends donc que l’essentiel, ce n’est pas l’obéissance plus ou moins parfaite, l’acquisition des mérites et des vertus ». On ne peut pas rejeter celui qui a failli. Dieu est Père : les hommes sont ses enfants. Un seul manque : il est triste. Un seul revient, il est fou de joie. »

Et l’histoire finit mal : l’aîné se braque dans sa colère et refuse l’invitation. Il veut bien Dieu mais pas son frère. S’efforcer d’observer des lois mais avec un Dieu qui punit l’autre coupable.

CONCLUSION

Et en effet les pharisiens et légistes pour qui Jésus a inventé cette parabole refusent de céder et s’enferment dans leur bon droit. Loin de les convertir, la parabole les durcit davantage et leur hostilité brûle contre ce Jésus perturbateur qui semble remettre la Loi en question en offrant si facilement le pardon. Et on sait ce qui va advenir : convaincus de la dangerosité de ce blasphémateur, ils parviendront à l’arrêter et à le faire mettre à mort.

Au Golgotha, comme dans la parabole, on tuera, non plus un veau gras, mais Jésus qui s’offrira comme l’agneau. Mais après Pâques, Marie-Madeleine, Pierre le renégat et les lâches apôtres organiseront le banquet de l’Eucharistie et ils inviteront tout le monde, honnêtes gens et malfaiteurs, à faire la fête avec eux pour célébrer le Dieu du pardon infini et la réussite de son projet : unir dans la paix les enfants du même Père.

Carême : temps de purification de notre image de Dieu et temps de pardon.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Pape François

PAPE FRANCOIS : LA MISERICORDE

La miséricorde est la vraie force qui peut sauver l’homme et le monde du cancer qu’est le péché, le mal moral, le mal spirituel. Seul l’amour comble les vides, les gouffres que le mal ouvre dans le cœur et dans l’histoire. Seul l’amour peut faire cela, et c’est la joie de Dieu …

Chacun de nous est ce fils qui a gâché sa liberté en suivant de fausses idoles, des mirages de bonheur et qui a tout perdu.

Mais Dieu ne nous oublie pas, le Père ne nous abandonne jamais. C’est un père patient, il nous attend toujours. Il respecte notre liberté mais il reste toujours fidèle…Il ne cesse jamais, même pour un instant, de nous attendre avec amour.

Et son cœur est en fête pour tout enfant qui revient. Il est en fête parce qu’il est joie.
Dieu a cette joie quand l’un de nous, pécheur, va à lui et demande son pardon.

Quel est le danger ? C’est de se dire juste et de juger les autres. Nous jugeons aussi Dieu parce que nous pensons qu’il devrait punir les pécheurs, les condamner à mort au lieu de pardonner.

Mais nous risquons ainsi de rester en dehors de la maison du Père.

Si dans notre cœur, il n’y a pas la miséricorde, la joie du pardon, nous ne sommes pas en communion avec Dieu, même si nous observons tous les préceptes, car c’est l’amour qui sauve.

(Angelus, dimanche 15.9.2013)

PAPE FRANCOIS : RETRAITE A DES PRETRES

Nous avons souvent peur de la tendresse de Dieu et, de ce fait, nous ne le laissons pas agir en nous. C’est pour cette raison que nous sommes tant de fois durs, sévères, censeurs …Nous sommes des pasteurs sans tendresse …

Je vous demande de laisser « le fouet » accroché à la sacristie et d’être des pasteurs avec la tendresse de Dieu, également envers ceux qui vous créent le plus de problèmes …

(Rome – 12. 06. 2013)

LA GRANDE FAMILLE DES ENFANTS DE DIEU

Cette parabole du père miséricordieux indique bien le dessein de Dieu pour l’humanité.
Quel est ce projet ? C’est de faire de nous tous ses enfants, une unique famille dans laquelle chacun se sent proche et se sent aimé par Lui.

C’est dans ce grand dessein que l’Eglise trouve ses racines. Elle n’est pas une organisation née d’un accord entre des personnes, mais l’œuvre de Dieu….Dieu nous convoque, nous pousse à sortir de notre individualisme, de notre tendance à nous enfermer sur nous-mêmes et il nous appelle à faire partie de sa famille.

Toute l’histoire du salut est l’histoire de Dieu qui cherche l’homme, lui offre son amour, l’accueille…

(Audience générale 29 mai 2013)

SAINTE THÉRÈSE D’AVILA : « QUE RIEN NE TE TROUBLE … DIEU SEUL SUFFIT  »

Que rien ne te trouble, que rien ne t’épouvante, tout passe, Dieu ne change pas, la patience obtient tout.

Celui qui possède Dieu ne manque de rien : Dieu seul suffit.

Elève ta pensée, monte au ciel, ne t’angoisse de rien, que rien ne te trouble.

Suis Jésus Christ d’un grand cœur, et quoi qu’il arrive, que rien ne t’épouvante.

Tu vois la gloire du monde ? C’est une vaine gloire ; il n’a rien de stable, tout passe. Aspire au céleste, qui dure toujours ; fidèle et riche en promesses, Dieu ne change pas.

Aime-Le comme Il le mérite, Bonté immense ; mais il n’y a pas d’amour de qualité sans la patience. Que confiance et foi vive maintiennent l’âme : celui qui croit et espère obtient tout.

Même si lui viennent abandons, croix, malheurs, si Dieu est son trésor, il ne manque de rien.

Allez-vous-en donc, biens du monde ; allez-vous-en, vains bonheurs : même si l’on vient à tout perdre, Dieu seul suffit.

3ème dimanche de Carême – Année C – 24 mars 2019 – Évangile de Luc 13, 1-9

ÉVANGILE DE LUC 13, 1-9

LE FUMIER DE JESUS

Des expressions courantes manifestent encore de fausses conceptions de Dieu : il importe de les rectifier.
Ainsi l’enfant emporté par l’envie de faire une chose défendue se fait mal et éclate en cris et en larmes. Réaction des parents : « C’est bien fait : le Bon Dieu t’a puni ». Dieu serait-il un surveillant à la solde des adultes ? Dans les annonces nécrologiques, il n’est pas rare de remarquer une expression traditionnelle : « Il a plu au Seigneur de rappeler à Lui l’âme de Mr X…. ». Dieu tirerait-il les fils des marionnettes pour les rappeler une à une quand bon lui semble? Ou encore à l’arrêt du bus, nous trépignons d’impatience. « Quand est-ce que ce bus va enfin arriver ? » râle quelqu’un. Une dame voilée soupire : « Inch’Allah. Quand Dieu le veut ». Dieu serait-il le grand ordonnateur du trafic routier?

Toujours et partout il a été tentant de lier Dieu avec le mal pour essayer de trouver des explications à nos malheurs. Et il en allait déjà de même jadis en Israël.

QUI EST COUPABLE ?

Deux faits-divers tragiques survenus récemment faisaient l’objet de toutes les conversations : un groupe de résistants galiléens avait été surpris et exécuté par les Romains au moment même où ils offraient un sacrifice à Dieu. Et à Jérusalem, une tour en voie de construction s’était écroulée faisant 18 victimes.

Le peuple discutait ferme : Pourquoi Dieu permet-il de tels malheurs ? N’a-t-il pas voulu châtier ces hommes dont il n’approuvait pas les projets ? Ils étaient coupables et Dieu les a punis. Ce genre de réflexion énerve Jésus et il rejette ces explications grossières :

Pensez-vous que ces Galiléens étaient plus pécheurs que les autres ? Que ces ouvriers étaient plus coupables que les autres habitants de Jérusalem ? Non je vous le dis ! Et si vous ne vous convertissez pas, vous périrez tous de la même manière.

Jésus disculpe son Père, il refuse qu’on le voie en juge impitoyable. Il est faux de croire qu’un accident est une punition. Ce qui signifie d’ailleurs, à l’inverse, qu’il est tout aussi erroné de confondre bonheur et bénédiction divine.

Donc, dit Jésus, plutôt que de chercher des explications dans la culpabilité des autres et dans la colère de Dieu, demandez-vous d’abord comment vous-mêmes vous êtes en train de vivre. Et hâtez-vous de répondre puisque vous ignorez le terme de votre itinéraire terrestre.

Jésus nous apprend ainsi à avoir une lecture chrétienne de l’actualité: comme l’Evangile, les médias peuvent nous provoquer à avoir la réaction essentielle : accidents, catastrophes, morts subites nous pressent à nous interroger sur notre propre conversion.

LA CONVERSION

Aujourd’hui ce mot désigne l’entrée d’un incroyant dans la foi ou bien le passage d’une religion à l’autre. Mais, dans la bible, « conversion » traduit le mot grec « meta-noïa » qui signifie : se rendre compte que l’on s’est trompé et se retourner, rompre avec une certaine manière de voir, adopter le comportement que Dieu demande, corriger radicalement ses idées et sa conduite.

En quoi donc consiste cette conversion exigée de tous et à entreprendre d’urgence ? La lecture des pages précédentes de Luc nous en indique les actes essentiels. J’en retiens quelques-uns.

L’AMOUR – La célèbre parabole du bon Samaritain a tout centré sur le double amour : « Tu aimeras Dieu de tout ton cœur et ton prochain comme toi-même ». Au point que le prêtre en route vers le temple doit s’arrêter et se faire proche de l’homme souffrant.

LA PRIERE – Ton amour de Dieu se ressourcera toujours dans la rencontre avec Dieu, dans les moments de solitude et de silence où tu te mets en prière. En toute confiance, comme un enfant, tourne-toi vers Celui que Jésus t’a permis d’appeler « Père ».

ECOUTER L’EVANGILE Comme Marie de Béthanie, approche-toi de Jésus et écoute-le ; nourris-toi de son Evangile. C’est « la meilleure part ». L’amour de Jésus te rendra heureux : « Heureux ceux qui écoutent la Parole de Dieu et qui l’observent ». Alors ton cœur sera illuminé par sa Lumière : tu éclaireras ainsi ceux qui errent dans la nuit.

DANGER MORTEL DE L’ARGENT- Un très grave avertissement résonne comme un leitmotiv dans tout l’évangile de Luc : « Attention ! Gardez-vous de toute avidité. La vie d’un homme n’est pas garantie par ses biens ». N’oublie pas la parabole de ce riche qui élaborait mille projets de croissance et de jouissance pour l’avenir et qui, cette nuit-là même, est mort.

PAS SE NOYER DANS LES SOUCIS – De la même façon, ne te torture pas dans des inquiétudes obsessionnelles, cesse de te ronger au sujet de la nourriture, la mode, la voiture, le confort… « Cherchez plutôt le Royaume : cela vous sera donné par surcroît ».

EN ETAT D’EVEIL – Et enfin restez vigilants : « Soyez comme des serviteurs qui attendent leur Maître et qui accomplissent sans faiblir la tâche qu’il a confiée à chacun. Son heure est inconnue de tous mais son retour est certain : le Fils de l’homme viendra juger ». Cet état d’éveil te permet d’apprécier toute chose à sa juste valeur ; tu assumes ton existence comme une vocation ; et, sans angoisse, tu restes disponible pour accueillir Celui qui vient te sauver.

LA PARABOLE DU FIGUIER

Et Jésus conclut son enseignement par une parabole qui peut éclairer tout notre carême.

Un homme dit à son vigneron : « Voilà 3 ans que le figuier ne donne pas de fruit : il faut le couper ». Mais le vigneron répond : « Seigneur, laisse-le encore cette année : je vais bêcher tout autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir … Sinon alors tu le couperas ».

Comme les prophètes avaient comparé Israël à la vigne de Dieu (Isaïe 5…), les rabbins ajoutèrent que le temple de Jérusalem était semblable au figuier qui se dressait au milieu de la vigne. Jésus ferait donc ici allusion à cet édifice grandiose fait de marbre et de cèdre où des prélats en grand apparat présidaient d’impeccables liturgies.

A la suite des anciens prophètes, comme Amos et Isaïe, Jésus dénonce l’hypocrisie de tout ce décorum. On se vante de chanter la Gloire de Dieu mais le culte ne produit pas une société juste et droite. Car la vérité de la liturgie ne consiste pas dans la majesté des édifices et le faste des cérémonies mais dans ses fruits : le culte doit équiper les acteurs d’une société telle que Dieu la veut. Chanter la foi dans le Père doit susciter plus d’amour pour le frère. Sinon le rite est une parenthèse pieuse dans la vie ordinaire. Les modernes avec raison dénoncent l’aliénation religieuse.

Jésus – à qui son Père a confié la vigne – ne se résigne pas à cette stérilité qui voue à la mort. Il aime la Maison de son Père, il est attristé et révolté par l’incurie des grands prêtres qui n’accomplissent pas leur mission. Aussi il demande un sursis, il décide de prolonger et d’accentuer sa tâche. Inlassablement il se propose de tout faire pour qu’enfin le temple-figuier donne les fruits de fraternité et de paix.

Laisse-le encore cette année : je vais bêcher tout autour pour y mettre du fumier. Peut-être donnera-t-il du fruit à l’avenir … Sinon alors tu le couperas ».

Si le temple défaille, si l’Eglise ne produit pas le fruit exigé par Dieu, Jésus va travailler en profondeur, aérer les racines pour que les croyants approfondissent leur foi et y « déposer du fumier » pour accroître la fertilité.

Ainsi les épreuves, les secousses, les embarras qui nous surprennent, nous dérangent, nous empoisonnent la vie, et que nous appelons vulgairement « les emm… » sont sans doute ce « fumier » nécessaire pour que nous puisions davantage de forces dans le terreau de la foi afin de donner des fruits de charité.

Pathétique finale : « Peut-être donnera-t-il du fruit… ? ».
Nous restons libres, nous pouvons résister à ce travail de la grâce. Mais la merveille est que le Seigneur espère toujours en nous. Il n’y a pas pour lui de situation désespérée, de blocage définitif. Demain, à travers les événements scandaleux et douloureux qui la tordent, « peut-être » l’Eglise va-t-elle connaitre une purification majeure.

Il est capital de remarquer que Jésus ne lance pas l’anathème contre les païens ni ne fulmine contre les grands pécheurs (prostituées, voleurs…) mais vise directement l’édifice sacré, ceux qui y président, ceux et celles qui le fréquentent. La vérité du culte est beaucoup plus en lien avec le sort du monde que nous ne l’imaginons. C’est l’Eglise qui, en priorité, est appelée à la conversion.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

GRANDIR DANS LA VERITE, GRANDIR DANS L’ESPERANCE

Chers frères et sœurs baptisés, fidèles de l’Église catholique présente en France,

Réunis comme tous les mois, évêques membres du Conseil permanent, nous souhaitons vous adresser un message au début de ce temps de carême qui est un temps de conversion.

Le jour du mercredi des Cendres, en nous marquant, le célébrant nous a dit : « Convertis-toi et crois à l’Évangile. »

Nous sommes, ensemble, très affectés et troublés par les révélations faites au sujet des actes parfois criminels commis par des ministres ordonnés ou des consacrés sur des mineurs ou même des adultes dans l’Église universelle et chez nous aussi. Ces comportements immoraux nous scandalisent et atteignent notre confiance dans l’Église, dans ceux et celles qui pourtant ont consacré leur vie à Dieu.

Des personnes victimes, souvent membres de nos communautés, ont révélé ce qu’elles ont subi et leur profonde blessure qu’elle soit psychologique, spirituelle ou corporelle. Nous les remercions d’avoir osé parler. Grâce à leur témoignage, une profonde prise de conscience s’est réalisée.

Une grande opération-vérité s’est ouverte. Dans notre foi, la parole du Christ « La vérité vous rendra libres » (Jn 8,32) est à l’œuvre. C’est douloureux car le mal est profond. Avec le Pape François, nous disons qu’il s’agit d’abus de pouvoir, de conscience et d’abus sexuels.

Nous savions que l’Église est sainte de la sainteté de Dieu, mais qu’en elle se trouvent aussi des hommes et des femmes pécheurs, appelés pourtant par Dieu à être cette communauté qui, dans le temps de l’histoire, porte l’espérance des hommes et rend témoignage à sa bonté. Il est à l’origine de toute vie et par son Fils Jésus Il nous sauve du mensonge de nos vies et nous libère du poids du péché, de celui de la violence faite aux autres. Nous avons confiance en Lui et en son Église.

Le message de Pâques déjà nous éclaire : « Ne craignez pas, c’est moi. La Paix soit avec vous ! ». Nous ne sommes pas abandonnés, nous sommes purifiés. Nous sommes remis devant notre vocation de baptisés !

Poursuivons notre mission de porteurs d’espérance. Nous allons continuer notre effort de conversion dans les domaines où certains ont péché. Nous allons poursuivre notre écoute des personnes victimes et travailler avec elles.

Nous aurons besoin de chacun pour être des acteurs de vérité, pour apporter ses compétences pour rendre notre Église plus sainte dans la vie de tous ses membres et dans sa manière de vivre.

Oui, chers Frères et Sœurs, le Seigneur nous aime. Il nous renouvelle dans notre mission de baptisés. Entendons son appel : « Vous donc vous serez parfaits comme votre Père céleste est parfait. » (Mt 5, 48).

Bon Carême, bonne montée vers Pâques à la suite du Christ-Sauveur.

2ème dimanche de Carême – Année C – 17 mars 2019 – Évangile de Luc 9, 28-36

ÉVANGILE DE LUC 9, 28-36

UN VISAGE RAYONNANT

Le 1er dimanche de carême nous racontait le premier grand tournant de la vie de Jésus : le jeune artisan de Nazareth a reçu son investiture de Dieu et la mission d’inaugurer son Royaume sur terre. Il doit cesser de bâtir des maisons pour les hommes et rebâtir les hommes pour que l’humanité devienne la Maison de l’amour de Dieu. Tâche colossale.

Vous aurez remarqué que Luc est le seul évangéliste qui a noté que « Jésus baptisé, priait ». Et c’est dans ce recueillement long et silencieux qu’il a entendu la voix de son Père et reçu la force de l’Esprit. Car un rite n’est pas magique: il crée un lien entre Dieu et celui qui le reçoit et l’homme doit manifester sa disponibilité à ce que Dieu attend de lui.

Prier est une activité essentielle de carême : Luc nous montre la prière de Jésus.

UNE VIE SCANDEE DE PRIERE

Luc a rédigé l’Evangile de la prière de Jésus. Le Fils n’a pas seulement acquiescé une fois pour toutes à son Père : il reste libre, infiniment soucieux d’accomplir jour après jour sa Volonté. La mission est tellement capitale et les résistances sont tellement fortes qu’il importe de prier. Non pas rabâcher des formules ni expédier quelques minutes rongées de distractions mais prendre le temps de discerner ce que Dieu veut et se rendre accueillant au flux de l’Esprit.

Pointons les grands moments afin d’apprendre nous-mêmes cet art de la prière que nous négligeons si souvent car on nous l’a mal ou insuffisamment appris.

LUC 4, 1 : au désert Jésus est tenté. La prière est un combat : entrer en solitude pour écouter Dieu soulève les résistances terribles de notre orgueil, notre cupidité, notre égoïsme. Les tentations ne sont pas un péché : elles sont le prix de notre liberté et le combat nous permet de conforter notre foi, de dire OUI alors que nous avions envie de dire NON.

LUC 5, 16 : Les guérisons attirent près de Jésus de grandes foules et il les enseigne. Cependant Luc note « Jésus se retirait dans les lieux déserts et il priait ». Il est facile de se laisser prendre par l’agitation, de vouloir faire du bien, de répondre aux appels pressants. Attention danger ! Jésus ne veut pas être une vedette entraînée dans le tourbillon. On ne peut agir efficacement pour les hommes que si, en permanence on prend le temps d’écouter Celui qui vous envoie. L’action sans prière est activisme prétentieux ; la prière sans action est mystique évaporée.

LUC 6, 12 : Comme la rumeur attire des foules de plus en plus nombreuses, « Jésus monta dans la montagne pour prier Dieu toute la nuit ; le matin il choisit 12 apôtres ». La prière apprend à ne pas monopoliser la mission et à choisir des collaborateurs. Ne pas vouloir tout faire, accepter de se faire aider, choisir les personnes qui conviendront, leur confier des responsabilités : on ne fait pas cela sur un coup de tête, en suivant ses préférences. Il faut prier longtemps avant le choix : « une nuit de prière » pour Jésus ! Grande leçon pour les conseils paroissiaux.

LUC 9, 18 : LA ROUTE DE LA PASSION. Selon son habitude « Jésus était en prière à l’écart ». Il réfléchit à la situation qui s’altère. Certes les foules accourent, elles acclament son enseignement mais ce qu’elles attendent, ce sont des guérisons, des gestes merveilleux. Mais pas ou peu question de se convertir, de modifier sa manière de vivre. La santé d’abord.
Et surtout la méfiance, la colère et même l’hostilité grandissent à l’égard de ce perturbateur qui scandalise. Il fréquente les pécheurs avec joie, il a même choisi l’un d’eux comme apôtre ; il a l’audace de proclamer qu’un officier romain a beaucoup plus de foi que ses compatriotes; il n’observe pas les jours de jeûne ; il se fait inviter partout et on le trouve glouton ; il égratigne les règles du repos strict du shabbat.
Surtout il offre, en toute assurance et sans conditions, le pardon des péchés. Blasphème !
Qui donc est-il ? Personne ne parvient à cerner sa personnalité profonde.

Dans sa prière, Jésus prend une décision qu’il révèle aux apôtres: « Il faut que je monte à Jérusalem ; les autorités me refuseront et me mettront à mort mais mon Père me rendra la vie ».
L’obstacle à la venue du Royaume n’est pas dans l’oppression étrangère ni dans les fautes des pécheurs mais chez ceux qui, sous couvert de piété et de cérémonies religieuses, déforment le projet de Dieu. Le plus gros travail de conversion est à mener au centre, au cœur, au Temple, près de ceux qui sont persuadés qu’ils n’en n’ont pas besoin. Pas de plus grand malade que celui qui s’ignore tel.

LUC 9, 28 : LA PRIERE DE LUMIERE. LA TRANSFIGURATION

« 8 jours après ces paroles, Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques et il alla sur la montagne pour prier. Pendant qu’il priait, son visage changea, même ses vêtements devinrent blancs ».

La décision de Jésus l’a rendu livide et tremblant. Comme tout le monde, il a vu des hommes condamnés à la croix, le plus horrible, le plus cruel supplice que les hommes aient jamais inventé. Qu’il en soit bientôt la victime l’horrifie. Il lui faut encore beaucoup prier afin d’avoir la force de s’enfoncer dans les ténèbres des pires souffrances.

Et tout à coup les apôtres remarquent que les traits tendus du Maître s’apaisent, son visage se décrispe et semble plus clair, comme envahi par la lumière intérieure de la Vérité. Son Père évidemment ne veut pas sa mort mais il ne peut empêcher les hommes d’aller au bout de leur haine. Il certifie son Fils qu’en allant au bout de l’Amour, il renaîtra dans la Vie éternelle. La croix deviendra la porte étroite du Royaume.

Moïse et Elie – c.à.d. la Loi et les Prophètes – avaient commencé jadis à réaliser le projet de Dieu en utilisant la violence et en tuant les ennemis : à présent ils s’inclinent devant la vérité de Jésus. Par son passage à travers sa propre mort, c’est lui seul qui effectuera l’exode véritable, la sortie du monde du mal.

Le brave et si dévoué Pierre propose de prolonger ce moment de bonheur :

« Il est heureux d’être ici ; faisons 3 tentes pour toi, Moïse et Elie ». Il ne savait pas ce qu’il disait. Une Nuée survint et les couvrit tous de son ombre. Et de la Nuée sortit une voix : « Celui-ci est mon Fils que j’ai choisi : écoutez-le ». On ne vit plus que Jésus seul.

Pierre est notre image : toujours à côté de la plaque ! Quand Jésus annonçait sa passion, il se cabrait et assurait qu’il défendrait le Maître par les armes. Ici il rêve d’un Royaume paisible, d’une Eglise ravie autour de son Seigneur rayonnant et décidée à lui construire cathédrales, basiliques, palais, nonciatures.

Nous nous croyons dévoués en faisant, en construisant, en édifiant. Mais le Père manifeste sa volonté : ce que je veux, c’est vous englober tous et toutes dans ma maison, sous le couvert de mon Esprit. Alors Abraham et Moïse, Isaïe et David, Pierre et Jean, François d’Assise et Dominique, Thérèse de Lisieux et Damien, par milliards, vous serez une communauté universelle.

Laissez Dieu vous faire. L’Eglise n’est pas faite de piliers et de murs mais d’hommes et de femmes qui croient, qui écoutent le Père répéter : « Jésus est mon Fils : écoutez-le ».

Mais au fait Jésus sur la montagne n’a encore rien dit. Donc le Père renvoie aux dernières paroles de Jésus : « Il faut que je souffre beaucoup, être mis à mort mais mon Père me fera vivre… Et si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il prenne sa croix chaque jour et me suive…Et le Fils de l’homme viendra dans la Gloire » (9, 22-26).

Cette annonce que les auditeurs ont trouvée ahurissante, incroyable, folle, elle est tout à fait exacte. Jésus qui l’a reçue comme un coup de couteau au cœur l’a acceptée. Et parce qu’il l’accepte, parce qu’il l’assume non comme un destin fatal mais comme l’accomplissement de sa mission, son être est comme traversé par la lumière de la vérité. La semaine précédente, il disait oui aux ténèbres : aujourd’hui son Père l’ouvre à la transfiguration. Le Visage de Jésus est l’aurore de l’humanité nouvelle.

Quand la Voix eut retenti, on ne vit plus que Jésus seul. Les disciples ne dirent rien à personne de ce qu’ils avaient vu

On se retrouve dans le réel banal. Toute intuition divine est éphémère et demeure sans trace. Il est vain de vouloir en parler, toute tentative d’explication se heurterait à l’incrédulité.

L’essentiel demeure : ni extase, ni fulgurance, ni apparition. NE VOIR QUE JESUS SEUL. Et demeurer avec lui, le suivre sur le chemin de Jérusalem avec sa faiblesse. D’ailleurs l’expérience mystique n’empêchera pas les apôtres de lâcher leur Maître lorsqu’il sera fait prisonnier pour la mort.

CONCLUSION

Jésus l’avait bien dit au désert : « L’homme ne vit pas seulement de pain mais de la Parole de Dieu ». Luc nous le prouve: jeté totalement dans sa mission près des hommes pour les instruire, les guérir, leur pardonner, Jésus ne poursuit son chemin que grâce aux haltes de prière. Il arrête le travail si pressant et si urgent soit-il pour pénétrer dans la solitude et écouter ce que son Père lui dit.

Ne suivons pas seulement notre bonne volonté, ne nous appuyons pas uniquement sur nos talents. Et ne rêvons pas de vivre sans la croix. Mais demeurons avec Jésus, dans une Eglise de disciples lâches. Regardons son visage. Celui, défiguré, du Saint Suaire et celui, transfiguré, des icônes. C’est le même. Giflé par les hommes et illuminé par son Père. Promesse de l’humanité promise à la Lumière. Preuve du respect absolu de tout visage.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

LA SOCIÉTÉ CIVILE NE S’ORGANISE PLUS PAR RAPPORT AUX REPÈRES CHRÉTIENS

Mgr Georges Pontier

Quoique tardif, le récent sommet des évêques à Rome représente un tournant majeur dans la lutte de l’Église contre les abus sexuels…Comment réagissez-vous  ?

Mgr Georges Pontier : … Il faut que l’Église, institution mondiale, replace les personnes victimes au centre et sorte de la culture du secret. Il ne faut plus chercher à protéger l’institution et à couvrir les coupables.

Comprenez-vous le désarroi et l’impatience des victimes qui attendaient de ce sommet de Rome des mesures concrètes  ?

Je le comprends bien sûr … Nous avons été bousculés par ce que nous avons entendu. Nous avons reçu des coups de poing dans le ventre… Il y aura un avant et un après dans le fonctionnement de l’Église. Mais on ne peut pas le décider du jour au lendemain.

Le fossé entre l’Église et la société qui l’entoure, en Europe et en France particulièrement, est-il en train de se creuser ?

Ces événements choquent, suscitent de grandes interrogations, imposent de grandes souffrances chez l’ensemble des prêtres qui se sentent jugés, soupçonnés…

Mais je ne ressens pas une Église morte, j’y perçois même de beaux signes de vie. Dans le diocèse de Marseille, à Pâques prochain, nous allons baptiser une centaine d’adultes de 18 à 60 ans, le même nombre que l’année dernière… Les demandes de formation à la connaissance de la foi et à la vie spirituelle sont en augmentation. Et je ne cite pas les multiples témoignages d’engagements de chrétiens dans la vie sociale.

Je vois ces choses réconfortantes, mais je suis marqué, nous sommes marqués par cette peine immense qui est la nôtre et la honte que nous ressentons.

UNE ERE POST-CHRETIENNE

Dans L’Archipel français (Seuil), Jérôme Fourquet, directeur du département Opinions de l’Ifop, à force de cartes et de statistiques, diagnostique une France entrée dans « une ère postchrétienne ». Que lui répondez-vous  ?

Cette hypothèse donne à penser… Un ensemble de signes montrent que nous avons changé d’époque dans les pays occidentaux et notamment en Europe. Auparavant, en France notamment, la société civile s’organisait par rapport aux repères chrétiens. Ce temps est fini, comme on l’a vu lors des débats sur le mariage pour tous.

Nos sociétés sont devenues plurielles sur le plan religieux, y compris dans le monde chrétien, où des sensibilités différentes s’expriment, je pense en particulier à l’évangélisme protestant. Mais il y a aussi un monde athée qui se signale dans l’espace public.

Nous vivons un moment où la vie chrétienne n’est plus un comportement automatique ou héréditaire, mais un choix personnel, et un choix que l’on effectue souvent à l’âge adulte. Il ne faut pas se lamenter de cette évolution : le nombre de catéchumènes de plus de 18 ans dans notre pays est en légère augmentation chaque année depuis une décennie…

Jérôme Fourquet souligne « une dislocation de la matrice catholique » qui structurait la société française (il y a moins de mariages, plus de divorces, avoir un enfant hors mariage est devenu la norme)… Qu’en pensez-vous ?

De fait, ce n’est plus « la matrice catholique » qui oriente de manière forte la vie en société. Mais, paradoxalement, le religieux reste très présent. Dans les débats, les positions des croyants ne sont pas occultées. Ce ne sont pas eux qui imposent la législation, mais les réflexions des groupes religieux, en amont, sont possibles et entendues.


PRATIQUES RELIGIEUSES

Personnes interrogées déclarant aller à la messe tous les dimanches ou plus :

  • En 1961 : 35 %
  • En 2012 : 6 %

Personnes interrogées déclarant ne pas être baptisées :

  • En 1961 : 8 %
  • En 2012 : 20 %

Vous ne partagez donc pas le diagnostic sur l’existence actuellement en France d’une « cathophobie » ?

Non. Des individus se servent de tout pour abîmer l’Église, mais ce n’est pas un phénomène dominant. Nous ne sommes pas victimes de « cathophobie » ! Une évolution culturelle a modifié le rapport entre la religion et l’organisation de la vie en société … Un chrétien vit ce qu’il a à vivre, à la manière du Christ et non en profitant d’aubaines pour stigmatiser. Il ne serait pas bon de rentrer dans une problématique qui ressemblerait à une prise de pouvoir sur les autres.

Beaucoup de croyants reprochent aux évêques de ne pas aller suffisamment au feu médiatique. Le craignez-vous ?

C’est vrai que nous ne courons pas après les micros. En s’approchant trop près du feu médiatique, on peut se brûler ! Le problème est que dans une grande partie des émissions télévisées et radio, on a l’impression que celui qui est invité, quel qu’il soit, est conduit dans ses retranchements plus que dans ses convictions, il est mis sur le gril. Il y a des outils qui permettent d’exprimer une pensée davantage en profondeur. Mais nous avons peut-être à progresser sur ce front-là, nous former davantage à une culture du dialogue et de l’interpellation.

Comment l’Église peut-elle surmonter la grave crise qu’elle traverse actuellement  ?

Nous ne la traverserons qu’en considérant
que cette crise n’est pas une atteinte à notre égard,
mais, au contraire, une invitation, un appel de Dieu à nous convertir
et à vivre comme chrétiens.
Il y avait des parts de mensonge dans notre manière d’être.
Il nous faut aujourd’hui nous remettre en cause
et retrouver la joie de vivre selon l’Évangile.

L’avion, plaisir coupable de l’écolo voyageur

Par Pascale Krémer

Ils ont renoncé aux Coton-Tige, au Nutella et même à l’harmonie scandinave de la cuisine …Alors pas question d’annuler le ­Paris-New York de cet été… Ils embarqueront avec les enfants, trop de bagages et ce léger sentiment de culpabilité qui gagne, depuis peu, ceux qui ont l’heur de voyager et de songer à leur bilan carbone. … L’avion sème la zizanie. D’un côté, ceux qui connaissent les chiffres et commencent à s’interroger. De l’autre, ceux qui ne veulent surtout rien savoir …

Quarante fois plus polluant que le train

Ne me dites pas… Qu’un aller-retour Paris-New York envoie plus d’une tonne de gaz carbonique dans l’atmosphère par passager, soit autant qu’une année de chauffage et le cinquième des émissions annuelles d’un Français. Que tout trajet national ou européen en avion pollue quarante fois plus que le TGV, sept fois plus que le bus, deux fois plus qu’une voiture avec trois passagers. Que le secteur aéronautique est responsable de 2 % des émissions mondiales de CO2. Soit deux fois plus qu’un pays comme la France.

2 % seulement ? …Un chiffre trompeur, selon l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) qui souhaite « briser le tabou » en lançant « un débat démocratique sur la maîtrise du développement du transport aérien ». Car ce secteur connaît une croissance exponentielle (quatre milliards de passagers en 2018, le double prévu dans vingt ans), et les progrès technologiques qui y sont attendus ne suffiront pas à ­absorber l’explosion de ses émissions de gaz à effet de serre…

Journal Le Monde, 22 février 2019


REFLEXIONS

Cette joyeuse jeunesse qui a eu la magnifique initiative des marches pour le climat mettra-t-elle en application les slogans qu’elle affiche et scande dans les rues ? Sera-t-elle logique avec ses manifestations ? Osera-t-elle demander aux parents de renoncer aux longs voyages vers les palmiers et les plages de rêve ? Comme de résister au désir de changer de Smartphone tous les 6 mois ?

Et notre cher Pape François pourrait-il demander aux chrétiens que, dans la logique de son encyclique sur les dangers du réchauffement climatique, ils n’usent de l’avion que pour des cas urgents et professionnellement nécessaires ?

Car si François est tellement sympathique et a besoin d’être encouragé dans sa lutte pour la conversion de l’Eglise, ne peut-on s’étonner devant ce spectacle de foules en délire devant lui ? Faut-il toucher le Pape ou s’appliquer à étudier et à faire ce qu’il dit ? Toute la Bible raconte combien l’idolâtrie est une force terrible. Il faut relire l’épisode de Paul et Barnabé à Lystre, comment Paul rejette avec violence cet élan populaire prêt à diviniser celui qui venait d’accomplir une guérison. « Que faites-vous là ? Nous sommes des hommes comme vous ! » (Actes 14, 15).

Et dans la même logique que penser de la pratique des pèlerinages ? Saint Paul n’a jamais invité ses chers chrétiens de Salonique ou de Corinthe à se rendre à Jérusalem pour voir où avait été couché le corps du Christ. « Le corps du Christ, c’est vous », leur affirmait-il. Si vous ne le voyez pas ici dans vos assemblées, vous ne le verrez pas davantage dans les lieux dits saints.

R.D.

1er dimanche de Carême – Année C – 10 mars 2019 – Évangile de Luc 4, 1-13

ÉVANGILE DE LUC 4, 1-13

ALLER AU DESERT POUR QUE LE MONDE NE LE DEVIENNE PAS

Le mot « carême » évoque un temps triste où le chrétien se sent tenu de s’infliger certaines privations et de consentir à un geste de générosité pour répondre à l’appel du « carême de partage ». Ces pratiques, certes louables mais souvent superficielles, doivent être refondées sérieusement. Aujourd’hui ce qui est pieux et religieux mais sans signification profonde s’écroule.

RENDRE LEUR SENS AUX MOTS

« Faire pénitence » : en dépit de sa ressemblance avec « pénible », la pénitence biblique ne veut absolument pas dire petits sacrifices, privations même héroïques, ni surtout flagellations masochistes. Elle signifie conversion, changement de vie, sortie d’une impasse pour reprendre le bon chemin. Cesser de vivre comme on aime pour vivre comme Dieu le demande.

« Carême » vient d’un mot latin qui signifie « quarantaine ». Dès l’antiquité, c’est un temps d’incubation, d’observation, où l’on doit débusquer le danger (« navire en quarantaine ») et prendre une décision vitale. Ainsi Moïse passe 40 jours sur le mont Sinaï avant de recevoir les préceptes de Dieu afin de guider son peuple vers la terre promise (Ex 24, 18).

De même, après son baptême au cours duquel son Père l’a intronisé Roi et l’a comblé de la puissance de son Esprit, Jésus s’éloigne pour vivre un carême  dans la solitude du désert.
Il est homme, il est le Fils de Dieu, il dispose de la force divine et « aujourd’hui » il doit commencer sa mission. Laquelle ? Comment ? Avec quels moyens ? Son Père n’a rien précisé. C’est pourquoi il s’isole. Il veut réfléchir et décider seul. Il ne cherche pas des méthodes de développement personnel, des trucs pour obtenir une concentration maximum et faire le vide dans sa tête.

En effet la situation est grave : son pays est occupé par l’armée romaine depuis 90 ans, le roi fantoche est un corrompu de même que plusieurs grands prêtres de Jérusalem, la civilisation païenne s’impose toujours davantage avec ses théâtres, ses stades, ses philosophes. Le préfet Pilate est impitoyable. Le chômage est important, des multitudes de juifs se sont exilés tant les conditions de vie sont pénibles.

Le carême de Jésus n’est donc pas une évasion dans une fausse spiritualité mais une quête dure qui porte sur un enjeu essentiel : le salut d’Israël et du monde. Que signifie un pauvre baptisé, seul, « Fils de Dieu », qui doit inaugurer tout de suite le Royaume de Dieu ? Il n’est pas un pantin manipulé par son Père : radicalement libre, il doit en toute lucidité forger ses décisions. Mais du coup la mystérieuse puissance du mal va déployer toutes ses ruses pour faire miroiter des perspectives alléchantes.

Le carême est donc un temps de lutte. Plus nous sommes décidés à chercher la volonté de Dieu, plus les suggestions tenteront de nous détourner de cette voie et de faire avorter le projet : on pourra y ressentir plus que jamais la puissance épouvantable du mal, avoir l’impression d’aller à l’échec inéluctable, de saisir que l’avenir sera difficile, dangereux même. La tentation n’est pas un péché mais la salle d’accouchement d’un homme nouveau. Ce combat des tentations se joue sur un triple front.

LA VRAIE NOURRITURE DE L’HOMME

– Si tu es le Fils de Dieu, ordonne à cette pierre de devenir du pain.
– Non ! Car l’homme ne vit pas seulement du pain mais de toute Parole de Dieu ».

Manger n’est pas une nécessité animale, humiliante. Magnifiques sont les efforts des hommes pour cultiver le sol et préparer des aliments. Jouir d’un bon repas n’est pas un péché de gourmandise. Mais remarquez que la réussite de tout banquet est davantage dans la sincérité des convives et la cordialité des échanges. La bouche qui déguste et mâche est aussi et surtout l’organe qui parle.

Heureux celui qui, à table, vit surtout des échanges de paroles. Heureux plus encore celui qui a compris que, s’il faut nourrir le corps, l’essentiel est de prendre le chemin de la vraie vie. Heureux celui qui voit que l’écoute de la Parole de Dieu, que la lecture de l’Evangile lui donne la vie du cœur. A quoi bon bien manger si on ne sait comment vivre ?

Tentation diabolique : comble-toi de nourritures terrestres ici, tout de suite. Remplis ton caddy, tes armoires, ton garage, ton compte en banque, tes avions. Invente la société de consommation : les foules seront enthousiastes…. Mais leur avidité détruira le monde !

Jésus se hérisse : l’homme vit surtout en écoutant son Père lui apprendre à vivre. A chercher comment partager le pain. Le carême est moins jeûne ascétique que partage du banquet de la parole de Dieu. Carême temps de réflexion, de méditation. C’est en mangeant la Parole de Dieu que nous comprenons la nécessité de donner du pain aux affamés.

LA SOIF DU POUVOIR

– Je te donne la gloire des royaumes de la terre si tu te prosternes à mes pieds.
– Non ! Car l’homme ne doit adorer que le Seigneur Dieu seul. »

Le 2ème moyen pour manipuler les hommes est la force de la violence. Beaucoup de jeunes juifs étaient passés dans la résistance armée, seule possibilité efficace, selon eux, pour chasser l’occupant. Les dictateurs disent : il y a tant de malheurs, tant d’injustices, donc usons du pouvoir pour imposer au plus vite nos solutions. Quitte à éliminer tous les opposants. Mais tous ceux qui ont employé la force pour réaliser leur rêve de bonheur ont créé des malheurs épouvantables : guerres, massacres, goulag, shoah. Les idoles tuent.

Jésus rejette cette fausse solution du paradis immédiat et imposé. Tout doit jaillir de l’adoration aimante du Père. L’amour est patient, il brûle de se répandre mais il respecte les recherches et les lents cheminements de la liberté. Jésus devra refréner l’impatience, l’envie de pouvoir de certains de ses disciples. Qui use du glaive périra par le glaive. La force de l’Esprit est sous le signe de la colombe de la paix.

LA FASCINATION DU PRODIGE

– Si tu es le Fils de Dieu, jette-toi du haut du temple : les anges te garderont.
– Non ! Tu ne mettras pas à l’épreuve le Seigneur ton Dieu »

Le 3ème moyen diabolique est la séduction. Monter des spectacles mirobolants avec paillettes, feux d’artifice, réalisations stupéfiantes, débauche de dollars, défilés prestigieux. Extatiques, émerveillées, les foules béent d’admiration devant le mystère, le panache, le miracle.

Jésus sent le danger : il ne faut pas jouer à l’ange, faire des pirouettes, planer comme un ange. Etre Fils de Dieu n’arrache pas à l’humble condition humaine. Il restera un pauvre homme.
Cela explique sa réticence pour opérer les miracles que les foules demandent : il fera quelques guérisons mais uniquement par miséricorde et compassion et en demandant souvent qu’on n’en parle pas. Le miracle n’est pas une pub’ pour embobiner les naïfs.

NOTRE CAREME

Nos obligations ne nous permettent pas de tout quitter comme Jésus l’a fait ; mais à notre mesure, nous pouvons de manière analogue entrer dans sa démarche de carême.
Le baptême nous a révélé notre identité profonde (« Tu es mon fils »), communiqué la force divine de l’Esprit de paix (la colombe) et investi de mission : étendre le royaume sur terre « aujourd’hui ».
Le problème n’est donc pas : « de quoi vais-je me priver ? » Ni « combien donnerai-je à la quête ? ».
L’urgence est d’analyser la situation du monde et de l’Eglise, guérir de notre paresse et de notre indifférence, décider des changements.

Comment donc d’abord trouver des plages de solitude et de silence afin de redevenir conscient de notre grandeur et de nos responsabilités. Dur travail : se déconnecter, fuir le bombardement incessant des nouvelles, penser par soi-même librement, refuser l’esclavage des médias. Nous nourrir mieux certes mais surtout vivre en écoutant la Parole de Dieu. Ne pas lire un évangile comme un article de journal. Le ruminer, trouver une interprétation personnelle, décider son application.

Nous nous trouvons aujourd’hui devant une situation pire que celle qu’a connue Jésus. Les progrès extraordinaires des sciences et des techniques ont certes résolu beaucoup de problèmes, éliminé des souffrances, ouvert des possibilités infinies de développement. Mais les nuages s’amoncellent. Des nouvelles expérimentations font frémir, des perspectives glacent le sang.
Des millions d’êtres humains souffrent encore de la faim. Les guerres flambent partout. La pieuvre des drogues agrippe des esclaves innombrables. La menace nucléaire reste ouverte. Et, pire que tout, la destruction totale de la planète s’annonce à un horizon pas très lointain.
Et l’Eglise qui fait naufrage sous le poids des scandales des grands prêtres ! Et qui, en Occident, s’effrite au point de persuader certains qu’elle est promise à disparition.
Que faire ? Le carême de Jésus reste notre programme.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

PAPE FRANCOIS : MESSAGE DE CAREME 2019 (extraits)

… Chaque année, Dieu, avec le secours de notre Mère l’Eglise, «accorde aux chrétiens de se préparer aux fêtes pascales dans la joie d’un cœur purifié …

… Saint Paul le dit:«La création attend avec impatience la révélation des fils de Dieu» (Rm 8,19). C’est dans cette perspective que je souhaiterais offrir quelques points de réflexion pour accompagner notre chemin de conversion pendant le prochain carême.

1. La rédemption de la Création.

… Si l’homme vit comme fils de Dieu, s’il vit comme une personne sauvée qui se laisse guider par l’Esprit Saint (cf. Rm 8,14) et sait reconnaître et mettre en œuvre la loi de Dieu, en commençant par celle qui est inscrite en son cœur et dans la nature, alors il fait également du bien à la Création…C’est pourquoi la création, nous dit Saint Paul, a comme un désir ardent que les fils de Dieu se manifestent, à savoir que ceux qui jouissent de la grâce du mystère pascal de Jésus vivent pleinement de ses fruits, lesquels sont destinés à atteindre leur pleine maturation dans la rédemption du corps humain.

Quand la charité du Christ transfigure la vie des saints, ceux-ci deviennent une louange à Dieu et, par la prière, la contemplation et l’art, ils intègrent aussi toutes les autres créatures, comme le confesse admirablement le «Cantique des créatures» de saint François d’Assise (Enc. Laudato Sì, n. 87).

En ce monde, cependant, l’harmonie produite par la rédemption, est encore et toujours menacée par la force négative du péché et de la mort.

2. La force destructrice du péché

En effet, lorsque nous ne vivons pas en tant que fils de Dieu, nous mettons souvent en acte des comportements destructeurs envers le prochain et les autres créatures, mais également envers nous-mêmes, en considérant plus ou moins consciemment que nous pouvons les utiliser selon notre bon plaisir.

L’intempérance prend alors le dessus et nous conduit à un style de vie qui viole les limites que notre condition humaine et la nature nous demandent de respecter… Si nous ne tendons pas continuellement vers la Pâque, vers l’horizon de la Résurrection, il devient clair que la logique du «tout et tout de suite», du «posséder toujours davantage» finit par s’imposer.

La cause de tous les maux, nous le savons, est le péché qui, depuis son apparition au milieu des hommes, a brisé la communion avec Dieu, avec les autres et avec la création à laquelle nous sommes liés avant tout à travers notre corps.

La rupture de cette communion avec Dieu a également détérioré les rapports harmonieux entre les êtres humains et l’environnement où ils sont appelés à vivre, de sorte que le jardin s’est transformé en un désert (cf. Gn 3,17-18). Il s’agit là du péché qui pousse l’homme à se tenir pour le dieu de la création, à s’en considérer le chef absolu et à en user non pas pour la finalité voulue par le Créateur mais pour son propre intérêt, au détriment des créatures et des autres.

Quand on abandonne la loi de Dieu, la loi de l’amour, c’est la loi du plus fort sur le plus faible qui finit par s’imposer. Le péché qui habite dans le cœur de l’homme et se manifeste sous les traits de l’avidité, du désir véhément pour le bien-être excessif, du désintérêt pour le bien d’autrui, et même souvent pour le bien propre – conduit à l’exploitation de la création, des personnes et de l’environnement, sous la motion de cette cupidité insatiable qui considère tout désir comme un droit, et qui tôt ou tard, finira par détruire même celui qui se laisse dominer par elle.

3. La force de guérison du repentir et du pardon

… Le chemin vers Pâques nous appelle justement à renouveler notre visage et notre cœur de chrétiens à travers le repentir, la conversion et le pardon… Le carême est un signe sacramentel de cette conversion. Il appelle les chrétiens à incarner de façon plus intense et concrète le mystère pascal dans leur vie personnelle, familiale et sociale en particulier en pratiquant le jeûne, la prière et l’aumône.

Jeûner, c’est-à-dire apprendre à changer d’attitude à l’égard des autres et des créatures: de la tentation de tout “dévorer” pour assouvir notre cupidité, à la capacité de souffrir par amour, laquelle est capable de combler le vide de notre cœur.

Prier afin de savoir renoncer à l’idolâtrie et à l’autosuffisance de notre moi, et reconnaître qu’on a besoin du Seigneur et de sa miséricorde.

Pratiquer l’aumône pour se libérer de la sottise de vivre en accumulant toute chose pour soi dans l’illusion de s’assurer un avenir qui ne nous appartient pas. Il s’agit ainsi de retrouver la joie du dessein de Dieu sur la création et sur notre cœur, celui de L’aimer, d’aimer nos frères et le monde entier, et de trouver dans cet amour le vrai bonheur.

CONCLUSION

Chers frères et sœurs, le «carême» du Fils de Dieu a consisté à entrer dans le désert de la création pour qu’il redevienne le jardin de la communion avec Dieu, celui qui existait avant le péché originel (cf. Mc 1,12-13; Is 51,3). Que notre Carême puisse reparcourir le même chemin pour porter aussi l’espérance du Christ à la création, afin qu’«elle aussi, libérée de l’esclavage de la dégradation, puisse connaître la liberté de la gloire donnée aux enfants de Dieu» (cf. Rm 8,21).

Ne laissons pas passer en vain ce temps favorable ! Demandons à Dieu de nous aider à mettre en œuvre un chemin de vraie conversion. Abandonnons l’égoïsme, le regard centré sur nous-mêmes et tournons-nous vers la Pâque de Jésus: faisons-nous proches de nos frères et sœurs en difficulté en partageant avec eux nos biens spirituels et matériels.

Ainsi, en accueillant dans le concret de notre vie la victoire du Christ sur le péché et sur la mort, nous attirerons également sur la création sa force transformante.

PAPE FRANCOIS