Année B — 18ème dimanche du Temps Ordinaire — 4 août 2024
Évangile selon saint Jean 6, 24-5
En amour, espérez-vous être rassasiés ? Espérez-vous que quelqu’un vienne pleinement combler votre attente, votre espérance, votre soif d’amour ? Pensez-vous que votre époux, votre épouse sera cette personne qui rassasiera votre faim d’aimer ? Pensez-vous que vos enfants seront ceux qui définitivement vous combleront ? Attendez-vous quelqu’un qui étanchera votre soif d’aimer ?
Faisons une lecture spirituelle de l’Exode comme le périple de la vie, où la soif qui tiraille est celle d’aimer et la Terre promise vers laquelle on tend est l’épanouissement personnel auquel nous aspirons tous : la plénitude d’amour, une terre où abonde le lait et le miel, comme dit l’Écriture.
Les Hébreux, nous dit-on, ont été libérés de leur esclavage, de tout ce qui entravait leur épanouissement, de ce qui les empêchait d’aller vers cette Terre promise, lieu de repos et de plénitude ultimes. Et ils sont là qui errent dans le désert, qui ont faim et qui ont soif.
Peut-être avez-vous déjà constaté que toute libération, que la fin de tout esclavage, est bien souvent suivie d’un passage à vide, de tiraillements, de récriminations – tous ceux qui ont surmonté une dépendance le savent : il y a une période de dépression après une libération.
Ils sont là au désert et ils récriminent contre Dieu et contre Moïse : « Ah ! Il aurait mieux valu mourir de la main du Seigneur, au pays d’Égypte, quand nous étions assis près des marmites de viande, quand nous mangions du pain à satiété ! ». Ils sont en plein processus de libération et ils ne pensent qu’à retourner à leur semi-confort d’avant, quand ils étaient esclaves. Peut-être cela fait-il écho chez certains qui sont passés par une période de sevrage : « c’est trop dur de me libérer, il vaudrait mieux retourner à ma dépendance. »
Dieu pourtant leur donne de quoi tenir. Et plus loin dans le passage de l’Exode, on dira qu’il n’y a pas lieu de faire des réserves, la manne viendra chaque jour, avec double ration les veilles de sabbat.
Nous ne sommes pas encore en Terre promise, sauvés par Dieu. Sur cette Terre, nous aussi sommes en exode, au regard de la plénitude d’amour à laquelle nous aspirons tous. Et la manne, c’est la vie et l’amour dont Dieu nous gratifie chaque jour et qui nous fortifient. La manne, c’est ce qui nous fait vivre et aimer alors que nous marchons, parfois tiraillés par le désir d’amour, parfois tiraillés par le désir de vivre plus pleinement, en récriminant contre Dieu et contre tous.
Mais pourquoi devons-nous passer par là ? Pourquoi nous faut-il avoir soif d’aimer et d’être aimés ? Pourquoi nous faut-il passer parfois par de terribles soifs de vivre ? Et pas simplement recevoir la vie et l’amour en plénitude. Pourquoi toujours le désert ? le manque ? la faim ? la soif ?
Il s’agit de reconnaître le donateur au-delà du don, sinon la relation n’est plus qu’alimentaire. C’est la réponse que donne l’Évangile : « Vous me cherchez, non parce que vous avez vu des signes, mais parce que vous avez mangé de ces pains et que vous avez été rassasiés. » dit Jésus après la multiplication des pains.
Vouloir être rassasié, de pain comme d’amour, c’est avoir le désir des effets plutôt que le désir du donateur. Vouloir être rassasié, c’est aimer pour ce que l’on éprouve plutôt que d’aimer l’autre en soi ; c’est désirer l’autre pour le bien qu’il nous fait et non pour qui il est. Vouloir être rassasié, c’est aimer être amoureux, ou aimer aimer, plutôt qu’aimer. Vouloir être rassasié, c’est confondre plaisir, satisfaction et bonheur.
Les êtres humains ne se rendent pas toujours compte à quel point ils s’enferment quand ils cherchent le bonheur en le faisant dépendre d’un désir de satisfaction immédiate à laquelle ils se soumettent de plein gré. Pourtant, il reste entravé celui qui préfère consommer de l’amour plutôt qu’aimer, enchaîné dans une relation qui n’est plus qu’alimentaire.
Comment savoir que nous aimons les autres pour eux-mêmes et non pas pour les effets qu’il y a à les aimer ? Comment discerner que nous ne sommes pas esclaves du sentiment d’aimer plutôt que donnés à l’amour ?
C’est en reversant la logique et constatant que l’amour persiste, au-delà des désagréments d’une relation. Qu’il arrive à vos enfants, à votre conjoint, à vos proches de vous blesser, vous continueriez à les aimer. La libération de l’esclavage d’une dépendance au sentiment d’amour est certainement là lorsque l’être aimé vous crucifie et qu’encore vous l’aimez. C’est ça revêtir le Christ.
Finalement, il n’y a qu’en Dieu que peut se trouver rassasiée notre soif d’aimer. Et c’est cet amour que vient nous donner le Christ quand il se donne lui-même à nous. Aimer Dieu pour les guérisons, le soutien ou le bien-être qu’il apporte, ce n’est pas encore aimer Dieu pour lui-même. C’est là aussi s’enfermer dans une relation purement alimentaire.
Le salut n’est pas un don reçu du Christ ; c’est le Christ lui-même ! « Moi, je suis le pain de la vie. Celui qui vient à moi n’aura jamais faim ; celui qui croit en moi n’aura jamais soif. »
« Seigneur, donne-nous de ce pain-là ! »
— Fr. Laurent Mathelot OP