Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

L’Église doit subir une Réforme profonde

par le père TOMAS HALIK

Le père T. Halik, théologien tchèque, sociologue des religions a ouvert l’Assemblée synodale européenne à Prague par une Introduction spirituelle.

Comment l’Eglise peut-elle être plus pertinente en Europe. Doit-elle s’adapter aux évolutions sociales ou être au contraire de contre-culture ?

La mission principale de l’Eglise est l’évangélisation qui consiste en une inculturation, un effort pour insuffler l’esprit de l’Evangile dans la manière de penser et de vivre des gens d’aujourd’hui. Sans cela, l’évangélisation n’est qu’un endoctrinement superficiel. L’Eglise ne peut et ne doit faire partie de la contre-culture, ou être en résistance, si ce n’est face à des régimes répressifs tels que le nazisme, le fascisme et le communisme.

Les tentatives de faire du catholicisme – surtout entre le milieu du 19ème et le milieu du 20ème siècle – une contre-culture, contre la société, la culture, la science et la philosophie modernes ont conduit à une autocastration intellectuelle. Elles ont causé l’éloignement d’une grande partie de la classe ouvrière, des intellectuels et des jeunes. La peur et l’aversion pour la culture moderne ont mené à une ex-culturation et contribué sensiblement à la sécularisation des sociétés occidentales.

Les efforts de Vatican II pour dialoguer avec la modernité et l’humanisme laïc sont arrivés trop tard à un moment où la modernité touchait déjà à sa fin. La société post-moderne présente aux Eglises des opportunités et des défis très différents de ceux de la modernité. Pour devenir une voix crédible et intelligible à une époque de pluralité radicale, l’Eglise doit subir une réforme profonde – et j’espère que le processus synodal permettra de l’amorcer.

De telles transformations ne risquent-elles pas de dissoudre le message chrétien – comme ce que semble craindre le pape devant les positions les plus extrêmes du chemin synodal allemand ?

La voie allemande semble accorder une grande importance au changement des structures institutionnelles. Elle soulève avec audace des questions qui ne peuvent être taboues, et parle de problèmes dont la solution ne peut être reportée indéfiniment. J’insiste cependant sur le fait que les réformes institutionnelles – comme les questions autour des conditions d’exercice du ministère sacerdotal – doivent précéder et accompagner un approfondissement de la théologie et de la spiritualité.

Le processus de sécularisation s’est accéléré en Europe à cause de la crise des abus. En quoi celle-ci peut-elle être un « signe des temps » pour l’Eglise ?

Les abus sexuels jouent un rôle similaire au commerce des indulgences, juste avant la Réforme. Au début les deux phénomènes semblaient marginaux. Or tous deux ont révélé des problèmes systémiques bien plus profonds. Dans le cas des indulgences, cela interrogeait la relation entre l’Eglise et l’argent, l’Eglise et le Pouvoir, le clergé et les laïcs. Dans le cas des abus sexuels, psychologiques et spirituels, il s’agit de la maladie du système, que le pape a appelé « cléricalisme » ;

Le pape appelle à la transformation du système rigide du pouvoir clérical, en une Eglise qui soit un réseau dynamique de coopération mutuelle, un chemin commun (sun-odos). Ce voyage conduit nécessairement à transcender les frontières institutionnelles et mentales actuelles de l’Eglise : il doit mener à un œcuménisme plus profond et plus large – à une invitation adressée à tous à emprunter le chemin de « la fraternité universelle », qui est notre objectif eschatologique.

Le processus synodal montrera si l’Eglise aura le courage de l’ « auto transcendance ». L’identité du christianisme n’est pas quelque chose de statique et d’immuable : elle réside dans la participation au drame de Pâques.

Beaucoup de choses dans l’Eglise doivent mourir pour que la résurrection ait lieu – et celle-ci n’est pas une réanimation, un retour en arrière, mais une transformation radicale.

Interview dans « La Croix » du 6.2.2023.


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