Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Temple et petits marchandages


Dédicace de la Basilique du Latran — 9 novembre 2025

Évangile selon saint Jean 2, 13-22

Aujourd’hui, nous célébrons la fête de la Dédicace de la Basilique Saint-Jean-du-Latran. Cette basilique, érigée à Rome au IVe siècle, est la cathédrale de l’évêque de Rome – le Pape – et elle porte le titre de « mère et tête de toutes les églises de la ville et du monde ». C’est l’Église en tant que temple, sanctuaire, demeure de Dieu, que nous célébrons. La dédicace d’un édifice religieux marque le moment où il est consacré, devenant un lieu saint où le peuple se rassemble pour célébrer les mystères divins. Au-delà de la pierre et de l’histoire, cette fête nous invite à contempler le temple comme signe de la présence de Dieu parmi nous, rappelant que les lieux de culte sont des espaces privilégiés où le ciel rencontre la terre, et où la communauté chrétienne célèbre son unité dans la foi.

Partant de cette définition du temple comme lieu de rencontre du ciel et de la terre, avec Paul, nous constatons qu’elle désigne autant les édifices où nous rencontrons Dieu que notre propre corps, premier lieu où Dieu veut surgir dans le monde. Paul dit : « Ne savez-vous pas que vous êtes un sanctuaire de Dieu, et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » ; « Vous êtes une maison que Dieu construit ». Si la Basilique du Latran représente symboliquement le temple matériel, élevé par des mains humaines pour honorer Dieu, ces versets nous révèlent que le véritable temple est vivant et spirituel : c’est chacun de nous, baptisé et habité par l’Esprit, pierres vivantes de l’Église qui se construit. Ainsi, cette fête ne se limite pas à une commémoration historique ; elle nous appelle à reconnaître notre propre consécration intérieure, à veiller sur ce sanctuaire personnel pour qu’il reste pur et rayonnant de la présence divine, et à bâtir ensemble une communauté où Dieu puisse véritablement demeurer.

Dans l’Évangile, Jésus se trouve donc au Temple de Jérusalem, un édifice magnifique, pas encore tout à fait achevé, un des plus grands temples bâtis de main d’homme, une splendeur assurant partout le rayonnement de la Cité sainte, une merveille du monde antique. Là, il dit : « Détruisez ce sanctuaire, et en trois jours je le relèverai. »

Aussi beaux que soient tous les temples que cette humanité pourra construire, aucune beauté faite de main d’homme n’égalera la beauté créée par Dieu : « Vous êtes une maison que Dieu construit » ; « vous êtes un sanctuaire de Dieu ». Le temple sacré que constitue notre corps est infiniment plus précieux que toutes les cathédrales, toutes les œuvres d’art de nos églises, tous les calices, ciboires et ostensoirs réunis. Avec l’Eucharistie, le temple sacré de notre corps est le seul véritable trésor dont dispose l’Église. Et, aux yeux de Dieu, il a une valeur inouïe, incomparablement plus élevée que nous ne pouvons l’imaginer. « Tu as du prix à mes yeux, tu as de la valeur et je t’aime » dit le Seigneur dans le Livre d’Isaïe (43, 4). L’amour de Dieu, voilà notre valeur.

On comprend dès lors que l’amour de soi est toujours une sous-estimation. Jamais nous ne serons capables de poser sur nous-même le regard d’amour que Dieu pose. L’amour égoïste est toujours une dévaluation de soi, un faux jugement de la valeur humaine qui est la nôtre. En fait, une surélévation de soi parce qu’intimement, on s’estime dévalué. L’amour égoïste est sans commune mesure avec l’amour que Dieu nous porte.

Les marchands du Temple sont ceux qui s’arrogent le droit de déterminer la valeur de l’œuvre divine. Ils s’enrichissent des sacrifices ; ils monnaient les rites ; ils vendent l’espérance ; ils tarifient l’amour.

Marchands du Temple, les vendeurs de rêve et d’illusion, d’image de marque et de mode ; marchands du Temple, les réseaux sociaux qui nous assurent d’être admirés ou aimés à force de clics ; marchands du Temple, les acteurs médiatiques et politiques qui promettent des solutions simples aux peurs qu’ils attisent. Pour ces gens, nous avons une valeur marchande.

On peut être aussi marchand du Temple que l’on est, lorsque l’on brade ses sentiments ou que l’on compromet son esprit. Il nous arrive de céder aux petits marchandages de la séduction.

« Vous êtes un sanctuaire de Dieu» ; « Vous êtes une maison que Dieu construit ».

Jésus est particulièrement sévère envers les marchands du Temple, qu’il chasse avec un fouet – un des rares actes de violence de sa part, un écho à la violence de Dieu envers les idolâtres, que l’on retrouve partout dans la Bible. Pourquoi donc cette violence ?

Parce que l’idolâtrie, comme l’égoïsme, nous emportent facilement. Il est facile, en effet, de nous illusionner par nos rêves de grandeur et nos vies fantasmées. Il est facile de s’étourdir passionnément pour une illusion de bonheur, une existence rêvée, une ambition illusoire. Ce faisant, nous nous emprisonnons dans une image de nous-même, nous assumons face au monde une image de marque que nous chercherons toujours à peaufiner et, ainsi, une vie de mensonges. Là, nous touchons à l’étymologie de l’idolâtrie, qui est un culte rendu à une image, une illusion. L’idole est toujours la projection de nos fantasmes.

Ainsi, si Paul affirme avec force que nous sommes un temple de l’Esprit Saint, il nous est facile de remplacer cette projection de Dieu dans notre esprit par une illusion de bonheur plus accessible, une idole construite par nos soins. Dieu est virulent contre les idoles, parce qu’elles se substituent facilement à lui dans notre cœur et notre esprit, sans même parfois que nous nous en rendions compte. A cet égard, l’égoïsme – l’idolâtrie de soi – est celle qui nous colle le plus à la peau.

La vie spirituelle est un constant dévoilement de Dieu à travers nos existences. L’idolâtrie, c’est l’arrêt de ce dévoilement, la fixation d’une image fausse de bonheur et finalement, à mesure de son emprise, la disparition de la perspective divine de nos vies, pour une vie de faux-semblants.

Dieu veut la vérité en nous et c’est pourquoi nous devons renoncer à idolâtrer l’image que nous avons de nous-même, de la société, de l’Église et même celle que nous avons du Christ. Le processus est essentiellement inverse : c’est à Dieu qu’il appartient de nous révéler qui il est et qui nous sommes, individuellement et en Église. Et c’est à nous qu’il revient d’accepter cette révélation.

Ne nous arrêtons à aucune image que nous avons de nous-même, de nos familles, de nos communautés, elles sont tellement en-deçà de l’image que nous renvoie le regard de Dieu.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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