Année C — 2ème dimanche du Pâques — 27 avril 2025
Évangile selon saint Jean 20, 19-31
Un vieux frère me racontais autrefois qu’il n’appréciait pas vraiment le tableau du Caravage qui illustre l’Évangile d’aujourd’hui, où l’on voit littéralement le Christ se saisir de la main de Thomas pour la plonger dans la blessure de son côté. Il n’aimait pas sa connotation très chirurgicale, son côté crûment charnel. Je crois que c’est précisément ce qui me fait l’aimer. Rencontrer le Ressuscité, c’est littéralement toucher les plaies du Christ. C’est rencontrer, toucher le Christ, au creux de ses plaies. De ses propres plaies.
On a pour habitude de cacher sa souffrance, comme s’il y avait là quelque chose de honteux. Combien sont-ils parmi nous qui pleurent une fois seuls ; combien sont-elles qui endurent des blessures sans rien dire ?
Touche mes plaies. « Avance ton doigt ici, et vois mes mains ; avance ta main, et mets-la dans mon côté. » Le Christ n’a pas honte de sa crucifixion. Le Ressuscité ne cache rien de ses souffrances. Il a pourtant été humilié, traité comme un moins que rien. Jésus ne cache pas ses blessures, son humiliation, sa mort. Au contraire, il les montre.
Les psychologues nous diront sans doute qu’il est normal d’avoir honte d’une agression, d’une violence ou d’un mépris subis ; que c’est là le reflet d’un sentiment d’impuissance, celui de n’avoir pas pu un temps faire face, la honte d’avoir subi un mal sans pouvoir ou savoir réagir. De même, en ce qui concerne la maladie ou la dépression : toute souffrance est humiliante et, sans doute, faut-il avoir déjà ressuscité de ses blessures pour oser les exhiber. Touche mes plaies. « Avance ta main, et mets-la dans mon côté. »
Beaucoup de miracles apparaissent comme la guérison inexpliquée de maladies corporelles – on pense notamment aux guérisons de Lourdes – actuellement, je crois que nous sous-estimons les miracles spirituels, la guérison de dépressions, le relèvement presque incompréhensible de gens spirituellement à bout. Il semble que la maladie de notre temps soit le burn-out, l’épuisement de l’esprit qui induit celui du corps. C’est sans doute un symptôme de notre monde déspiritualisé. Avez-vous remarqué que c’est le mécanisme inverse de la foi – elle qui relève les corps par le ravissement de l’Esprit ? Touche mes plaies, toi qui n’en peux plus, toi qui n’a plus d’espoir, toi qui ne crois plus en rien. Touche mes plaies.
Il faut – je crois – nous efforcer de témoigner de nos souffrances et de nos blessures guéries. Il faut , parce que cela va en aider d’autres, dire comment de drames nous avons été relevés, comment la foi nous a permis de tenir bon, de maintenir une lampe allumée au fond du désespoir, de refaire spirituellement surface, de revivre !
N’ayons pas honte de vos blessures, montrons vos plaies, assumons vos faiblesses passées et allons dire au monde nos guérisons. Montrons comment, de la peine, on regagne la joie.
Et même si la souffrance nous a un temps incliné au péché, et même si, n’en pouvant plus, nous avons sombré dans des quêtes de satisfactions tant désordonnées qu’immédiates, acceptons une certaine mise à nu de notre âme. Allons dire aux gens que le Christ relève les morts et qu’il va rechercher ceux qui s’égarent. Témoignons de la puissance miraculeuse et miséricordieuse de Dieu. Racontons nos retours de fils prodigues et nos résurrections.
Notre communion autour de l’autel est une communion de faibles redevenus forts, de gens blessés que la foi a rendus à l’espérance et à la vie. Le Christ lui-même est l’un des nôtres, lui qui ne voulait que l’amour et a été injustement méprisé. Tous et toutes sans doute, nous avons subi le mal. Parmi nous, certains s’affrontent-ils peut-être encore à de la souffrance et de la désespérance.
C’est pour eux qu’il convient d’abandonner la honte de nos épreuves passées ; c’est pour eux qu’il faut tomber toute fausse pudeur sur nos souffrances guéries ; c’est pour eux que nous devons être témoins du pouvoir de résurrection de l’amour divin.
C’est, d’ailleurs, essentiellement comme cela que nous convaincrons les incrédules : en témoignant du pouvoir résurrectionnel de la foi. Ce n’est pas par de longs discours et de volumineux traités de doctrine que nous rallierons au Christ les égarés ; c’est en leur disant : « Voilà mes souffrances, tel était mon chagrin, ma perte, et voici comment Dieu m’en a relevé. »
Jamais Thomas l’incrédule n’a été aussi proche du Christ que le doigt posé sur ses blessures. Jamais personne qui n’y croit plus, ne revient à la vie, sans un témoignage tangible de résurrection. Or c’est de la rencontre du Christ au plus profond de nos blessures que surgit le plus éclatant témoignage.
Touche mes plaies. « Avance ta main, et mets-la dans mon côté. »
— Fr. Laurent Mathelot OP