Toussaint — 1er novembre 2023
Évangile de Matthieu Mt 5, 1-12a
La Toussaint c’est comme le changement d’heure en hiver : il fait noir plus tôt ; il faut éclairer d’avantage. Il y a des gens qui n’aiment pas le changement d’heure en hiver. Ce sont ceux qui ne possèdent pas la science de l’éclairage. J’ose dire l’art d’éclairer : réorienter les lampes, les changer de place ; jouer des intensités, des tonalités, en fonction du moment ; ajouter quelques bougies et tout de suite une ambiance chaleureuse se dessine. Ceux qui n’aiment pas le changement d’heure en hiver sont ceux qui n’éprouvent pas la joie d’illuminer leur intérieur, la nuit.
La sainteté c’est l’art d’éclairer.
Il y a des moments où nos vies sombrent dans la pénombre, et même la nuit. Tout en nous est noir. Peut-être sommes-nous nombreux à avoir traversé des épisodes dépressifs, qui savons qu’ils peuvent parfois apparaître obscurs, terriblement obscurs, et longs, insupportablement longs ? Peut-être sommes-nous nombreux à avoir vu notre vie spirituelle sombrer un moment dans la nuit, la joie totalement disparaître et l’espérance aussi ? Et c’est alors l’Enfer.
Dans une logique binaire, qui garde toute sa valeur en première approche, si, comme l’annonce le Christ, le Royaume de Dieu est arrivé jusqu’à nous, l’Enfer aussi est arrivé jusqu’à nous. S’il faut nous départir des images d’un autre temps où l’Enfer est ce lieu bouillonnant où nagent de terribles démons mangeurs d’hommes, qui visaient à effrayer plus qu’à enseigner, qu’aujourd’hui nous trouvons caricaturales et risibles, je crois qu’actuellement, sur cette Terre, des gens se trouvent objectivement en Enfer. C’est-à-dire vivant un complet enfermement dans la nuit de l’existence. C’est ça l’Enfer. Et ceux qui l’ont quelque peu traversé savent qu’il n’est pas si éloigné de nous …
Puis la lueur revient.
D’abord, nous ne la percevons pas. Qui est passé par là sait qu’un épisode dépressif entretient sa propre dynamique d’enfermement, que même ce qui est une simple joie n’apparaît plus comme telle, obscurcie par la volonté d’amplifier la noirceur, à force de désespoir. Une lueur revient et, d’emblée, nous ne la percevons pas.
Notre sainteté réapparaît dès que nous réfléchissons cette lueur. Beaucoup reste encore sombre mais nous recommençons à témoigner d’espoir, à pouvoir à nouveau savourer quelque peu la joie, finalement à revivre. On peut toujours sortir de l’Enfer : nous suivons un Christ qui y est descendu et a ressuscité.
Comment suis-je sorti de la dépression ? Ça reste essentiellement un mystère qui me donne à penser que Dieu est venu me chercher. Voilà ce que vous diront tant de croyants passés par là. Au fond de la nuit de l’existence, la lueur ne peut effectivement venir que de Dieu.
La sainteté c’est l’art d’éclairer de la lumière de Dieu.
Nous sommes déjà saints quand à travers nous passe une lueur d’espérance. Ce n’est que ça la sainteté : témoigner essentiellement d’espoir – de l’espoir d’une résurrection – et on le fait d’autant spontanément que l’on sait être soi-même revenu à la Vie.
A celui qui est dans la nuit donner à espérer. Au pauvre de cœur, donner à espérer. À celle qui pleure, donner à espérer. Au persécuté, à celle que l’on insulte, donner encore à espérer.
Ainsi, on comprend mieux l’à propos des Béatitudes pour célébrer la Toussaint, cette grande fête de la lueur dans la nuit. Ils sont saints les pauvres de cœur désormais heureux ; elles sont saintes celles qui pleuraient et qui rayonnent du bonheur d’avoir été consolées ; il est saint l’assoiffé de justice rassasié ; elle est sainte celle qu’on persécute et insulte et qui témoigne encore de joie. Et avec eux les doux, les miséricordieux, les cœurs purs et les artisans de paix.
N’avez-vous, vous aussi, jamais mesuré le bonheur qu’il y a à rendre espoir ?
À ceux qui se désolent si fort du changement d’heure en hiver, de ce qu’il fera désormais noir plus tôt, j’ai un conseil à proposer : sortez déjà quelques décorations de Noël, devancez l’Avent : votre intérieur a certainement besoin d’un nouvel éclairage, votre âme d’une ambiance plus chaleureuse. C’est la Toussaint, il est temps de penser à raviver la Lumière, à attiser notre propre Sainteté, à exercer notre art de savoir éclairer – nous-mêmes et autrui – de la lumière de Dieu.
La Toussaint est une fête qui fonctionne comme une lampe posée sur une tombe.
La Toussaint, alors que les jours tombent, est l’art d’éclairer la nuit.
— Fr. Laurent Mathelot OP