Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Se mettre au service de la liberté

Jeudi saint — 28 mars 2024

Évangile selon saint Jean 13, 1-15

Le sens du mot « Pâque » – pesaḥ, en hébreu – signifie « passage vers la liberté ». Ce que Jésus et ses disciples fêtent lors de la dernière Cène, c’est la Pâque juive qui commémore la libération du pays d’Égypte.

On imagine trop souvent la Cène – et, au-delà, l’Eucharistie – comme un repas entre amis où Jésus finit par partager entre tous du pain et du vin. Il ne s’agit pas d’un repas convivial qui se terminerait finalement par l’institution de l’Eucharistie. Ce n’est en rien un repas normal. C’est un Séder, un rituel hautement symbolique où, dans les familles juives, comme ce soir, on écoute le récit de l’Exode. Il y a sur la table des pains sans levain, des coupes rituelles où on mélange de l’eau et du vin, des herbes amères pour rappeler la dureté de l’esclavage et de l’eau salée pour évoquer le goût des larmes. « Vous mangerez ainsi : la ceinture aux reins, les sandales aux pieds, le bâton à la main. Vous mangerez en toute hâte : c’est la Pâque du Seigneur. » Il y a là une question d’urgence, de départ pressé, d’exode immédiat vers la Terre promise. C’est le début de la liberté retrouvée. On termine le repas et on part.

Remarquez que nos eucharisties sont aussi un repas pris en toute hâte : un peu de pain et de vin et puis, bien vite, on part.

Jésus, alors qu’il partage ce repas de Pâque avec ses disciples, y ajoute un geste personnel, qui parle de lui : le lavement des pieds. Laver les pieds, c’est un geste d’esclave. A tel point qu’il heurte la sensibilité de Pierre : « Toi, Seigneur me laver les pieds ? Non, jamais ! ». Dans un pays de sable, faire laver les pieds de ses invités par ses serviteurs était une marque d’estime, le signe d’un accueil soigné.

Mais surtout, en plaçant ce geste dans le contexte de la Pâque, alors qu’on célèbre la libération de l’esclavage en Égypte, Jésus montre qu’il se met au service de notre cheminement vers la liberté. Par le lavement des pied, Jésus se fait serviteur de ceux que Dieu libère de servitude, le serviteur de notre cheminement vers le Royaume des Cieux.

Remarquons enfin, que Jésus lave les pieds de Judas, qui va le trahir, et de Pierre, qui va le renier. Dieu nous libère totalement, inconditionnellement, jusqu’à nous laisser la liberté de le renier voire de le crucifier. Le Christ est au service de tous, pas seulement des quelques-uns qui lui resteront fidèles jusqu’au bout.

Chrétiens, nous sommes aujourd’hui ses disciples. Et ce geste du lavement des pieds est pour nous une précieuse consolation, un merveilleux soulagement : quels que soient nos trahisons, nos reniements, nos abandons, le Christ restera notre serviteur, se faisant esclave pour nous soigner, pour que dans la vie nous marchions mieux. Par le lavement des pieds, Jésus nous dit : « Puisque tu veux me suivre, je me mets au service de ta marche vers la liberté. » Et de fait nous sommes libres : libres de le suivre ; libre de l’abandonner.

En posant le geste du lavement des pieds, Jésus donne une définition préliminaire à l’amour : aimer c’est d’abord se mettre au service de la liberté. Tout le contraire de la convoitise, de l’emprise, de la prédation, de l’enfermement dans des désirs. Aimer c’est d’abord se mettre au service de la liberté.

Peut-être pouvons-nous interroger nos relations avec nos proches : suis-je d’abord au service de leur liberté ? Nous commencerions alors à être de vrais disciples du Christ.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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