Évangile de Luc 2, 1-20
Voici ton Sauveur qui vient
(Isaïe 62)
La sinistre pandémie n’a pu être endiguée à temps pour nous permettre de déployer tous les fastes de ce que l’on appelle maintenant « la magie de Noël ». Lourdes peines pour les aînés privés de visites, tristesse pour les familles empêchées de se réjouir à la même table, gros soucis financiers pour les commerçants obligés à la fermeture, désarroi des artistes dans des salles vides. Toute crise bouscule, cause des dégâts mais donne aussi l’occasion de réfléchir. Il ne faut pas se tromper de fête.
Puisque « Noël » dérive du mot latin « natalis – dies », jour de la naissance, de qui donc nos villes en pleine effervescence fêtaient-elles l’arrivée dans le monde ? La réponse est flagrante : au fil des dernières années, on a vu peu à peu se vider les églises et disparaître les crèches représentant la scène de Bethléem pour voir surgir l’omniprésent, le rubicond, le jovial, le cocacolagène « père Noël ». C’est lui le bien-venu.
Le gros malin a réussi à s’attribuer le nom de la fête. L’Évangile nous racontait la naissance d’un fils : le monde préfère un père, et même un brave vieux grand-père. Que Dieu vienne dans l’être le plus fragile, le plus vulnérable, le monde repousse ce qu’il appelle un « mythe » et il accueille un vieux richard, au nez rouge, qui surgit et distribue les cadeaux les plus mirifiques. A condition d’avoir des fonds !
L’Évangile nous faisait le plus merveilleux cadeau : un Dieu qui se fait la faiblesse incarnée pour que nous devenions adultes et empoignions nos responsabilités pour le laisser grandir et le sauver de l’oubli. Les hommes ont préféré rester des enfants aux yeux écarquillés par les étalages, éblouis devant un sapin illuminé, manipulés par la pub’, enchantés de recevoir de nouveaux jouets.
L’Évangile nous montrait un jeune couple fraîchement marié, un artisan de village et une jeune femme enceinte. Au lieu d’attendre l’heureux événement au milieu de leurs parents, un édit impérial les avait obligés à prendre la route, à descendre en Judée, à plus de 100 km. Et le moment venu, par manque d’argent, Marie avait dû accoucher dans une étable, comme d’ailleurs beaucoup de misérables.
Des migrants, des pauvres sans ressources qu’il va falloir accueillir et aider : la scène est poétique quand elle se joue avec des santons peinturlurés mais dans le réel ? Le monde ne supporte pas que des émigrés, des affamés lui gâchent sa fête de Noël : les braiments du bourricot pourraient gâcher la mélodie sirupeuse de « White Christmas ».
Garder et méditer les événements
Marie, épuisée, contemple son enfant enveloppé d’un linge, endormi sur la paille d’une mangeoire. Et elle a la surprise d’avoir la visite de quelques gamins pouilleux, des gardiens de moutons. L’étable devient le lieu des veilleurs, des vigilants, de ceux qui sont au centre de l’histoire tandis que tout autour, aveuglés par la cupidité, l’ambition, la violence, la folie des divertissements et des voyages, les hommes continuent à jouer la comédie humaine. Il n’y a rien de magique dans le véritable Noêl.
Tout s’est passé tellement vite. Marie se rappelle : le mariage, l’annonce de l’ange, la visite chez Élisabeth, le dur voyage. « Tu auras un fils, il aura le trône de David, il sera roi pour toujours, on l’appellera fils de Dieu ». Cette promesse semble tellement démentie par la situation : le déracinement, une étable, la paille…Mais mon enfant est né dans le village de David ; à Bethléem, qui signifie « la maison du pain » ; et il dort dans une « mangeoire ». Que signifie tout cela ? « Je suis la servante du Seigneur. Que tout m’arrive selon ta parole ».
L’évangéliste Luc spécifie l’activité capitale de Marie : « Elle retenait tous ces événements et les méditait dans son cœur ». Celui qui s’engage à servir Dieu n’exige pas de programme : au jour le jour il sert, il se donne tout entier à la réalisation de la volonté de Dieu. Il peut être surpris, anxieux, désarçonné : qu’il cherche à interpréter les événements qui se succèdent. Qu’il sache que Jésus est né dans. son cœur, qu’il ne doit pas l’abandonner, que sa mission est d’apporter le Sauveur à un monde terrifié par les guerres, le réchauffement climatique, l’expansion du covid.
La foi chrétienne n’est pas une impression volatile, une piété avide de merveilleux, un souci du ciel qui entraîne à la résignation en ce monde. Elle est marche inlassable sur un sentier ardu, barque dans la tempête. Mais elle comble de la joie d’être un homme libre, un enfant né du vrai Père.
Frère Raphaël Devillers, dominicain