Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur


Année C — 18e dimanche du Temps Ordinaire — 3 août 2025

Évangile selon saint Luc 12, 13-21

Aujourd’hui, l’Évangile propose une interprétation spirituelle de l’expression bien connue : l’argent ne fait pas le bonheur. « Que reste-t-il à l’homme de toute la peine et de tous les calculs pour lesquels il se fatigue sous le soleil ? » se lamente Qohèleth dans la première lecture. Pourquoi cherchons-nous en effet à gagner de l’argent ? Quels ressorts spirituels sont-ils à l’œuvre derrière les biens que nous amassons, parfois avec avidité ? Nous savons que nous n’emporterons rien dans la tombe. Alors, n’a-t-il pas raison Qohèleth : à quoi bon, trimer toute sa vie et mourir riche ? N’avons-nous pas mieux à faire ?

Une première raison est de transmettre un patrimoine à nos enfants. Comme nous leur transmettons un patrimoine affectif, spirituel, culturel, leur transmettre un patrimoine matériel. Pouvoir transmettre à nos enfants, le patrimoine que nous-mêmes avons reçu et que, par notre vie, nous avons fait fructifier. Et il n’y à là aucun mal. Le Christ ne critique pas tant les richesses et l’argent en tant que tels, que leur attachement. Il est plus difficile à un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux parce qu’il est plus difficile à beaucoup de personnes de se détacher des biens matériels, à mesure sans doute qu’elles en ont amassé. Mais enfin, le Christ, contrairement à Marx, ne dit pas que les riches iront en enfer. Il fréquente d’ailleurs de riches personnes. Jamais, non plus, il ne conteste que le Temple repose sur un trésor, que ses caves servent d’entrepôts à toutes sortes de richesses et de biens. Certes, il chasse les marchands du Temple, mais c’est l’idolâtrie de l’argent qu’il condamne, pas l’argent en tant que tel.

Ainsi, le problème n’est pas tant d’être riche que de savoir ce que nous faisons des biens que nous possédons. Et surtout, de la valeur réelle que nous accordons à l’argent, du lien spirituel que nous entretenons avec les biens matériels. Quand le Christ crie de ne pas faire de la maison de son Père une maison de commerce, c’est avant tout pour dénoncer vigoureusement l’idée que notre argent, les biens que nous possédons, puissent nous sauver. Jamais notre argent ne nous sauvera de la mort, de la dépression, de l’humiliation, du désamour. Jamais l’argent ne nous garantira le bonheur.

Autre raison pour laquelle amasser de l’argent : l’espoir d’une vie confortable. « Repose-toi, mange, bois, jouis de l’existence » pensait en lui-même le riche de la parabole. L’argent au fond, garantit une certaine sécurité. Il permet d’envisager l’avenir plus sereinement. C’est le ressort qu’utilisent tous les parents pour motiver leurs enfants aux études : avoir une belle situation, pour pouvoir vivre confortablement plus tard. Et, dans une certaine mesure, c’est vrai : l’argent est une assurance pour la vie. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre la proposition inverse : la pauvreté tue, c’est certain. Ils sont considérablement plus nombreux aujourd’hui, ceux qui doivent choisir entre se chauffer et se soigner.

Mais je reste persuadé que les pauvretés affectives, spirituelles, relationnelles tuent plus encore. De quel chagrin l’argent nous a-t-il sauvé ? Quelle blessure du cœur pourra-t-il résoudre ? De quelle méchanceté nous préservera-t-il ? De quelle crucifixion, de quelle mort nous sauvera-t-il ? Le bien-être matériel ne nous prémunit en rien contre les blessures de l’âme. En rien. Peut-être même les dépressions de ceux qui vivent dans l’abondance sont-elles les plus profondes, comme le sont les solitudes des gens bien entourés.

Enfin, il y a toutes les raisons perverses pour lesquelles on désire accumuler des richesses – « cette soif de posséder, qui est une idolâtrie », comme l’écrit Paul aux Colossiens. Posséder pour paraître ; posséder pour compenser ses manques affectifs ; posséder pour dominer les autres : toutes maladies spirituelles graves. Paul a raison : nous courrons tous, à un moment donné, le risque de préférer l’aisance matérielle à l’abondance spirituelle, le risque de faire de l’argent, au lieu de l’amour, le dieu auquel nous rendons un culte.

Qu’on la considère comme un patrimoine à transmettre, une assurance pour la vie ou même qu’on entretienne avec l’argent une relation maladive, l’abondance est toujours pour nous synonyme de confort. Nous avons tous peu ou prou cette idée qu’être riche, c’est vivre aisément. Ce n’est cependant pas toujours vrai.

Aujourd’hui, le terme « zone de confort » est à la mode. En amour, intellectuellement, professionnellement, il faudrait toujours sortir de sa « zone de confort », s’échapper du cocon, ne jamais s’endormir. Je crois qu’il y a spirituellement quelque chose de vrai dans cette volonté d’élan permanent. Une spiritualité de la zone de confort est une spiritualité stagnante, endormie, figée et, finalement, une spiritualité en danger de mort. La vie, l’amour ne sont pas toujours des expériences confortables, surtout s’il s’agit aussi d’aimer nos ennemis, ceux qui nous font du mal et qui sont parfois nos proches. Il y a derrière l’idée de confort, l’idée d’être statique, quelque part figé. La vie, l’amour, s’ils ne sont pas dynamiques, s’ils ne sont pas portés vers une perpétuelle croissance, sont bel et bien déjà en voie d’extinction. De même, notre spiritualité : une foi monotone, étale, qui ne connaît ni hauts ni bas, ne se rapproche pas de Dieu. C’est plutôt le signe qu’elle se referme sur elle-même.

Il arrivera, pour chacun d’entre nous, ce jour où « on va (nous) redemander (notre) vie ». Il s’agirait, à la fin, de ne pas devoir affronter le désespoir de Qohèleth : à quoi bon avoir amassé tant de biens si c’est pour mourir seul en son âme ? À quoi bon avoir tant trimé et si peu consacré de temps à ceux que nous aimons ? Que restera-t-il vraiment au soir de notre vie, sinon l’amour ?

Tous, nous ne sommes pas appelés à faire vœu de pauvreté – comme saint Antoine prendre l’Évangile à la lettre (Mt 19,21), distribuer tous ses biens aux pauvres et devenir moine – mais tous, nous sommes appelés au détachement des biens matériels pour favoriser l’attachement aux biens spirituels.

« Là où est ton trésor, là aussi sera ton cœur » dit Jésus (Mt 6:21). Notre seul trésor, c’est l’amour.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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