Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

LA SOCIÉTÉ CIVILE NE S’ORGANISE PLUS PAR RAPPORT AUX REPÈRES CHRÉTIENS

Mgr Georges Pontier

Quoique tardif, le récent sommet des évêques à Rome représente un tournant majeur dans la lutte de l’Église contre les abus sexuels…Comment réagissez-vous  ?

Mgr Georges Pontier : … Il faut que l’Église, institution mondiale, replace les personnes victimes au centre et sorte de la culture du secret. Il ne faut plus chercher à protéger l’institution et à couvrir les coupables.

Comprenez-vous le désarroi et l’impatience des victimes qui attendaient de ce sommet de Rome des mesures concrètes  ?

Je le comprends bien sûr … Nous avons été bousculés par ce que nous avons entendu. Nous avons reçu des coups de poing dans le ventre… Il y aura un avant et un après dans le fonctionnement de l’Église. Mais on ne peut pas le décider du jour au lendemain.

Le fossé entre l’Église et la société qui l’entoure, en Europe et en France particulièrement, est-il en train de se creuser ?

Ces événements choquent, suscitent de grandes interrogations, imposent de grandes souffrances chez l’ensemble des prêtres qui se sentent jugés, soupçonnés…

Mais je ne ressens pas une Église morte, j’y perçois même de beaux signes de vie. Dans le diocèse de Marseille, à Pâques prochain, nous allons baptiser une centaine d’adultes de 18 à 60 ans, le même nombre que l’année dernière… Les demandes de formation à la connaissance de la foi et à la vie spirituelle sont en augmentation. Et je ne cite pas les multiples témoignages d’engagements de chrétiens dans la vie sociale.

Je vois ces choses réconfortantes, mais je suis marqué, nous sommes marqués par cette peine immense qui est la nôtre et la honte que nous ressentons.

UNE ERE POST-CHRETIENNE

Dans L’Archipel français (Seuil), Jérôme Fourquet, directeur du département Opinions de l’Ifop, à force de cartes et de statistiques, diagnostique une France entrée dans « une ère postchrétienne ». Que lui répondez-vous  ?

Cette hypothèse donne à penser… Un ensemble de signes montrent que nous avons changé d’époque dans les pays occidentaux et notamment en Europe. Auparavant, en France notamment, la société civile s’organisait par rapport aux repères chrétiens. Ce temps est fini, comme on l’a vu lors des débats sur le mariage pour tous.

Nos sociétés sont devenues plurielles sur le plan religieux, y compris dans le monde chrétien, où des sensibilités différentes s’expriment, je pense en particulier à l’évangélisme protestant. Mais il y a aussi un monde athée qui se signale dans l’espace public.

Nous vivons un moment où la vie chrétienne n’est plus un comportement automatique ou héréditaire, mais un choix personnel, et un choix que l’on effectue souvent à l’âge adulte. Il ne faut pas se lamenter de cette évolution : le nombre de catéchumènes de plus de 18 ans dans notre pays est en légère augmentation chaque année depuis une décennie…

Jérôme Fourquet souligne « une dislocation de la matrice catholique » qui structurait la société française (il y a moins de mariages, plus de divorces, avoir un enfant hors mariage est devenu la norme)… Qu’en pensez-vous ?

De fait, ce n’est plus « la matrice catholique » qui oriente de manière forte la vie en société. Mais, paradoxalement, le religieux reste très présent. Dans les débats, les positions des croyants ne sont pas occultées. Ce ne sont pas eux qui imposent la législation, mais les réflexions des groupes religieux, en amont, sont possibles et entendues.


PRATIQUES RELIGIEUSES

Personnes interrogées déclarant aller à la messe tous les dimanches ou plus :

  • En 1961 : 35 %
  • En 2012 : 6 %

Personnes interrogées déclarant ne pas être baptisées :

  • En 1961 : 8 %
  • En 2012 : 20 %

Vous ne partagez donc pas le diagnostic sur l’existence actuellement en France d’une « cathophobie » ?

Non. Des individus se servent de tout pour abîmer l’Église, mais ce n’est pas un phénomène dominant. Nous ne sommes pas victimes de « cathophobie » ! Une évolution culturelle a modifié le rapport entre la religion et l’organisation de la vie en société … Un chrétien vit ce qu’il a à vivre, à la manière du Christ et non en profitant d’aubaines pour stigmatiser. Il ne serait pas bon de rentrer dans une problématique qui ressemblerait à une prise de pouvoir sur les autres.

Beaucoup de croyants reprochent aux évêques de ne pas aller suffisamment au feu médiatique. Le craignez-vous ?

C’est vrai que nous ne courons pas après les micros. En s’approchant trop près du feu médiatique, on peut se brûler ! Le problème est que dans une grande partie des émissions télévisées et radio, on a l’impression que celui qui est invité, quel qu’il soit, est conduit dans ses retranchements plus que dans ses convictions, il est mis sur le gril. Il y a des outils qui permettent d’exprimer une pensée davantage en profondeur. Mais nous avons peut-être à progresser sur ce front-là, nous former davantage à une culture du dialogue et de l’interpellation.

Comment l’Église peut-elle surmonter la grave crise qu’elle traverse actuellement  ?

Nous ne la traverserons qu’en considérant
que cette crise n’est pas une atteinte à notre égard,
mais, au contraire, une invitation, un appel de Dieu à nous convertir
et à vivre comme chrétiens.
Il y avait des parts de mensonge dans notre manière d’être.
Il nous faut aujourd’hui nous remettre en cause
et retrouver la joie de vivre selon l’Évangile.


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