Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

La prière du Seigneur

Année B — 7ème dimanche de Pâques — 12 mai 2024

Évangile selon saint Jean 17, 11b-19

Je vous invite à relire souvent cette page : le chapitre 17 de l’Évangile de Jean. C’est une des plus belles pages de la littérature antique ; c’est surtout une des plus belles prières jamais retranscrite, celle de Jésus pour ses disciples, au moment de sa mort. C’est la prière que nous avons dite le jeudi saint au reposoir.

C’est un beau texte, qui exprime sans doute mieux que tout ce qu’est la prière d’un prêtre pour sa communauté. On appelle d’ailleurs tout le chapitre 17 de Jean la Prière sacerdotale de Jésus. C’est en effet le Christ-prêtre qui prie là pour ses disciples. Et puisque nous sommes tous prêtres quand nous prions, c’est une prière que chacun peut adapter à sa situation : un père, une mère pour ses enfants, chacun pour sa famille, tous pour ceux que nous aimons.

On est la veille de la Pâque, le Christ vient de laver les pieds de ses disciples. Après un long discours d’adieu, toujours en leur présence, il lève les yeux vers le ciel et prie pour eux. Il vient de leur annoncer des choses graves : qu’il allait mourir ; que tous seraient dispersés et persécutés. Il faut s’imaginer dans quel état d’esprit se trouve le Christ quand il prie Dieu de garder ses disciples dans l’unité, de les protéger du Mauvais. A y regarder très étroitement, on pourrait penser qu’il en est réduit à constater l’échec de sa mission. On est au moment où tout va devenir tragique pour eux tous. Pourtant il prie «  qu’ils aient en eux ma joie, et qu’ils en soient comblés. » Quelle joie ? Celle des persécutions ?

La prière sacerdotale de Jésus est un superbe texte, et des siècles de théologiens ont produit quantité d’ouvrages à son propos. L’analyse de ce texte se révèle très profonde et très riche. C’est un bel exercice à faire. Je ne relève que quelques intuitions : le verbe « connaître » apparaît sept fois, ce qui traduit une plénitude de la connaissance dans la prière. Le thème de l’unité qui est central : unité du Père et du Fils, unité des disciples en Dieu et entre eux, unité des disciples comme témoignage de la présence de Dieu parmi les hommes. Enfin, autre mot important, le verbe « donner » qui revient 10 fois. La prière est un don, une offrande de soi autant qu’un don de Dieu.

Je l’ai dit cette prière sacerdotale de Jésus définit essentiellement ce qu’est « être prêtre », à savoir prier pour sa communauté ; être en même temps celui qui présente le sacrifice et celui qui s’offre en sacrifice, qui s’offre en prières. Jésus est ici autant le prêtre que la victime, celui qui se sacrifie pour ceux qu’il aime. Et si vous êtes familiers de l’Évangile de Jean vous savez que c’en est le thème central : le Christ est l’Agneau de Dieu qui s’offre en sacrifice pour le salut du monde, au moment même où, au Temple, on égorge les agneaux pour la Pâque.

Nous sommes tous prêtres quand nous prions. Nous sommes tous les intendants de notre prière. Et quand nous prions, nous nous offrons nous-mêmes par amour. Les prêtres ordonnés sont là pour mener la prière communautaire et offrir les sacrements de l’Église, mais chaque baptisé est un prêtre dans le quotidien de sa foi. Chaque fois que vous vous sacrifiez par amour, chaque fois que vous priez par amour, que vous vous donnez par amour, vous êtes autant de prêtres qui offrent un sacrifice pour Dieu.

Après la prière comme connaissance de Dieu, comme facteur d’unité, comme don de soi, après avoir souligné que la prière faisait de nous tous des prêtres, je voudrais conclure en m’arrêtant sur un dernier verset de l’Évangile d’aujourd’hui. Jésus dit : « Et pour eux – c’est à dire nous, ses disciples – pour eux, je me sanctifie moi-même, afin qu’ils soient, eux aussi, sanctifiés dans la vérité. ». La prière en effet nous sanctifie, elle nous rend saints, parce qu’elle touche au sacré.

Nous l’avions remarqué au début, nous sommes au moment tragique où Jésus pressent sa mort et les persécutions de ses disciples, à un moment où il pourrait avoir le sentiment d’un échec total de sa mission. Face à lu,i il n’y a que souffrances et atrocités qui s’annoncent. Pourtant, il prie que ses disciples partagent sa joie.

Quand Jésus demande à son Père de nous sanctifier dans la vérité, sa prière est que Dieu nous rende saints face au monde tel qu’il est, en toutes circonstances. C’est évidemment facile de toucher à la sainteté quand notre cœur est inondé d’amour. Les couples qui se marient, les parents qui voient naître leur enfant, à ce moment de leur vie, ont naturellement l’impression de toucher au sacré au fond de leur cœur. Mais quand tout va mal, quand on nous agresse ou nous persécute ?

La joie parfaite, celle dont le Christ demande à son Père de nous combler, vient de cette sanctification de tous les instants, des joies comme des peines. On ne peut, en effet, être saints que dans l’authenticité de chaque situation. Ainsi, dans la prière, il s’agit de toujours faire face à la réalité des choses. Certes de ne plus être dans le monde – c’est à dire, ballotté au gré des maux – mais tout de même d’assumer l’authenticité du monde, de se placer dans la vérité, dans la réalité parfois tragique de ce que nous vivons et de demander à Dieu de venir tout rejoindre, tout sanctifier de cette vérité.

La joie parfaite vient de ce qu’en toute circonstance, nous voudrons malgré tout toucher au sacré, par la prière. Le Christ, en effet, nous dit que tout ce que nous demanderons authentiquement à Dieu, le Père l’exaucera. C’est la volonté de rejoindre toute vérité par la prière qui nous amènera à la joie de Dieu.

Sanctifie-nous dans la vérité de chaque instant, Seigneur. Donne-nous en toute circonstance de trouver un chemin de sainteté, un chemin vers ta joie, un chemin vers toi. Amen.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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