Denis Mukwege, Docteur et Pasteur – Prix Nobel de la Paix 2018

« L’homme qui répare les femmes »
(suite et fin)

  • Avez-vous hésité, par moments, à raconter ces crimes ?

Non, je n’ai pas hésité. La violence ne connaît pas aucune limite et il faut l’affronter…Le silence est l’arme absolue des bourreaux. Il ne faut jamais cesser de dénoncer. Après, à titre personnel, tout cela m’a bouleversé, j’ai tellement pleuré…Au fil du temps, j’ai fini par me dire qu’une émotion qui n’est pas suivie d’action ne sert à rien. Nous devons canaliser notre tristesse, notre dégoût, notre colère pour les transformer en action. C’est tout le sens de mon engagement.

  • Votre foi n’a jamais vacillé devant ces abominations ?

Non, jamais. Car le Dieu auquel je crois laisse entier notre libre arbitre. Chacun de nous est et reste pleinement responsable de ses actes. Pour moi, l’essentiel, c’est de mettre l’être humain au centre, et donc l’amour. A mes yeux, c’est vraiment le socle sur lequel on peut bâtir un monde plus juste et plus égalitaire. « Aime ton prochain comme toi-même ». Pour moi tout est là. Après, vous pouvez appeler cela une religion, une philosophie, un mode de vie…peu importe. Mais c’est ce qui guide ma conduite.

  • Votre liberté de ton dérange. Vous avez échappé à six tentatives d’assassinat. Vous dites-vous parfois que le prix à payer est trop lourd ?

Le plus marquant pour moi reste la tentative d’assassinat à laquelle j’ai échappé en 2012 et au cours de laquelle mon garde du corps a perdu la vie. A partir de là, j’ai décidé de m’exiler à Boston aux USA. Je ne voulais pas être un héros mort mais un homme vivant.

  • Vous êtes pourtant vite revenu en RD du Congo ?

Oui. Un groupe de femmes de mon pays a en effet écrit au secrétaire général des Nations Unies et au Président de la République. En vain. Alors ces femmes se sont portées volontaires pour assurer ma sécurité et elles se sont mis en tête de vendre des fruits et légumes pour me payer un billet d’avion de retour. Vous imaginez ? Elles vivent avec moins d’un dollar par jour mais elles se cotisent pour me faire revenir ! A partir de là, je suis rentré, c’était plus fort que moi. J’ai la chance d’avoir une épouse exceptionnelle, Madeleine, et elle était partante pour me suivre…

  • Il n’empêche, vous êtes toujours menacé de mort. Comment vit-on avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête ?

Ne pas avoir peur ne serait pas humain. Donc oui j’y pense bien sûr. Aujourd’hui j’ai élu domicile dans l’hôpital de Panzi qui est protégé par des soldats de l’ONU. C’est sûr mais très contraignant. Cela fait neuf ans maintenant que je ne peux plus aller voir mes amis chez eux, que je ne me rends plus au restaurant….Mais ce n’est rien face à la douleur de mes patientes. Tant que je peux, je dois tout faire pour elles…Je suis persuadé que le bien que l’on fait nous revient à un moment donné. C’est en tout cas le monde tel que je rêve. »

Interview (extraits) dans « La Croix » du dimanche 5 12 2021


Tout téléphone portable est marqué de sang. Acheter et diffuser le livre du Dr Mukwege, c’est participer à la lutte pour la justice.

« J’ai été amené à prendre en charge des milliers de femmes congolaises, toutes abominablement violées ou mutilées. Et ce sont les mêmes qui ensuite font preuve d’un courage inouï pour s’en sortir. Certaines se sont lancées dans de longues études… Leurs violeurs pensaient les anéantir… Et non ! Si ces femmes n’abandonnent pas, comment le pourrions-nous, nous-mêmes ? …

« Leur résilience et leur courage nous montrent à tous la voie.»

Éd. Gallimard- 20 euros.

Denis Mukwege, Docteur et Pasteur – Prix Nobel de la Paix 2018

Rencontre avec une force d’âme

Mondialement célèbre pour son combat en faveur des femmes violées, il est protégé jour et nuit par des soldats ONU. dans son hôpital de Pana (Rép. Démo. du Congo), cible de toutes les mafias.

  • Comment en êtes-vous arrivé là ?

La guerre menée contre le corps des femmes de mon pays n’a pas été perpétrée par des armées de psychopathes…Non tout cela est pensé, voulu, totalement délibéré….C’est dans ce contexte que je me suis mis à faire de la gynécologie réparatrice pour les femmes violées…Nous avons accueilli ici à Panzi, depuis l’ouverture, plus de 60.000 victimes de violences sexuelles…

  • Comment expliquer ce fléau ?

Au début il s’agissait de miliciens issus des rangs de rebelles congolais. Puis l’armée congolaise versa ensuite dans les mêmes horreurs, tout comme les groupes dits « d’autodéfense »…Pratiques que l’on retrouve à toutes les époques…S’y ajoute chez nous la dimension économique : les milices recourent au viol pour terroriser la population et la pousser à des déplacements afin de préempter les terres les plus riches…

  • Donc l’abondance de minerai est le pire ennemi de la RD-Congo ?

Absolument. La richesse de notre sous-sol, qui devrait être une source de revenus, nous expose aux pires exactions. J’appartiens à l’un des pays les plus riches de la planète mais mon peuple, lui, fait partie des plus pauvres du monde. Cela 25 ans que l’on tue, qu’on viole, que ses minerais partent vers le Rwanda et l’Ouganda pour transiter vers la Chine et inonder la planète. Le Congo est parmi les tout premiers producteurs au monde de cobalt et de coltan….Il n’y a pas de téléphone portable qui n’implique les terres rares congolaises. Mais les exactions qui nous ravagent depuis 25 ans laissent le monde indifférent. Il s’agit pourtant du conflit le plus meurtrier depuis la 2e guerre mondiale : plus de 5 millions de personnes mortes ou disparues. Qui en parle ?

  • Que reprochez-vous à la Communauté internationale ?

De fermer les yeux. Des législations ont été adoptées ici ou là sur le commerce ses armes…Mais elles sont allègrement contournées ! Et les gains en jeu sont tels que tout le monde préfère fermer les yeux, ce qui revient à être complice !

  • D’où vient votre vocation ?

Un jour, j’accompagnais mon père, pasteur, au chevet d’un bébé gravement malade. Mon père a dit qu’il prierait pour lui, et nous sommes partis comme cela, sans qu’aucun médicament ait pu être administré. Sur le chemin du retour, je lui ai dit : « Eh bien moi, je serai médecin ». Tout est parti de là. J’avais 8 ans.

  • Vous êtes devenu médecin mais aussi pasteur. Vous n’opposez donc pas soins et prières ?

Je les vois comme complémentaires. Le malade doit être soigné mais le soutenir psychologiquement, voire spirituellement, s’avère aussi très important. On a tous besoin d’une force qui nous pousse à aller de l’avant et qui, le cas échéant, participe à notre guérison. Et ça manque d’ailleurs très souvent…

  • Vous êtes venus à Angers pour faire votre spécialité en gynécologie. Avez-vous été tenté de vous installer en France ?

Ah (rires). On me l’a proposé. Mon chef de service, un homme exceptionnel, m’a dit : « Vous êtes sûr de vouloir rentrer ? Pourrez-vous, au pays, offrir à vos enfants la même éducation ? »…C’était cornélien. J’avais décidé de faire gynécologie pour rentrer au pays et aider les Congolaises à accoucher. J’ai dit à mon épouse : moi je rentre et tu restes ici avec les enfants, je reviendrai tous les 6 mois…Finalement on est tous rentrés ensemble…Mon fils est médecin, ma fille est infirmière, mon autre fille termine sa cardio. Je les vois peu car ils vivent loin mais ils sont heureux.

Interview dans « La Croix » dimanche 5 12 2022
Extraits – à suivre.

« J’ai été amené à prendre en charge des milliers de femmes congolaises, toutes abominablement violées ou mutilées. Et ce sont les mêmes qui ensuite font preuve d’un courage inouï pour s’en sortir. Certaines se sont lancées dans de longues études… Leurs violeurs pensaient les anéantir… Et non ! Si ces femmes n’abandonnent pas, comment le pourrions-nous, nous-mêmes ? …

« Leur résilience et leur courage nous montrent à tous la voie.»