Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Quelle est la meilleure manière de s’aimer soi-même ?

S’aimer soi-même, ce n’est pas si facile. Le plus sûr chemin est de s’aimer sans complexe, en choisissant le bien que Dieu désire pour nous.

La forte propension au narcissisme, très contemporaine, pousse à une quête toujours plus effrénée de reconnaissance. La prégnance de cet affect se heurte toutefois aux limites de notre condition, ainsi qu’à la fatuité des motifs de notre complaisance envers nous-mêmes. Un selfie posté sur les réseaux sociaux, et liké des centaines de fois, n’étanchera jamais notre attente à ce sujet. Notre intuition nous dit que nous valons plus que cette image. Et si c’était en Dieu que résidait la raison principale de s’aimer soi-même ?

Notre époque, fortement marquée par l’individualisme, semble a priori fournir un terreau favorable à l’amour de soi. Pourtant, on ne compte plus les cas d’autodépréciation, de mépris de soi. Combien de personnes estiment ne pas être à la hauteur de l’image de soi qu’elles aimeraient donner à la fois aux autres mais aussi à elles-mêmes ? Comment expliquer une telle faillite de l’amour de soi, alors que jamais nous n’avons été autant poussés par l’idéologie dominante à nous pencher sur les heurts et malheurs de notre petit ego, à cultiver et entretenir nos penchants et notre intériorité ?

Manquerions-nous d’ambition pour nous-mêmes ?

En fait, si nous éprouvons les pires difficultés à nous aimer nous-mêmes, cela ne tient pas à ce que nous fixions la barre de notre idéal du moi trop haut, à ce que poursuivions un objectif disproportionné avec nos moyens et avec ce que nous sommes en réalité. Non, notre échec n’est pas imputable à notre trop grande ambition, mais plutôt à ce que nous n’en ayons pas assez !

Car la viabilité de l’amour que nous nous portons à nous-mêmes ne dépend pas seulement de son intensité. Nous pouvons être obsédés par l’amour de nous-mêmes, et rester néanmoins malheureux. La force de cet amour, qui peut d’ailleurs se révéler dangereuse en dégénérant en égoïsme et en indifférence envers les autres, n’est qu’une composante de la bienveillance plus générale que nous devons nous porter à nous-mêmes. L’autre facette de cet amour réside dans le but que nous poursuivons et que nous désirons atteindre pour nous-mêmes. Car il ne suffit pas de s’aimer : encore faut-il savoir ce que nous voulons pour nous, ce que nous désirons devenir et posséder.

Souvent, c’est à ce niveau que la machine s’enraye. Si l’individu, soumis à un matraquage idéologique insidieux, finit par souscrire à la vision de l’homme idéal et épanoui que la société « liquide » lui propose en guise de but à atteindre, il existe de fortes chances pour que la déception soit au rendez-vous à moyenne échéance. Le consumérisme nous laisse croire en effet que le bonheur, comme les autres marchandises, se trouve sur le marché, et qu’il est facilement disponible pour toutes les bourses. C’est la raison pour laquelle le but poursuivi par l’amour de soi, but dont l’atteinte est censée nous réconcilier avec nous-mêmes, finit la plupart du temps par nous décevoir. Ce bonheur au rabais s’est révélé être une marchandise frelatée, simple hochet dont l’acquisition a été trop facile pour véritablement combler en nous la soif qui demandait à s’étancher à une source plus substantielle.

Poursuivre sans orgueil une finalité élevée

La foi chrétienne nous prémunit contre un tel règne de la facilité et le miroir aux alouettes du mimétisme. Courir après les petites satisfactions que le Marché nous met devant les yeux finit à la longue par diminuer notre estime de soi. Si nous désirons que le but poursuivi soit en adéquation avec le bien que nous nous voulons à nous-mêmes, il est nécessaire qu’il soit à la fois suffisamment substantiel pour nourrir les exigences des êtres spirituels que nous sommes, tout en restant à l’abri, malgré la hauteur à laquelle il nous hisse, de la morsure de l’orgueil. Or, le seul bien capable de concilier ces deux caractéristiques apparemment contradictoires est celui que Dieu nous désigne comme étant le bien après lequel nous devons tendre, et qu’il nous donnera si nous L’en prions.

Autrement dit, la meilleure manière de nous aimer et de nous faire du bien, consiste à rechercher à nous aimer en Dieu. Par-là, nous ne risquons ni d’être déçus, ni de trébucher pour avoir voulu voler trop haut, puisque c’est Lui-même qui nous mènera vers l’accomplissement gratifiant après lequel nous soupirions.

Vouloir pour nous ce que Dieu veut

Il est légitime de s’aimer soi-même : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même. » Et notre premier « prochain » c’est nous-même ! Aimer son prochain consiste à lui vouloir le plus de bien possible. Il en va pareillement pour nous. Il s’agit de nous vouloir du bien. Mais lequel ? Le plus sûr est de choisir le bien que désire pour nous Celui qui nous a créés, et qui connaît la finalité pour laquelle Il nous a appelés à l’existence. Or Dieu nous a créés pour que nous devenions Ses fils. Aussi est-ce dans cette filiation divine que nous trouverons notre bien propre.

Nous ne nous aimerons vraiment qu’en nous aimant tels que Dieu nous aime, c’est-à-dire comme Ses enfants. Nous devons aimer en nous la qualité de fils de Dieu, ce qui signifie nous aimer en Dieu, avec Dieu et par Dieu. Cette qualité contribuera à la fois à nous donner une image gratifiante de nous-mêmes, tout en nous gardant de nous enfler d’orgueil et de fatuité, puisqu’elle ne dépend pas de nos mérites, mais de Dieu seul. En effet, la Trinité nous aime gratuitement et a fait de nous des filles et des fils de Dieu par pure grâce, non parce que nous aurions été aimables et méritants.

Aimer en nous la personne pour laquelle le Christ est mort

En nous aimant en Dieu, nous jouissons des biens que le Père nous réserve. Dans le même temps, nous ne risquons pas de courir après des chimères. Car comme nous l’avons souligné plus haut, il ne suffit pas de se porter beaucoup d’attention à soi-même. L’amour de soi dépend surtout des biens dont je veux profiter ainsi que de la qualité d’être à laquelle je désire accéder. Or, ceux que Dieu nous propose restent hors d’atteinte de la péremption. Quant à la qualité d’être à laquelle il nous propose d’accéder est celle qui nous rend semblables à son Fils ! Rien de moins ! Il s’agit donc d’aimer en nous la personne pour laquelle le Christ est mort sur la croix. Jésus savait qu’en se sacrifiant pour nous, il allait faire de nous des fils de son Père, nous gagner l’adoption filiale divine.

S’aimer en se décentrant de soi

Vouloir pour nous ce que Dieu a voulu pour nous : telle est la recette d’un authentique amour de soi qui ne s’expose pas au danger de dégénérer en égoïsme. En effet, dès lors que je projette de devenir fils de Dieu, ou du moins de m’accepter comme tel (car c’est une qualité que le Créateur nous offre sans condition préalable), je constate que je partage ce statut avec tous mes frères humains ! Voilà une qualité bien gratifiante, mais qui m’apprend dans le même temps l’humilité et le sens du service ! L’amour de soi n’est plus alors exclusif de l’amour des autres.

Et si la clé de l’amour de soi consistait à s’oublier pour s’occuper davantage de ses frères ? Ce ne serait pas le moindre paradoxe du christianisme !

Jean-Michel Castaing pour Aleteia.


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