Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Le pain venu du ciel

Année B — 19ème dimanche du Temps Ordinaire — 11 août 2024

Évangile selon saint Jean 6, 41-51

Nous réfléchirons la semaine prochaine pour savoir si nous sommes des cannibales, nous qui affirmons manger le corps du Christ. Depuis deux semaines déjà, nous nous penchons sur le chapitre 6 de l’Évangile de Jean, qui traite de l’Eucharistie. D’abord le miracle de la multiplication des pains. Ensuite, la semaine passée, nous avons médité notre désir d’être rassasiés. Aujourd’hui, Jésus se proclame le pain venu du ciel. La semaine prochaine, il insistera sur le fait que nous devons « mâcher » son corps.

Ainsi, le propos de ce chapitre 6 de Jean est de nous faire réfléchir sur l’incarnation divine et la présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie ; que nous pourrions synthétiser en : Comment la divinité se matérialise-t-elle ? Au fond, où trouver concrètement un Dieu invisible ?

Jésus, bien qu’il dise des choses étonnantes – « Moi, je suis le pain qui est descendu du ciel » –, n’a rien d’étonnant pour ses auditeurs : « Nous connaissons bien son père et sa mère. Alors comment peut-il dire maintenant : ‘Je suis descendu du ciel’ ? » En effet, pour quelqu’un qui n’aurait assisté à aucun miracle, qu’est-ce que Jésus peut bien avoir d’extraordinaire ? Qu’est-ce qui justifie son discours ?

Que Jésus soit un homme comme tous les hommes, ceux que l’Histoire d’habitude ne remarque pas, est essentiel à notre religion. Il doit être « monsieur Tout-le-monde » s’il veut sauver tout le monde, un quidam, quelqu’un qui n’a a priori rien d’extraordinaire. Et à cet égard, il est remarquable que les Évangiles ne donnent de lui aucune description physique. Ainsi nous pouvons représenter n’importe quel homme crucifié sur la Croix et dire que c’est le Christ. On pourrait même aller jusqu’à accepter la photographie I.N.R.I. de Bettina Rheims, qui représente une femme crucifiée. C’est en effet l’humanité qui est crucifiée en Christ, pas la masculinité. Comme le Père que personne n’a vu, la divinité du Christ ne se voit pas à son aspect. Elle ne se voit que dans la foi portée aux signes qu’il donne. Sans cette foi, en effet, le Christ n’apparaît que comme un exalté qui se prend pour le fils de Dieu.

Notez que l’hostie consacrée n’a non plus pas d’autre aspect que celui du pain ordinaire. La présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie ne se voit, elle aussi, qu’avec les yeux de la foi. Sinon, c’est juste du pain particulièrement quelconque. Le pouvoir divin de l’Eucharistie, comme celui de Jésus, comme le Père, ne se voient pas directement. Dieu reste invisible.

L’amour aussi d’ailleurs, que l’on ne voit que dans la foi qu’on donne aux signes d’amour. Nous serions bien incapables de dire si une personne est amoureuse au regard de sa photo d’identité. L’amour ne se reconnaît pas à l’aspect de la personne. Ce n’est que lorsque nous croyons voir dans tel regard ou dans tel geste un signe, que nous percevons l’amour.

De ces trois exemples – le Christ, l’Eucharistie et l’amour – nous remarquons que seule la foi permet de leur reconnaître un caractère divin. Il n’est pas plus facile de croire que le Christ soit Dieu, que l’amour humain puisse être divin, que d’accepter la présence réelle de Dieu dans l’hostie consacrée. La divinité ne se voit pas. Il n’est pas possible d’en prendre la mesure. Nous sommes incapables d’évaluer ce qui nous transcende, nous dépasse infiniment. A fortiori, la présence authentique de Dieu.

On peut cependant aider la foi en la présence réelle de Dieu dans les espèces consacrées. Quand Jésus dit : « Le pain que je donnerai, c’est ma chair », il ne décrit qu’un processus naturel, qui est le cycle de la nourriture. La nourriture constitue le corps, certes – toute notre croissance est alimentée par ce que nous mangeons – mais, dans la production de nourriture, Dieu, créateur de la nature, se donne aussi et des humains donnent aussi de leur corps. Toute nourriture est « fruit de la Terre et du travail des hommes ». Ainsi les parents qui posent sur la table un repas sont quelque part fondés à dire à leurs enfants : « Ceci est mon corps livré pour vous », au regard des sacrifices d’eux-mêmes auxquels ils consentent pour nourrir leur famille. Finalement, c’est avant tout l’amour qui nous nourrit, même de pain. Et tout amour est un don de son corps.

Ainsi, que Dieu se donne par amour en nourriture comme des parents nourrissent par amour leurs enfants et que l’on retrouve, dans un repas familial, des parents qui se donnent corps et âme à leurs enfants comme Dieu lui-même se donne devrait nous aider à comprendre que Dieu peut se rendre présent tant dans le pain, que dans l’amour, que dans l’humanité. Si le don gratuit de nourriture peut être perçu comme un signe authentique d’humanité et d’amour, alors il peut être signe divin.

En s’incarnant de l’humanité jusqu’au pain partagé, Dieu finalement investit toute la chaîne de l’amour qui va du désir amoureux au sacrifice de soi pour nourrir et que vivent ceux qu’on aime.

« Moi, je suis le pain vivant, qui est descendu du ciel : si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement. »

— Fr. Laurent Mathelot OP


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