Année B — 27ème dimanche du Temps Ordinaire — 6 octobre 2024
Évangile selon saint Marc 10, 2-16
Je suis ce que l’on appelait alors un enfant du divorce, avant qu’hélas ce ne soit presque normal. A l’époque, j’aurais dit « enfant victime du divorce ». Victime au sens étymologique : l’élément sacrifié. Et de fait, on observe que le divorce n’est pas sans conséquences sur l’équilibre des enfants : ils réussissent globalement moins bien à l’école et dans la vie ; ils présentent plus de troubles du comportement ; adultes, plus de troubles psychologiques : anxiétés, dépressions, instabilité affective …. Ici, je ne cherche à culpabiliser personne. D’autant qu’il serait abusif de généraliser : d’autres troubles surgissent au sein des familles qui n’ont connu aucun divorce et – Dieu merci – beaucoup d’enfants du divorce se portent bien, certains se trouvant parfois même soulagés du poids d’un climat familial devenu délétère. Pour ma part, cette souffrance d’enfance est grandement apaisées.
Il reste que, si on parle bien de familles recomposées, c’est qu’il y a des familles décomposées, dont il faut faire le deuil – parents et enfants. Et face au deuil, nous ne sommes pas tous égaux, sans doute à mesure de l’amour meurtri.
Avant d’être un discours sur le divorce, les lectures d’aujourd’hui sont d’abord un enseignement sur l’unité. Et, plus précisément, l’unité dans la diversité et la complémentarité des sexes. Pour la première lecture, celle de l’Ancien Testament, ce n’est pas la possibilité de divorcer accordée par Moïse qui a été choisie, mais bien la Genèse de l’amour de l’homme et de la femme : « Tous deux ne feront plus qu’un »
Certains reprocheront peut-être au texte son point de vue très masculin – celui d’Adam. Un militantisme forcené pourrait même oser proclamer qu’il y a là, en germes, tous les éléments de la domination de la femme par l’homme. Au fond, n’arrive-t-elle pas par défaut dans le récit, Eve, parce que l’homme n’a trouvé, parmi les animaux (sic!), « aucune aide qui lui corresponde » ?
On aurait tort de vouloir faire du chapitre 2 de la Genèse un traité des relations homme-femme, encore plus de croire qu’il réponde aux questions du féminisme actuel. Il s’agit avant tout d’un poème. Et, si ce poème prend le point de vue d’Adam, c’est peut-être que, précisément, il vise à enseigner prioritairement les hommes, en dénonçant justement ceux qui traitent leur femme comme du bétail. Adam y proclame sa femme « os de mes os et chair de ma chair ». C’est une affirmation très forte et très imagée de la culture hébraïque, qui signifie précisément « mon égale ». Et il est heureux que la traduction ait maintenu les termes hébreux Ish et Ishsha qui montrent clairement l’identité étymologique entre homme et femme, ce que le français ne rend pas.
Par ailleurs, pour qui connaît les nuances de la langue hébraïque dans laquelle le texte est rédigé, il est possible de remarquer qu’il fait deux usages du terme Adam, d’abord comme nom commun – l’adam, qu’on pourrait traduire par « l’humain » et que le texte français rend par « l’homme » – et Adam comme nom propre – le premier homme, l’époux d’Eve. C’est l’humain que Dieu plonge dans la torpeur, duquel surgissent Adam et Eve. Adam, vous le savez, veut dire « celui qui est issu de le Terre » – le terreux. Tandis que Eve signifie « la vivante ». Une fois encore pour affirmer l’égale dignité de la femme : celle qui partage le même souffle divin.
Au-delà de l’égalité, ce texte parle d’unité. A cause précisément de cette égalité dans l’altérité, à cause de ce même souffle de vie, de ce même souffle d’amour, qui finalement est le souffle de Dieu, « l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme, et tous deux ne feront plus qu’un ». C’est l’Amour avec un grand A, et donc l’amour de Dieu, qui scelle l’union de l’homme et la femme. De même, c’est le cas de toute altérité : c’est d’abord Dieu qui nous pousse à aller vers les autres, à reconnaître qu’ils partagent le même souffle de vie. Sans cette poussée de l’Amour, nous resterions sans doute dans ce qu’on appelle aujourd’hui notre zone de confort, que le texte évoque comme le fait de rester chez ses parents.
Jésus embraye sur ce passage dans l’Évangile et il ajoute : « Ainsi, ils ne sont plus deux, mais une seule chair. Donc, ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! » On peut comprendre de deux manière ce passage. D’une part, comme l’interdiction explicite de divorcer. Mais aussi, et peut-être plus subtilement, comme l’impossibilité de totalement séparer ceux qu’un amour fécond a uni.
Et cette lecture est intéressante pour l’enfant du divorce que je suis. L’amour de mes parents subsistera toujours uni en moi, tant que je vivrai. Je suis précisément ce qu’il reste de vivant de cette union consacrée par Dieu. Et si je crois en la vie éternelle, c’est dans l’éternité que j’emporterai cette union.
Je crois que les enfants souffrent du divorce parce qu’ils continuent à incarner l’union de leurs parents, la même qu’ils voient par ailleurs blessée. Mais je crois aussi que c’est en allant vers Dieu que tous les deuils s’apaisent. « Laissez les enfants venir à moi, ne les empêchez pas, car le royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. »
A l’image des enfants qui sont toujours le fruit de l’union, en un seul corps, d’une femme et d’un homme, le royaume de Dieu est ce lieu où se maintiennent vivantes, pour l’éternité, les relations fondées sur l’amour. « Amen, je vous le dis : celui qui n’accueille pas le royaume de Dieu à la manière d’un enfant n’y entrera pas. »
Malgré nos conflits, malgré nos séparations, malgré le désamour qu’il peut parfois y avoir entre nous, je crois que de toutes nos relations d’amour, même celles qui sont passées, il persistera éternellement quelque chose de vivant, qui se maintiendra jusque dans le royaume de Dieu. Car ce que Dieu a un jour uni, je crois que l’homme ne parvient jamais à totalement le séparer.
— Fr. Laurent Mathelot OP