Gaël Giraud, jésuite
Né en 1970. Ecole Normale sup’ – Math. et Economie – Service civil au Tchad : fonde un centre d’accueil pour enfants pauvres – C.N.R.S. – 2004 : entre chez les jésuites – Publie « Illusion financière » – 2020 : professeur à l’Univ.de Washington.- publie « L’Economie à venir ». – Extraits d’une interview dans « La Croix – L’Hebdo » 27.8.21
- Vous dénoncez l’imposture de l’économie néoclassique dominante. Pourquoi cette virulence ?
… Soutenir que les individus ne sont reliés entre eux que par un système de prix donné par le marché contredit tout ce que les autres sciences sociales nous disent sur l’humanité, et s’oppose à l’anthropologie chrétienne. En outre ces modèles contredisent la physique et la biologie. Bref l’édifice de cette prétendue science économique est bâti sur du sable.
- Vous fustigez également la propriété privée…
Au 18e s., 3 idées fortes vont structurer la modernité européenne. D’abord la désacralisation du pouvoir politique…Ensuite le droit devient une instance censée protéger tout le monde, notamment contre la tyrannie de l’Etat. Enfin la propriété privée est érigée en droit inviolable…Depuis 40 ans, l’Occident a rompu avec ce programme pour rentrer dans le temps du post-libéralisme. On resacralise le pouvoir en confiant nos destins aux marchés financiers ; on tord le droit qu’on assujettit à la défense des intérêts privés d’une tout petite minorité. Enfin on étend la propriété privée à tous les domaines, y compris le corps humain….La privatisation du monde détruit le lien social.
- A cette vision comptable du capitalisme, vous opposez « les communs »…Derrière cette notion, il y a une certaine vision de l’homme. En quoi est-ce une vision chrétienne ?
La pandémie permet de comprendre que la santé est un commun mondial…il y a des situations où la propriété privée doit être limitée au nom de l’intérêt public…Dans ma thèse, j’essaie de remonter au mystère central dont fait partie la Cène : « Ceci est mon corps partagé entre vous » : le Christ met en commun son corps pour que nous communiions tous ensemble et non chacun de notre côté. Le christianisme est cette ligne de crête où l’on apprend ce difficile travail de la mise en commun.
Pour relever l’énorme défi du désastre écologique dans lequel nous sommes engagés, il nous faut apprendre à prendre soin de nos communs : le climat, la biodiversité, la santé, la culture…et, pour cela, il faut aller puiser dans des ressource spirituelles. Notamment celles qu’offre le christianisme…Les chrétiens ont une voix singulière à faire entendre.
- Faire de l’économie, c’est aussi évangéliser ?
Oui je suis en mission en tant qu’économiste. On peut dire que cela participe de l’évangélisation si l’on considère que cela fait partie du travail de sourcier autour de ce que des théologiens appellent la foi élémentaire. La foi chrétienne est d’abord une foi élémentaire, un crédit très simple dans l’existence. C’est pourquoi la Cène n’est pas un grand discours. On mange ensemble. C’est un acte élémentaire de foi dans la vie en commun. Mon humanité repose sur cet acte de foi qui atteste que j’ai reçu la vie gratuitement, qu’elle est belle et qu’elle mérite d’être vécue avec d’autres. C’est ce qui me fait me lever tous le matins.
La tradition chrétienne entre en scène dès lors que l’on cherche à remonter le fil de la sainteté qui habite discrètement ces témoins, ou ces passeurs, jusqu’au Témoin par excellence qu’est Jésus. La rencontre personnelle avec le Christ peut alors nous faire grandir de cette foi élémentaire vers le don de soi pour autrui. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis » (Jn 15, 13)
Mais cette foi élémentaire peut être vécue par tout le monde. Je rencontre des athées – c’est une banalité que de dire cela – qui ont une foi élémentaire davantage chevillée au corps que certains chrétiens. Quand je parle d’économie, j’essaie modestement de contribuer à désensabler cette foi élémentaire. Je crois fondamentalement que nos sociétés sont capables de quitter les mythes de l’économie néoclassique, de sortir des illusions sur le marché qui nous empêchent de faire face sérieusement au drame climatique et sanitaire. Il faut pour cela une décision, un acte de courage spirituel collectif (……………..)