Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

L’amour divin comme sève

Année B — 5ème dimanche de Pâques — 28 avril 2024

Évangile selon saint Jean 10, 11-18

La semaine passée, j’ai essayé de monter ce que l’image du Bon Pasteur recelait de tragique, en quoi Jésus était le pasteur qui accompagnait ses brebis au sacrifice. L’image du Christ qui emmène son troupeau sur des prés d’herbe fraîche n’efface pas sa conclusion systématique, à savoir que toutes ces brebis finiront sacrifiées. L’agneau n’est jamais un animal de compagnie pour les Hébreux.

Cette image du Bon Pasteur qui accompagne son troupeau au sacrifice est renforcée quand Jésus dit « Moi, je suis la Porte des brebis » (Jn 10, 9), cette petite porte de la muraille de Jérusalem, par laquelle entraient les animaux qui allaient être sacrifiés au Temple. La conclusion dès lors est simple : tous vos sacrifices passent par moi.

Et en effet, le sacrifice de soi n’est acceptable que par amour. Autrement, c’est-à-dire quand le sacrifice nous est imposé, nous devenons des boucs-émissaires et des victimes. L’idée du Christ qui nous précède et nous accompagne dans tous nos sacrifices – les plus petits comme les plus grands – l’idée que le Christ, au moment où nous souffrons, partage nos souffrances, est une voie pour trouver en toutes circonstances la force d’aimer.

Dans l’Évangile d’aujourd’hui une autre image – non plus animalière mais végétale – celle du Christ comme la vigne que Dieu plante sur la Terre, dont nous sommes les sarments qu’il cultive. Cette image va nous permettre de comprendre comment trouver cette force d’aimer en toutes circonstances.

Le fil rouge que nous allons suivre est celui de la sève qui, précisément, est ce qui unit les sarments à la vigne. En effet, dans la parabole, Dieu est le vigneron et il considère les fruits de sa vigne comme ceux de son amour. La sève fonctionne donc ici comme l’amour de Dieu, que le Christ transmet à ses disciples. C’est la force de cette sève qui nous sauve, mais pas seulement, il y a aussi notre soif de cette sève. Dieu ne nous sauvera pas sans notre adhésion.

Sur les huit verset que nous venons de lire, sept fois, le Christ dit « Demeurez en moi » : « Demeurez en moi, comme moi en vous » ; « Demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous » ; « celui qui demeure en moi et en qui je demeure, celui-là porte beaucoup de fruit », « car, en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire ». Cette imbrication mutuelle du Christ en nous et de nous dans le Christ est la clé pour trouver la force d’aimer en toutes circonstances que nous cherchons.

Que le Christ soit en nous, c’est la partie facile de l’équation. Il s’est complètement donné à nous dans notre baptême. C’est évidement l’autre partie qui est la plus difficile à résoudre : faire en sorte que nous soyons dans le Christ, que nous l’incarnions.

Mais il ne nous est pas demandé d’être immédiatement conformes au Christ, à son commandement d’aimer comme Dieu aime. Il nous est simplement demandé de commencer à porter du fruit. « Tout sarment qui porte du fruit, (mon Père) le purifie en le taillant, pour qu’il en porte davantage. » A force d’amour, Dieu nous affine. Il élague en nous ce qui n’est pas porteur. Il enlève tout ce qui consomme de la sève en vain, notre consommation égoïste de l’amour, sans fruits.

Si nous revenons à notre idée initiale, à savoir comment trouver la force d’aimer en toutes circonstances, nous voyons que c’est par l’habitude de se nourrir de la sève du Christ et par la docilité à la taille par Dieu.

Au fur et à mesure que nous considérerons l’amour du Christ comme vital pour nous, nous chercherons à demeurer en sa présence. Et c’est ce qui nous donnera, aux moments de la souffrance voire de la mort – au moment des sacrifices – la certitude que, tant que nous vivons, il est là et nous sommes encore en lui, plus proches de lui que tout ce qui nous concerne et nous affecte, aussi proche de lui que l’est de nous la moindre sève de vie. Je crois qu’il est important de travailler ce sentiment-là : considérer le Christ comme vital pour nous, plus vital que l’air que nous respirons ou l’amour de ceux que nous aimons. Alors le moindre signe de vie en nous évoquera sa présence.

La peur des sacrifices et de la mort s’efface devant la présence du Christ à nos côtés, c’est le fondement de notre espérance et le don reçu à notre baptême. Mais cette disparition, dans les moments de douleur, de la peur au profit de l’amour ne va pas de soi. Il est facile de s’abandonner au désespoir, et pour certains à la révolte voire la haine, quand la souffrance prend terriblement le dessus.

Nous poursuivrons notre réflexion la semaine prochaine, en creusant la question : comment trouver, au-delà de toute souffrance, l’amour ?

— Fr. Laurent Mathelot OP


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