Année C — 3ème dimanche du Temps ordinaire — 26 janvier 2024
Évangile selon saint Luc 1, 1-4 ; 4, 14-21
Dans les couvents de formation, l’Évangile d’aujourd’hui est souvent cité en exemple, comme archétype de l’homélie parfaite. C’est le sabbat, Jésus va à la synagogue. Il fait la lecture de la Bible puis en donne un commentaire tout simple, laconique : « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture. ». Tous les homélies, au fond, ne visent à dire que cela, à proposer une actualisation des textes sacrés. Chacun peut faire l’exercice pour lui : ouvrir la Bible, lire un passage et dire « Aujourd’hui s’accomplit ce passage de l’Écriture. » Ensuite méditer sur comment accomplir aujourd’hui le texte lu.
Évidemment l’Évangile va plus loin. Le rouleau que lit Jésus est celui du Livre d’Isaïe, un des livres les plus lus de son époque. Et le propos de Luc, au tout début de son récit, est de proclamer que le Christ est lui-même l’accomplissement de la prophétie d’Isaïe : il est le messie attendu par Israël. Peut-être savez-vous d’ailleurs que le Livre d’Isaïe est le livre ancien le plus cité dans le Nouveau Testament. Dans la liturgie, nous le lisons pendant Noël et l’Avent, à l’Épiphanie, aux Rameaux, à Pâques, notamment le merveilleux Cantique du serviteur souffrant [ Is 42:1-9, 49:1-7, 50:4-11, 52:13-53:12 ]. L’intention de Luc est de souligner d’emblée l’importance de ce livre pour le Christianisme, et donc pour nous.
Mais je voudrais m’attacher aujourd’hui à la seconde lecture, celle de la Première épître aux Corinthiens et à la théologie du Corps du Christ développée par saint Paul. Allons-y pour un peu de théologie fondamentale.
Saint Paul nous dit : tous les baptisés – c’est à dire l’Église universelle – constituent un seul corps et ce corps c’est le Corps du Christ. C’est une image qu’on retrouve souvent dans la Bible, et qui est un fondement du Judaïsme, et du Christianisme à sa suite : tout groupe social, toute tribu notamment le Peuple d’Israël, le Peuple de Dieu, fonctionnent comme un seul corps, avec à sa tête un chef (c’est d’ailleurs l’étymologie du mot), avec des membres qui exécutent chacun des fonctions spécifiques et répercutent les informations. C’est encore bien souvent notre image de la société d’aujourd’hui, que l’on retrouve dans des expressions telles que « le corps social », « être membre d’une association », « agir comme un seul homme » ou dans l’idée que le Roi incarne, quelque part, le peuple Belge.
Pour l’Église, la place du chef est vite attribuée : à la tête de l’Église se trouve le Christ qui lui parle, et lui seul. Le chef de l’Église n’est ni le pape, ni le clergé, ni la volonté démocratique du peuple de Dieu. A proprement parler, l’Église est une pure théocratie : celui qui la dirige c’est l’Esprit Saint. Tous – pape, prêtres, laïcs – nous sommes des exécutants. Remarquons d’emblée que ça ne signifie pas que les membres de l’Église n’ont pas une certaine autonomie : nous avons tous notre libre arbitre et sommes priés d’en user, précisément de chacun discerner les attentes de l’Esprit Saint, de l’amour de Dieu qui nous parle et nous touche le cœur. Ainsi, véritablement, la seule direction que pourra prendre l’Église, c’est de suivre la volonté de Dieu, la volonté d’aimer comme Dieu.
L’idée de l’Église comme un seul corps dont aucun de nous n’est le chef, mais seulement un membre singulier, nous assigne à tous une fonction particulière. Nous avons tous à trouver notre place dans l’Église et dans le monde, au sein de nos familles, parmi nos amis.
Et puisque nous prétendons agir sous la direction de l’Esprit Saint, nous avons tous une vocation religieuse. Certains sont appelés à vivre une vie de contemplation et de prière, d’autres à s’engager plus socialement. Certains se sentent appelés à se donner à Dieu dans le célibat, d’autres en fondant une famille.
Tous, comme le rappelle saint Paul, nous sommes appelés à une fonction spécifique au sein du corps ecclésial : certains sont appelés à devenir apôtres c’est à dire à témoigner, d’autres sont appelés à enseigner, guérir, prophétiser ou interpréter.
Remarquons aussi qu’entre ces fonctions spécifiques, il n’y pas particulièrement de hiérarchie. Tous les membres sont interdépendants : « L’œil ne peut pas dire à la main : ‘Je n’ai pas besoin de toi’ ; la tête ne peut pas dire aux pieds : ‘Je n’ai pas besoin de vous’ ». Aussi, toutes les fonctions dans l’Église reçoivent la même dignité. Et même, comme le souligne saint Paul : « Celles qui passent pour moins honorables, ce sont elles que nous traitons avec plus d’honneur. »
Finalement, la seule hiérarchie qui prévaut dans l’Église, c’est celle de la sainteté, c’est à dire de la pureté du cœur. Et le Christ est prompt à souligner qu’il y a plus de sainteté à faire un travail humble qu’à occuper les premiers rangs. Sainte Thérèse de Lisieux l’a aussi très bien expliqué.
Ainsi, au sein de l’Église, la seule ambition qu’il convient d’avoir c’est cette de la sainteté. Et la sainteté est accessible à tous les états de vie. Ainsi, personne n’a à revendiquer de place mais tout le monde a à trouver la sienne.
Avez-vous trouvé votre place dans l’Église, votre vocation chrétienne ? Au fond, quel est le passage de l’Évangile que vous pourriez citer en pensant : c’est en moi que cette parole s’accomplit ?
Trouver sa place dans l’Église et dans le monde est essentiel parce que notre vocation est le lieu de notre sainteté, notre manière de répondre à l’appel de Dieu et d’incarner la présence de l’Esprit Saint aujourd’hui.
Mais la place que nous occupons dans l’Église et dans le monde est bien relative et de peu d’importance face à celle que nous occupons dans le cœur de Dieu. Parce que quels que soient le lieu où nous sommes, la place que nous occupons, il est toujours possible d’aimer comme Dieu aime. Je pense ici, notamment, aux personnes joyeuses de prières dans les maisons de repos.
Trouver sa place est important puisque c’est là que nous exerceront au mieux nos talents. Mais plus importante encore est la conviction que, quelque soit notre place, le bonheur est toujours authentiquement possible et la sainteté à portée de main.
Dans quelque condition que l’on soit, il est toujours possible d’exercer notre talent d’aimer.
— Fr. Laurent Mathelot OP