Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Violence de l’angoisse, humilité de l’amour

Année C — Jeudi saint — 17 avril 2025

Évangile selon saint Jean 13, 1-15

Je crois que, dans le christianisme, où ils sont si fortement liés, on peut souvent parler des esprits comme des corps, l’un reflétant l’autre. Bien des signes de notre corps témoignent de notre état d’esprit, tandis que la souffrance physique souvent nous assombrit l’âme. Je crois qu’il y a des pensées qui agissent comme un poison, qui blessent et qui tuent. Je crois qu’il y a des phrases qui réjouissent comme du baume au cœur et qui rendent la vie. Il y a des mots qui nous crucifient ; il y a des mots qui nous ressuscitent.

Pour Jésus, on est au temps des pensées sombres : « Éloigne de moi cette coupe » ; « Pourquoi m’as-tu abandonné ? ». C’est l’heure de la Pâque et lui sait que c’est le dernier repas qu’il partagera avec ses amis. Il sait que l’un d’eux l’a trahi. Il sait qu’il sera crucifié demain. La perspective n’est qu’atroce : un châtiment autant injuste qu’infâme l’attend, la trahison et l’abandon l’entourent. Tout pour se révolter … Se révolter contre Dieu, contre le genre humain, contre les hypocrites et les lâches.

Mais lui ne se révolte pas, ni même ne s’enfuit. Au contraire, il va s’abaisser comme le serviteur qui lave les pieds de ceux qui continueront à marcher après lui. Il lave même les pieds de Judas, qui pourtant s’égare.

Imaginez Jésus, avec l’angoisse qui lui ronge le ventre, peut-être aussi un sentiment de nausée, imaginez-le déjà aux prises avec cette angoisse terrible qui lui fera plus tard suer des gouttes de sang. Imaginez, les larmes qui lui montent aux yeux face à Judas : Ne t’ai-je pas sincèrement aimé ? Pourquoi me fais-tu ça ?

Non. Pas une question. Pas un reproche. Jésus se dépouille de lui-même, se baisse, lave les pieds de Judas, partage son pain avec lui et lui dit : « Ce que tu as à faire : fais-le vite ! ». Judas sait alors que le Christ a compris sa trahison : « Ce que tu as à faire – me trahir ou m’aimer – fais-le vite ! ».

Le lavement des pieds de Judas est le plus beau symbole de l’humilité de Dieu, qui lui procure encore réconfort et soins, pour qu’il se sente plus libre alors qu’il a résolu de le trahir. Un simple geste qui dit : « Je souhaite que tu marches mieux », à celui qui veut le crucifier.

On mesure ainsi qu’il y a une supériorité de l’Esprit sur le corps, que la relation corps-esprit n’est pas qu’un simple reflet, que l’Esprit illumine et transcende le corps. Tout le corps du Christ devrait trembler d’angoisse, toutes sortes d’émotions terribles devraient l’emporter, qui emporteront finalement les disciples. Pourtant sa force d’Esprit le pousse à comprendre que seul un surcroît d’amour et non la révolte apportera la solution. Et au moment de trahir, Judas viendra l’embrasser. Et Jésus, encore, l’embrassera.

Nous touchons ici au mystère de la mort en Christ, à cette capacité surnaturelle à maintenir l’amour égal, à la fois plus humble et plus intense, face à la trahison d’un ami qui vous tue, face à l’angoisse de la souffrance physique, face à toutes les crucifixions.

Les malheurs du monde viennent de ce que tous, nous peinons à ne pas répercuter nos angoisses et nos souffrances sur autrui. Face à la mort, beaucoup nous révolte. Il n’est pas simple de ne pas se laisser gagner par un esprit de revanche, de colère ou de désespoir.

Pourtant cette force spirituelle du Christ qui fait que, de la souffrance, ne surgit qu’un surcroît d’amour nous est accessible. Elle nous est donnée par l’Esprit Saint. Et elle s’entretient par la prière et la proximité avec Dieu.

Je l’ai dit en commençant, il y a des mots, des gestes qui rendent la vie. Certainement le fait que Jésus se baisse pour nous soulager, même si nous le trahissons. Au fond de l’angoisse et de la souffrance, ce qui nous ressuscite, c’est alors d’aimer en retour ce Christ qui nous aime à ce point, qui lui même s’anéantit pour nous rejoindre encore.

Face au tragique de la vie, la solution est simple : soit la violence nous emporte en révolte, soit elle suscite l’humilité de l’amour. Heureux les doux, le Royaume des Cieux est à eux.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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