Toussaint – Année A – 1er novembre 2020 – Évangile de Matthieu 6, 1-12

Évangile de Matthieu 6, 1-12

Je crois à la Communion des Saints

La fête de la Toussaint étant un jour férié, il était inévitable qu’elle soit bousculée par la célébration du lendemain et devienne en fait « Commémoration des défunts ». Ainsi le mot qui chante la victoire de la vie est devenu jour de la mort. Au lieu de nous entraîner vers l’avenir et le ciel, il nous retourne vers le passé. Il nous offrait un but de vie et nous promettait la joie : il nous enlise dans la tristesse et les regrets.

Nos ancêtres des premières générations chrétiennes étaient déchirés eux aussi par la disparition de leurs êtres chers ; comme nous, ils souffraient, ils pleuraient. Mais ils ne se livraient plus aux grandes lamentations pathétiques des païens, ils célébraient l’Eucharistie en vêtements blancs et leurs sanglots ne couvraient pas le chant des Alléluias. C’est bien plus tard que s’imposèrent les lugubres tentures noires. Et si le « Dies Irae » puis le fameux Adagio d’Albinoni sont des chefs d’œuvre musicaux, on y perçoit trop peu la petite voix de l’espérance.

C’était une si belle trouvaille cependant d’allumer le phare de la Toussaint pour éclairer la fin de l’année liturgique. Alors que la grisaille et le froid s’installent, après avoir accordé à chaque grand Saint un jour de fête, l’Église nous affirmait que la sainteté n’est pas un héroïsme réservé à quelques géants de la foi, qu’il n’est pas requis d’accomplir des miracles, de faire des expériences de haute mystique, de fuir dans un ermitage, de créer des Œuvres humanitaires, de partir en mission lointaine.

Certes il y a les premiers apôtres comme Pierre et Paul, les martyrs comme Blandine et Paul Miki, les héros de la charité comme Vincent de Paul ou Camille de Lellis, les incomparables comme François d’Assise. Mais n’oublions pas de contempler la magnifique vision de Jean : « Cette foule immense que nul ne peut dénombrer, des gens de toutes les nations. Ils se tiennent debout devant le trône de Dieu et devant l’Agneau, vêtus de robes blanches et des palmes à la main » (Apo 7, 9).

Nous ne les reconnaissons plus parce qu’ils sont transfigurés par la Lumière de gloire, mais il y a là des gosses qui descendaient au fond de la mine et mouraient de silicose, des petites caissières de supermarchés que nous dévisagions à peine, des grands-mères oubliées dans leur maison de repos, des instituteurs qui se dévouaient à faire des hommes, des indiens perdus dans la forêt amazonienne. Mais aussi des rois et des grands de ce monde. Des bons pratiquants catholiques et des mécréants. Des bonnes Sœurs et des anciennes prostituées.

Tous sont différents, tous ont des parcours lisses ou cabossés, tous avaient des défauts, commettaient des péchés. Ils ne se sont pas perfectionnés mais se sont lavés et purifiés par le sang de l’Agneau (Apo 7, 14).

La Communion des Saints

Mais il faut ajouter une autre merveille. Ces saints arrivés au terme de la route n’ont pas grimpé à un étage supérieur de la vie qui les séparerait de nous qui nous traînons encore dans la boue de la terre. Eux et nous, nous restons liés, ensemble car nous vivons de la même vie, nous constituons le Corps du Christ et nous en sommes tous des membres.

« Je crois à la communion des saints » : nous récitons notre credo machinalement sans trop savoir ce que ces vieux mots signifient et qui devraient nous transporter de joie. L’espace nous sépare, la mort dissout notre corps mais elle ne peut briser la communion. Au ciel ou sur terre, la sainteté est la même et la mort ne peut couper la communication de l’amour. Quand un chrétien terrestre meurt, l’effectif de l’Église ne diminue pas. C’est toujours la bévue monumentale des dictateurs qui persécutent les chrétiens et essaient d’en tuer le plus possible : Staline, Hitler, Mao ont multiplié les saints et ce sont les cris et les larmes de nos pauvres frères et sœurs assassinés qui ont fait crouler leurs régimes.

Comment être saint : le chemin des Béatitudes

La sainteté n’est pas un titre d’honneur mérité par ceux qui ont réussi leur examen de morale et elle n’est en tout cas jamais une fuite de ce monde d’ici-bas. La vie d’un ermite n’a de sens que s’il la mène au service de l’humanité.

Elle n’est pas non plus une offre facultative pour les âmes d’élite mais un ordre même de Dieu : « Soyez saints comme moi je suis saint, dit le Seigneur » (Lév 19, 2). Elle est au fond l’accomplissement normal de la vie car elle est, avec bien des échecs et des ratés, la victoire de l’amour.

Pour Matthieu, en ouvrant sa mission, Jésus a promulgué son discours programme que l’on a coutume d’appeler «le sermon sur la montagne ». Il s’ouvre par un magnifique portail d’où rayonnent huit sentiers, huit invitations à s’engager à vivre d’une certaine manière. Langage séculier loin de toute « religion ». Non d’abord promesses d’un au-delà consolateur mais appel à agir immédiatement en plein monde.

Ainsi les 8 Béatitudes ouvrent la voie de la sainteté. Pour être bref, on peut les méditer par couples.

Heureux les pauvres de cœur, car le royaume des Cieux est à eux.
Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage.

Le fondement absolument nécessaire : l’humilité, le refus de tout orgueil. Notre tour de Babel doit s’écrouler. Se savoir fils de Dieu nous guérit de l’envie de nous grandir. Cette pauvreté radicale entraîne la douceur qui n’est pas, dans la Bible, absence de colère mais limite des possessions, frein aux envies, sobriété (Psaume 39)

Heureux ceux qui pleurent, car ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, car ils seront rassasiés.

Il ne s’agit pas du deuil ordinaire mais de l’immense tristesse devant le délabrement du monde, le malheur épouvantable des hommes. Non plainte inutile ni résignation païenne mais immense désir d’un monde rétabli, d’une humanité remise à sa « juste » place et certitude que ce projet de Dieu se réalisera.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.
Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Découverte de la vérité de l’amour qui condamne le mal mais qui comprend la faiblesse et qui pardonne 70 fois 7 fois, qui accueille le prodigue, qui ne passe pas outre lorsqu’une misère appelle. L’amour service, débarrassé des scories de l’égoïsme, est unifié : il devient pur au point d’être sûr que Dieu est là où tant d’autres le nient.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice, car le royaume des Cieux est à eux. Si l’on vous insulte, si l’on vous persécute à cause de moi, réjouissez-vous, C’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui vous ont précédés.

La paix n’est pas une utopie, ni l’absence de guerre, ni un traité fragile et vite bafoué, ni une fatalité, ni un accord entre États. Elle est un artisanat compliqué toujours à reprendre. Un travail en chacun de nous, abîmé par l’aigreur et le ressentiment. Il commence dès les premiers jours de la fraternité, se prolonge dans la vie des amoureux. La paix semble une oeuvre tellement inaccessible que l’on appelle les pacifiques « enfants de Dieu ».

En effet, ceux et celles qui s’engagent pour la paix, le pardon, la justice, la pauvreté seront mal vus, traités de lâches ou d’imbéciles, persécutéss. On fera toujours la guerre contre ceux qui veulent faire la paix. Parce que l’on ne veut pas d’un monde de partage et de dialogue, sans privilèges et sans rivalités. L’artisan doit accepter que la paix vienne à son détriment et qu’il en paye le prix.

La sainteté dérange non parce qu’elle embourbe dans le vieux monde religieux et arrête le progrès mais parce qu’elle anticipe le vrai monde à venir. Après avoir proclamé les Béatitudes, Jésus ajoute : « Vous êtes le sel de la terre…Vous êtes la lumière du monde. On n’allume pas une lampe pour la dissimuler ; une ville éclairée ne peut être cachée… ».

C’est dire combien la foi évangélique n’est pas une fuite à l’écart du monde ni un beau texte à encadrer.

« J’aime voir la sainteté dans le patient peuple de Dieu : chez ces parents qui éduquent avec tant d’amour leurs enfants, chez ces hommes et ces femmes qui travaillent pour apporter le pain à la maison, chez les malades, chez les religieuses âgées qui continuent de sourire.
Dans cette constance à aller de l’avant chaque jour, je vois la sainteté de l’Église militante. C’est cela, souvent, la sainteté « de la porte d’à côté », de ceux qui vivent proches de nous et sont un reflet de la présence de Dieu, ou, pour employer une autre expression, « la classe moyenne de la sainteté ». (Pape François – « Soyez dans la joie – Appel à la sainteté – § 9)

Frère Raphaël Devillers, dominicain

Fête de Tous les Saints – Année C – 1 novembre 2019 – Évangile de Matthieu 5, 1-14

ÉVANGILE DE MATTHIEU 5, 1-14

TOUS SAINTS OU TOUS MORTS ?

Comme toutes les autres fêtes, la Toussaint a perdu son sens originel chrétien: elle est devenue la TOUS MORTS. D’où l’arrivée en force du grand Guignol de Halloween avec ses diables et ses sorcières.

L’Eglise, elle, chaque jour du calendrier, fêtait un grand Saint, elle proclamait que le jour de la disparition de cet homme ou de cette femme était en réalité sa nouvelle naissance. Pierre et Thérèse, Paul et Madeleine, Thomas et Catherine étaient morts mais désormais ils vivaient d’une vie nouvelle. Ils étaient les Saints “officiels”, canonisés, disait-on.

Mais il n’y avait pas que ces grandes figures célèbres et statufiées: à côté d’eux, se trouvait la multitude innombrable de fidèles, rois et esclaves, patrons et employés, vieux et jeunes, noirs et blancs. Tous avaient traversé des épreuves, tous avaient été tentés, tous avaient péché mais tous avaient reçu la miséricorde de Dieu. C’était les saints anonymes, les saints ordinaires.

En fin d’année, au moment de basculer dans l’hiver, quand la nature s’enfonce dans le brouillard, le froid et la mort, l’Eglise, contre toutes les apparences, nous réjouissait par la “Symphonie du nouveau monde”.

Car déjà à la fin du premier siècle, alors qu’elle ne comptait que quelques dizaines de petites communautés insignifiantes, noyées au sein de l’immense Empire païen qui les ridiculisait et souvent les persécutait, l’Eglise proclamait son invincible espérance par la vision reçue par saint Jean.

L’Apocalypse n’avait pas alors son sens journalistique de cataclysmes et de destructions épouvantables, elle n’était pas la chute dans le néant, la fin du monde mais la révélation du monde authentique. L’Apocalypse ? Quelle bonne Nouvelle, disaient les chrétiens !

LA FIN DU MONDE

En ce jour, il nous faut nous émerveiller de cette vision (1ère lecture du jour):

“J’ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes nations, peuples et langues.

Ils se tiennent debout devant le Trône de Dieu et devant l’Agneau, en vêtements blancs, avec des palmes à la main et ils proclament d’une voix forte: “Le salut est donné par notre Dieu et par l’Agneau”.

Tous les Anges se prosternent pour adorer Dieu et ils disent: “Amen ! Louange, gloire, sagesse, action de grâce, honneur, puissance et force à notre Dieu pour les siècles des siècles. Amen”….

Un ancien me dit: “Ils viennent de la grande épreuve: ils ont lavé leurs vêtements, ils les ont purifiés dans le sang de l’Agneau”.

Vision extraordinaire. Le déroulement de l’histoire ne s’abîme pas dans les déflagrations et la poussière, la mort n’est pas l’impératrice insolente au règne sans partage, la vie humaine n’est pas une errance aveugle dans l’absurde.

Dieu seul règne et son dessein s’accomplit: unir l’humanité dans l’amour. Les hommes sont debout, lumineux non grâce à leurs exploits héroïques ou leurs vertus mais parce que tous, sans exception, ont péché et que tous sont lavés, purifiés par le sang que l’Agneau a versé pour eux au Golgotha. “Le salut est donné”.

La croix, ignoble supplice inventé par la haine des hommes, est devenue l’axe du monde Et autour d’elle processionne l’humanité qui chante son bonheur en acclamant la grandeur de son Dieu. Après des siècles de hurlements, de souffrances, de guerres, l’humanité, enfin, peut laisser éclater une allégresse qui n’est plus menacée.
L’amour chante sa victoire sur la mort, la joie sur la tristesse, le baiser sur le crachat, le pardon sur le mal, l’harmonie musicale sur le fracas des bombes.

Sans cette espérance, peut-on vivre ?

TOUS SAINTS PAR LA VIE SELON LES BEATITUDES

La sainteté n’est pas la privation, la pénitence, la peur de Dieu. Elle n’est pas fuite du monde, obsession du mal, méfiance du plaisir. Elle n’est pas un idéal que l’on peut construire mais un germe de bonheur que l’on veut laisser grandir. “Heureux” n’est-il pas le premier mot qui exprimait le désir de Jésus pour l’homme ? Et le chemin du bonheur n’était-il pas celui qu’il ouvrait pour que chacun s’y engage ?

Notre cher Pape disait: “Il peut y avoir de nombreuses théories sur ce qu’est la sainteté…Mais rien n’et plus éclairant que de revenir aux paroles de Jésus…Il a expliqué avec grande simplicité ce que veut dire être saint et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes” (“Soyez dans la joie et l’allégresse – § 63)

Heureux les pauvres de coeur: le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux: ils obtiendront la terre promise.
Heureux ceux qui pleurent: ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice: ils seront rassassiés.
Heureux les miséricordieux: ils obtiendront miséricorde.
Heureux les coeurs purs: ils verront Dieu.
Heureux les artisans de paix: ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice: le Royaume des cieux est à eux.

Prenons garde à deux risques dans la formulation de ce texte. N’encourage-t-il pas une attitude passive: accepter la pauvreté, rester doux, pleurer, subir…? Et ne reporte-t-il pas toute l’importance de la vie dans l’au-delà: soyez patients, acceptez et plus tard vous serez récompensés ?

Or toute la vie de celui qui a lancé ce programme prouve qu’il n’en est rien. Ni riche ni de grande famille, ni prêtre ni érudit diplomé, Jésus n’est pas demeuré petit artisan calfeutré dans sa campagne. Son baptême l’a transformé en missionnaire, en prophète intrépide. Il osait proclamer la Parole de son Père tout autant aux gens du peuple qu’aux notables, il dénonçait l’hypocrisie de certains comportements, la religion réduite à des pratiques superficielles. Il ne conseillait pas aux malades et infirmes de se résigner à leur état, il était ému par leurs souffrances et il guérissait. Il courait le risque de devenir un homme qui dérange le pouvoir et il ne se taisait pas lorsque l’étau se refermait sur lui.

Il voulait que le Règne de Dieu son Père advienne maintenant sur terre. Y compris en donnant sa vie pour cela.

De même les saints qui ont répondu à son appel et décidé de pratiquer son programme ont été des femmes et des hommes profondément engagés dans les problèmes de leur temps. Soins des malades, éducation des enfants, aide aux lépreux, infirmes, affamés…: impossible d’énumérer la multitude indéfinie des ”oeuvres chrétiennes”. Même ceux et celles qu’on appelle “contemplatifs” et qui ont choisi la vie de prière dans la solitude n’ont pas été désincarnés. Simplement ils ont choisi les moyens de la prière et du dénuement pour oeuvrer au même but.

TOUSSAINT ET JOUR DES DEFUNTS

Il reste que, en ce 1er novembre, nous irons nous aussi nous recueillir quelques instants devant les tombes pour honorer ceux et celles avec lesquels nous avons vécu et que nous avons aimés. Certaines plaies ne sont pas fermées et les souvenirs reviennent qui font très mal.

Où es-tu ? Que se passe-t-il au-delà ? Nos questions se fracassent sur la dure pierre qui cache le secret et qui nous renvoie à une série d’interpellations: “Que fais-tu maintenant de ta vie ? Quel sens lui donnes-tu ? Quand tu vas sortir du cimetière, comment vas-tu mener ton existence ?”

Le Jour des Défunts est à la fête de la Toussaint ce que le vendredi-saint est à la célébration de Pâques. Le bonheur des Béatitudes n’efface pas l’atrocité de la mort ni la douleur intolérable du corps aimé disparu. Mais il est promesse de leur passage, de leur transfiguration par la Lumière du Christ ressuscité et vivant.

Le souvenir des disparus ne nous replie pas sur l’amertume et le désespoir. Il nous redit avec force que le chemin de l’avenir est celui du bonheur des béatitudes.

Sur ce chemin, nous nous retrouverons dans la Lumière de la Gloire.

Frère Raphaël Devillers, dominicain

FÊTE DE LA TOUSSAINT – 1er NOVEMBRE 2018

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FÊTE DE LA TOUSSAINT – 1er NOVEMBRE 2018

LA MORT ET LA VIE

Trois fois hélas, TOUSSAINT est devenu un mot triste qui verse des larmes dans le brouillard, sent l’odeur âcre des chrysanthèmes et fait entendre le froissement des feuilles mortes dans les allées des cimetières. A l’orée des premiers frimas, l’Eglise proposait la fête joyeuse de TOUS-LES-SAINTS, donc des vivants et elle est devenue la TOUS-MORTS jusqu’à basculer maintenant dans Halloween, TOUS-SQUELETTES. Otez Dieu, on tombe dans le guignol des fantômes. L’acide de la dérision moderne bafoue la mort comme il corrode l’amour.

LA MORT

Immense et lancinante énigme. Elle a fasciné l’Egypte où tout commence avec les trois pyramides de Gizeh: tombes indestructibles des pharaons, fils de Dieu, momifiés sous des millions de blocs de pierre, au prix de l’exploitation et de la mort des esclaves. Fuyant ce pays, les esclaves hébreux renoncèrent à ce culte des morts : Patriarches, Moïse, David, les Prophètes, tous, si grands soient-ils, errent là-dessous dans un fond immense, le shéol, zombies sans paroles, sans relations ni avec Dieu ni avec les vivants.

Ce n’est qu’au 2ème siècle avant Jésus, que la persécution causa une faille dans le mur de l’absurde. Victimes d’un ennemi qui voulait éradiquer la religion d’Israël, les martyrs ne pouvaient disparaître à jamais sinon l’injustice l’emportait sur Dieu. Oui, il y aurait résurrection des morts et les relations n’étaient pas brisées : on pouvait prier pour le salut des défunts et, dans l’autre sens, Samuel, Jérémie et d’autres intercédaient pour leur peuple cheminant dans les épreuves (Daniel 12, 2 ; 2 Macc 7, 9 ; 12, 43 ; 15, 12)

La foi nouvelle, adoptée par les Pharisiens, fut refusée par les Sadducéens, les prêtres du temple. Mais lorsqu’ils vinrent solliciter Jésus au sujet de cette question débattue, celui-ci leur affirma nettement que, selon les Ecritures, il y avait résurrection des morts car « Dieu n’est pas le Dieu des morts mais le Dieu des vivants » (Marc 12, 27)

Annonçant aux disciples la mort atroce qui l’attendait à Jérusalem, il affirma sa certitude que son Père lui rendrait la vie (8, 31…). Stupéfaits, incrédules, les disciples se demandaient ce qu’il voulait dire par « résurrection d’entre les morts » (9, 10)

Quelques semaines plus tard, à la veille de la Pâque, Jésus mourait sur le gibet de la croix ; en hâte, quelques amis déposaient le cadavre dans une grotte proche et roulaient la pierre. La grande fête commençait dans la ville qui suppliait Dieu d’envoyer un Messie pour libérer Israël. Effondrés, les disciples avaient disparu. Une fois encore, comme toujours, la mort avait triomphé.

Mais si les pyramides colossales emprisonnent la momie du roi sous les tonnes de pierres, la pierre du Golgotha, elle, a roulé, découvrant un lieu vide : « Vous cherchez Jésus le crucifié ? Il est ressuscité, il n’est pas ici ! » (Marc 16, 6). La mort ne peut retenir le vrai roi dans sa prison. Dans le courant d’air de la porte ouverte, le Seigneur, qui n’est pas une momie, est sorti. Le Golgotha, où Pierre, Paul et Marie-Madeleine ne sont jamais retourné, n’est pas un musée pour touristes mais une piste d’où le Ressuscité s’est élancé afin de rejoindre les hommes et les femmes de tous pays et de toutes conditions. C’est là où les hommes vivent qu’on le découvre. Non plus près d’eux mais en eux, dans la communion.

Peu après, en effet, les disciples réapparaissent sur la scène publique et, toute peur vaincue, circulent en proclamant l’incroyable : Jésus est ressuscité. Non réanimé mais Seigneur du monde. La condition humaine reste mortelle – comment pourrait-il en être autrement ? – mais celui qui croit en Jésus, qui se donne à lui sous l’Evangile, est libéré de ses péchés, il a la Vie divine et, après la mort, il sera avec son Seigneur.

Ce message, on le sait, ne va pas susciter l’enthousiasme ; pour la majorité ce n’est pas une Bonne Nouvelle ; et les disciples qui osent affirmer qu’il y a Dieu et la Vie après la mort, rencontrent sarcasmes, refus, menaces, rupture avec leurs proches et leur peuple, surveillance policière, arrestations, tortures et parfois la mort.

Toussaint nous redit d’abord la certitude de l’espérance.

LA MORT … ET APRES ?

Mais qu’est-ce donc que l’après-mort ? Les premiers documents chrétiens sont très discrets sur ce sujet : comment exprimer en mots ce qui échappe au temps ? Nous avons copie des lettres de Paul et, dès la première (qui date de l’an 51, soit 21 ans après la crucifixion), on voit que la résurrection et le sort des défunts soulèvent beaucoup d’interrogations. Paul répond :

« Nous ne voulons pas vous laisser dans l’ignorance au sujet de ceux qui dorment afin que vous ne soyez pas dans la tristesse comme les autres qui n’ont pas d’espérance ».

Donc la mort est comme un sommeil – d’où le nom de « cimetière » qui signifie dortoir. Et si les chrétiens en deuil sont évidemment tristes et en larmes, cette tristesse est animée par l’espérance et ne s’abîme pas dans le désespoir absolu.

Et Paul dit l’essentiel :

« Et ainsi nous serons toujours avec le Seigneur. Réconfortez-vous donc les uns les autres par cet enseignement ».

Telle est notre espérance : avec Jésus Seigneur – nous – toujours – en communion. Voilà le réconfort que nous avons toujours à recevoir, à partager et à transmettre.

Les premiers chrétiens n’auraient jamais tendu les tentures noires et, dans les larmes, ils chantaient ALLELUIA.

LA MORT … ET AVANT ?

Ce message extraordinaire de la Résurrection n’entrouvre pas seulement la porte de l’avenir mais il éclaire l’existence terrestre d’aujourd’hui. La foi en Jésus se projette dans l’espérance dans l’au-delà et, du coup, elle mobilise l’amour tout de suite, ici dans l’en-deçà. C’est pourquoi Paul poursuit sa lettre en recommandant aux chrétiens de ne pas spéculer sur le « Jour du Seigneur » et les événements de la fin mais à diriger leur vie par la lumière de la résurrection :

« Vous n’êtes pas dans les ténèbres…Vous êtes tous fils de la lumière; nous ne sommes ni de la nuit ni des ténèbres. Donc ne dormons pas comme les autres, soyons vigilants et sobres…revêtus de la cuirasse de la foi et de l’amour, avec le casque de l’espérance du salut … Dieu nous a destinés à posséder le salut par notre Seigneur Jésus Christ, mort pour nous afin que nous vivions unis à lui. Réconfortez-vous mutuellement et édifiez-vous l’un l’autre (3, 11) … Que le Seigneur fasse croître l’amour que vous avez les uns pour les autres et pour tous…La volonté de Dieu, c’est que vous viviez dans la sainteté…(4, 3)

L’espérance de la vie après la mort n’a donc rien d’un calmant pour se résigner aux épreuves du présent. Elle est tout au contraire force de conversion pour un engagement renouvelé. Le départ du défunt aimé déchire le cœur pour en faire sortir de nouvelles forces d’amour.

Les apôtres ne se sont pas figés dans la nostalgie et la rumination des souvenirs anciens : au contraire leur amour de Jésus vivant s’est démultiplié en amour universel au point de quitter leur pays, emportés par le désir de le faire connaître et donc, par là-même, de susciter une humanité qui ici et maintenant apprend à aimer. La résurrection n’est pas un mirage mais un virage. L’absent disparu provoque à aimer les présents pour que croisse l’amour les uns pour les autres. Il y a une vie avant la mort. Les yeux qui pleurent voient mieux l’essentiel.

TOUS LES SAINTS

Combien étaient-ils dans cette minuscule communauté de Salonique ? Une vingtaine ? Juifs rejetés de la synagogue et païens suspects à leurs proches. Perdus dans une grande ville avec ses écoles philosophiques, ses temples majestueux, ses théâtres et ses stades. Situation analogue à la nôtre aujourd’hui.

Paul était sûr d’y avoir allumé, par l’Esprit, une lumière qui allait se répandre et que rien ni personne ne pourrait éteindre. A condition que les « éveillés » dans la foi en la résurrection demeurent vigilants dans l’espérance. C’est là, et seulement là, qu’étaient leurs armes – car la vie chrétienne est un combat – pour résister à la dérision, au fatalisme où l’homme, comme Œdipe, est condamné à accomplir son destin de mort.

La Toussaint nous parle de sainteté, du tragique de la mort, de communion indéchirable, de joie. Elle est grâce de Dieu. Bonne Nouvelle.

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Raphaël Devillers,  dominicain
Tél. : 04 / 220 56 93   –   Courriel :   r.devillers@resurgences.be

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