Interview du Cardinal Claude HOLLERICH
(2ème partie)
64 ans, jésuite – professeur au Japon pendant 20 ans – en 2011 Archevêque du Luxembourg – Président de la commission des épiscopats de l’Union Européenne ; cardinal en 2019 ; nommé secrétaire général du prochain Synode – Homme de confiance du pape François.
- N’est-il pas plus difficile pour les chrétiens de s’engager en politique ?
D’abord il est vrai qu’il y a moins de chrétiens. Ensuite il est vrai qu’ils sont de moins en moins engagés en politique. On le voit après chaque élection. Par ailleurs il est évident que le message des évêques pour la société ne passe plus…
Cette expérience est la conséquence de notre minorité. Pour faire comprendre ce que nous voulons, nous devons entamer un long dialogue avec ceux qui ne sont plus chrétiens, ou le sont seulement à la marge. Si nous avons certaines positions, ce n’est pas parce que nous sommes conservateurs, mais parce que nous pensons que la vie et la personne humaine doivent être au centre. Pour pouvoir dire cela, je pense qu’il faut entretenir des dialogues, des amitiés, avec les décideurs ou des responsables politiques qui pensent autrement. Même s’ils ne sont pas chrétiens, nous partageons avec eux un souci honnête de collaborer au bien de la société. Si nous ne voulons pas vivre dans une société compartimentée, il faut être capable d’écouter le récit des uns et des autres.
- Cela signifie que l’Église doit renoncer à défendre ses idées ?
Non il ne s’agit pas de cela. Il faut essayer de comprendre l’autre, pour établir des ponts avec la société. Pour parler de l’anthropologie chrétienne, nous devons nous fonder sur l’expérience humaine de notre interlocuteur. Car si l’anthropologie chrétienne est merveilleuse, elle ne sera bientôt plus comprise si nous ne changeons pas de méthode. Et à quoi nous servirait-il de prendre la parole si nous ne sommes pas écoutés. Parlons-nous pour nous-mêmes, pour nous assurer que nous sommes du bon côté ? Est-ce pour rassurer nos propres fidèles ? Ou parlons-nous pour être entendus ?
- Quelles sont les conditions de cette écoute ?
Tout d’abord l’humilité. Je pense que même si cela n’est pas forcément conscient, l’Église a l’image d’une institution qui sait tout mieux que les autres. Il lui faut donc une grande humilité, sans quoi elle ne peut pas entrer dans un dialogue. Cela signifie aussi qu’il faut montrer que nous voulons apprendre des autres.
Un exemple : je suis tout-à fait opposé à l’avortement…Mais je comprends aussi qu’il y a un souci de dignité des femmes, et le discours que nous avons eu dans le passé pour nous opposer aux lois sur l’avortement n’est plus audible aujourd’hui. Dès lors, quelle autre mesure pouvons-nous prendre pour défendre la vie ? Lorsqu’un discours ne parle plus, il ne faut pas s’acharner mais chercher d’autres voies.
- L’Église a perdu une large part de sa crédibilité en raison des crimes sexuels commis en son sein. Comment vous situez-vous par rapport à cette crise ?
D’abord je veux dire que ces abus sont un scandale…Il y a quelque part une faute systémique qu’il faut relever…Nous devons faire preuve d’une très grande honnêteté et être prêts à prendre des coups….On a fermé les yeux. C’est presque irréparable….
- S’il y a une faute systémique, faut-il des changements systémiques ?
Oui… Nous faisons tout ce que nous pouvons, mais ce n’est pas assez. Il faut une Église structurée de telle manière que ces choses-là ne soient plus possibles.
- C’est-à-dire ?
Si l’on avait donné plus de voix aux femmes et aux jeunes, ces choses-là auraient été découvertes beaucoup plus tôt. Il faut cesser de faire comme si les femmes étaient un groupe marginal dans l’Église. Elles ne sont pas à la périphérie de l’Église, elles sont au contre. Et si nous ne donnons pas la parole à celles qui sont au centre de l’Église, nous aurons un grand problème…Les évêques doivent être comme des bergers qui sont à l’écoute de leur peuple. Il ne s’agit pas seulement pour eux de dire : « Oui, j’entends, mais cela ne m’intéresse pas ».
- Quels autres changements faut-il espérer ?
La formation du clergé doit changer. Elle ne doit pas être uniquement centrée sur la liturgie…Il faut que des laïcs et des femmes aient leur mot à dire dans la formation des prêtres. Former des prêtres est un devoir pour l’Église entière … Nous devons changer notre manière de considérer la sexualité…Jusqu’à maintenant, nous avons une vision plutôt réprimée de la sexualité…Nous devons dire que la sexualité est un don de Dieu. Nous le savons mais le disons-nous ? Je n’en suis pas sûr… il faut aussi que les prêtres puissent parler de leur sexualité et qu’on puisse les entendre s’ils ont du mal à vivre leur célibat…
Demandons franchement si un prêtre doit nécessairement être célibataire. J’ai une très haute opinion du célibat mais est-il indispensable ? J’ai dans mon diocèse des diacres mariés qui exercent leur diaconat de manière merveilleuse, font des homélies par lesquelles ils touchent les gens beaucoup plus fortement que nous…Pourquoi ne pas avoir aussi des prêtre mariés ?…
Fin de l’interview paru dans « La Croix » du samedi 23 01 22