Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Les clés du Royaume


Année C — Saints Pierre et Paul — 29 juin 2025

Évangile selon saint Matthieu 16, 13-19

On est à Césarée de Philippe, ville frontière entre deux mondes : le monde juif et le monde païen, frontière entre le monde au Dieu unique et le monde aux dieux multiples. C’est dans cette situation de face à face entre monothéisme et polythéisme que Jésus pose la question : « Pour vous, qui suis-je ? »

Le nom local de Césarée de Philippe, c’est Baniyas ou Panéas, tiré du nom du dieu Pan. Au IIIe siècle av. J.-C., les Lagides ont fondé cette ville pour faire concurrence au centre religieux sémitique de Dan. Une caverne au nord du site s’appelle d’ailleurs la « grotte de Pan » et, proche de son entrée, se trouve un temple qui lui est dédié. A l’époque de Jésus, Hérode y a aussi fait construire un temple à la gloire d’Auguste.

La scène que nous présente l’Évangile nous montre Jésus et ses disciples aux confins d’Israël, face à ces temples païens. « Pour vous, qui suis-je ? ». On comprend que le cadre où est posée cette question n’est pas anodin. Césarée est une ville d’affirmation de divinités étrangères.

Précisément, Jésus y est-il présenté par l’évangéliste, en contraste de son homologue païen ? Dans la mythologie grecque, en effet, Pan (du grec ancien signifiant autant « universel » que « faire paître ») est une divinité de la Nature, protecteur des bergers et des troupeaux. Les philosophes stoïciens l’identifiaient avec la nature intelligente, féconde et créatrice. Enfin, chez Plutarque, on le trouve plus proche des héros que des dieux, puisqu’il aurait été mortel. Universel, protecteur des bergers et des troupeaux, Dieu et pourtant mortel : cela ne vous rappelle-t-il personne ? Il y a des similitudes, des proximités entre Jésus et le dieu Pan. A tel point que quelques représentations de Pan seront plus tard « reconverties » en images du Bon Pasteur.

Aujourd’hui aussi le Christ se présente sur un arrière-fond totalement « païen ». Notre monde est amplement déchristianisé. Face à notre époque qui, au mieux ignore les religions, au pire les méprise, face surtout à l’élan missionnaire de nos Églises qui semble enrayé, la question « Pour vous, qui suis-je ? » apparaît aussi percutante qu’urgente. « Qui suis-je ? » pour ce monde qui vit comme si Dieu n’existait pas, pour vos communautés repliées sur elles-mêmes, pour tant de chrétiens isolés dans leur foi ? Un Dieu privé ? Chacun son christ ? Chacun sa foi ? On en serait presque revenu à une forme de polythéisme …

Quand l’Évangile dit : « Je te donnerai les clés du royaume des Cieux : tout ce que tu auras lié sur la terre sera lié dans les cieux, et tout ce que tu auras délié sur la terre sera délié dans les cieux. », nous entendons qu’il fonde la mission de Pierre. Et cette citation a été comprise par l’Église comme « Pouvoir des clés » : l’Église s’est ainsi vue investie du pouvoir d’agir au nom du Christ. Il y a pourtant une autre lecture à faire de ce passage, qui est celle de la « responsabilité des clés » : « Attention, ce que vous lierez ou délierez sur la Terre aura des conséquences jusqu’au ciel ! ». Ce qui n’est pas tout à fait la même chose que « Je vous laisse tout le pouvoir ».

On comprend alors la responsabilité de nos fermetures de cœur et d’esprit qui ferment la porte du ciel à ceux qui nous entourent et, ainsi, vident nos églises. De même, ce sont nos ouvertures – de cœur et d’esprit – qui les remplissent.

Prions qu’à nouveau, à la question de Jésus « Pour vous, qui suis-je ? » nos communautés répondent aussi spontanément et avec la même exaltation que Pierre : « Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant ! ». Ce sera le signe qu’elles sont à nouveau rayonnantes.

Suis-je moi-même prêt à ce cri d’amour, à vivement professer ma foi au Christ au regard de la sécularisation galopante ?

« Pour vous, qui suis-je ? » De notre réponse dépend l’accès que nous offrons au règne de Dieu parmi les hommes. La clé du Royaume, c’est l’authentique de la foi. Elle est offerte à tout qui la désire.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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