Année B — 22ème dimanche du Temps Ordinaire — 1er septembre 2024
Évangile selon saint Marc Mc 7, 1-8.14-15.21-23
Beaucoup de choses dans l’Évangile d’aujourd’hui. Jésus y parle de ritualité, d’impureté et de proximité de cœur avec Dieu.
Commençons par l’impureté. Nous avons une notion beaucoup plus catégorique de la pureté que ne l’avaient les contemporains de Jésus. Notre notion de pur est fortement teintée de deux mille ans de christianisme, ainsi que de philosophie grecque. Pour nous, pur signifie presque parfait. Pour un Juif du temps de Jésus, la pureté rituelle se perd et se gagne facilement. Il suffit d’une personne malade dans votre maison pour être, de facto, impur pour un temps. Et il suffit alors de quelques rites pour retrouver la pureté.
Dans toutes les religions, depuis les temps primitifs, les notions de pur et d’impur sont avant tout une question d’hygiène corporelle et spirituelle, les deux n’étant jamais dissociées. C’est le cas dans la Bible, notamment dans le Livre du Lévitique qui regorge de règles de pureté rituelle autours de la naissance et de mort, de la maladie, de l’alimentation et de la sexualité. Toutes situations que la sagesse ancienne avait, à défaut de médecine scientifique, perçues comme potentiellement contaminantes. Ainsi, peut-on comprendre que le rejet de la viande de porc, plus facilement vectrice de maladies dans des pays où il fait chaud, est avant tout une mesure prophylactique.
Dans le judaïsme ancien, l’impureté n’est pas vue autrement qu’une souillure, une tache, une pollution qui, la plupart du temps, est temporaire et, hélas, dans certains cas comme la lèpre, permanente. On comprend dès lors l’importance des bains rituels, du lavement des mains et des plats. Il s’agit constamment de se purifier et d’éviter ainsi une contagion par le mal.
Pour nous aujourd’hui, cette notion nous échappe. Actuellement, on ne comprendrait pas qu’on interdise à une personne malade, à une femme qui vient d’accoucher ou à une personne mourante d’accéder aux sacrements. C’est essentiellement que la notion de pureté rituelle nous est acquise une fois pour toutes par notre baptême, lequel est aussi un rite de purification – de purification définitive.
Évidemment, Dieu, s’il est un dieu sauveur, est du coté de la santé. On comprend dès lors l’association étroite des rites à l’hygiène de vie. Mais ici encore il y a une disparité entre la culture juive et la nôtre. Pour le peuple hébreux, la crainte était que Dieu déserte le Temple dégoûté par l’impureté du peuple. Tandis que pour le christianisme, Dieu persiste à aimer le pécheur malgré son péché, à vouloir l’attirer à lui et toujours le sauver.
Il n’y a pas, dans notre religion, de distinction aiguë entre le sacré et le profane, contrairement au judaïsme ancien. Dieu peut tout rejoindre et tout guérir, au-delà de tous les maux qui nous atteignent. C’est le sens de la parole « Rien de ce qui est extérieur à l’homme et qui entre en lui ne peut le rendre impur. » Aucune contamination, aucune pollution, que ce soit du corps ou de l’esprit n’est pour nous inéluctable. A tel point que nous professons l’amour fou de Dieu pour celui qui est perdu. Il n’y a, pour le christianisme, personne d’impur au point que Dieu ne veuille le rejoindre et l’aimer.
J’attire votre attention cependant sur le fait qu’une lecture trop étroite de l’Évangile d’aujourd’hui pourrait amener certains à conclure au rejet des rites par Jésus. Ce n’est assurément pas le cas. Jésus est un homme profondément pieu, qui va régulièrement au Temple, qui célèbre rigoureusement les fêtes juives, qui encourage ceux qu’il guérit à aller se montrer aux prêtres et à offrir le sacrifice prescrit.
La contestation de Jésus porte, non pas sur la pertinence de rites mais sur l’intention de la ritualité. Ce qu’il dénonce c’est le rite pour lui-même, déconnecté de l’intention de Dieu. « Vous laissez de côté le commandement de Dieu, pour vous attacher à la tradition des hommes. »
On comprend ainsi que la pureté rituelle chrétienne se situe à un autre niveau que la pureté rituelle juive : non plus celui de l’état du corps mais celui de l’intention du cœur. S’il s’agit de prétendre rendre un culte à Dieu mais que le cœur n’y est pas, alors il s’agit de rites hypocrites nous dit Jésus. Il cite le prophète Isaïe : « Ce peuple m’honore des lèvres, mais son cœur est loin de moi. C’est en vain qu’ils me rendent un culte. »
Personne n’a commis de faute trop lourde, de péché trop grand pour que Dieu le rejette. Personne n’est trop sale ou trop dégoûtant pour que Dieu ne veuille le rejoindre et l’aimer. En retour, Dieu n’exige de nous qu’une seule pureté rituelle : que nous voulions, de tout notre cœur, l’aimer.
— Fr. Laurent Mathelot OP