Évangile de Jean 16, 12-15
Père, Fils, Esprit : Dieu est amour
Après le départ des milliers de pèlerins venus pour les fêtes de Pâque puis de Pentecôte, Jérusalem a repris sa vie normale. Sauf qu’une rumeur commence à se répandre : les disciples de ce Jésus qui, peu avant, avait été condamné et exécuté sur une croix, prétendent qu’ils ont vu leur maître ressuscité ! Il est vraiment Seigneur, Fils de Dieu son Père, il nous a communiqué l’Esprit-Saint et nous a ordonné d’annoncer cette Bonne Nouvelle dans le monde.
Message proprement inouï, unique dans l’histoire ! Blasphématoire donc inacceptable pour Israël qui repose sur la foi en un Dieu UN et qui répète chaque jour sa confession de foi : « Écoute, Israël, le Seigneur Dieu est Seigneur UN ». Absurde de penser que le Seigneur connaisse l’horreur de la mort et que la croix signe la preuve de l’amour de Dieu.
Les apôtres reconnaissent qu’ils ont mis beaucoup de temps pour commencer à comprendre l’homme qui s’appelait Jésus de Nazareth. C’était un prophète comme Jean-Baptiste mais très vite les questions affluèrent : Jésus prêchait comme personne, il annonçait la prochaine venue du Royaume de Dieu, opérait des guérisons. Il avait avec Dieu une exceptionnelle relation de proximité et de tendresse : il s’adressait à lui comme un enfant : « Abba, Père ». Et il nous a permis de prier à sa manière. Mais certains de ses propos étant intolérables pour les autorités, la menace de mort se précisa. Loin de fuir ou de se taire, il accentua ses prétentions. Juste avant la Pâque, il se présenta à nous comme l’agneau de la libération puis il fut arrêté et exécuté.
Une expansion rapide de la Bonne Nouvelle
Tout semblait fini pour nous. Mais le 3ème jour, à notre stupeur, il revint vers nous, ressuscité, vivant et nous expliqua qu’ainsi s’était accompli le projet de Dieu. Il avait accepté de donner sa vie pour offrir le pardon des péchés aux hommes de tous les pays et il nous envoya l’Esprit de Dieu pour nous consolider dans notre mission.
Très vite les missionnaires se heurtèrent aux sarcasmes puis à la colère puis à la fureur de leurs compatriotes et ils se dispersèrent dans tous les pays voisins. Nous manquons beaucoup de repères pour marquer les étapes de l’expansion. Mais si Jésus est mort en l’an 30 de notre ère, déjà en 51, Paul s’adresse à la petite communauté de Thessalonique qu’il venait de fonder en leur disant :
« Paul, Silvain et Timothée à l’église des Thessaloniciens qui est en Dieu le Père et en le Seigneur Jésus-Christ. A vous grâce et paix » et il les exhorte à « servir le Dieu vivant et véritable et à attendre des cieux son Fils qu’il a ressuscité des morts, Jésus qui nous arrache à la colère » (1, 9)
Ensuite Paul, vers 54-55, termine sa 2ème lettre aux Corinthiens par la formule qui deviendra la salutation d’ouverture de la liturgie :
« La grâce du Seigneur Jésus Christ, l’amour de Dieu et la communion du Saint-Esprit soient avec vous tous » (13, 13)
Tous les premiers chrétiens, comme Jésus d’abord, sont des Juifs qui demeurent absolument fidèles à la profession de foi monothéiste : on ne s’étonne donc pas que des discussions interminables et très animées éclatent partout et se poursuivent sans fin. Jésus est plus qu’un prophète, l’Esprit est davantage qu’un souffle inspirateur…mais il n’y a pas trois dieux. Et si les Écritures parlaient déjà d’Israël fils de Dieu, de la Parole et de la Sagesse de Dieu, il faut aujourd’hui aller plus loin.
Une conversion périlleuse
Par conséquent la conversion à Jésus est un acte risqué, parfois dangereux. Elle fait passer pour hérétique alors que les évangiles s’acharnent à montrer que la révélation apportée par Jésus ne supprime pas la Torah mais la mène à sa fin : « Je ne viens pas abolir mais accomplir ». Une nouvelle lecture de la Loi indique que le projet de Dieu devait s’effectuer comme il l’a été par Jésus.
La foi allume des débats, divise les membres des familles, fait éclater des amitiés, cause la perte d’un emploi. Un document romain rapporte que l’Empereur Claude (mort en 54), excédé par les batailles qui se livraient parfois dans les synagogues à propos d’un certain Jésus, décida de chasser tous les Juifs de la capitale.
Le diacre Etienne, l’apôtre Jacques de Zébédée, d’autres anonymes, puis Pierre…Paul sont mis à mort : premiers martyrs d’une liste interminable qui s’allonge aujourd’hui comme jamais. Le chemin de l’amour ressuscité passe immanquablement par le Golgotha.
Enfin vers la fin du premier siècle, la communauté de Jean sort un 4ème évangile où l’on voit l’aboutissement d’une longue réflexion communautaire. La recherche sur l’Évangile et les échanges avec le milieu hellénistique aboutissent, sous le souffle de l’Esprit, à une compréhension plus approfondie de l’Esprit comme une personne.
Au 2ème siècle, dans l’Église orientale on proposera le mot grec « trias » qui, par le latin, donnera le mot « Trinité » : pauvre mot froid et abstrait pour désigner le mystère le plus riche de vie du Dieu en trois personnes.
Des controverses houleuses
Jean ne clôturera pas la fin de l’enquête : les débats vont se poursuivre dans une ambiance pas toujours fraternelle car « la rage théologique » sait être acerbe. Des écoles rivaliseront, lanceront un feu d’artifice d’anathèmes réciproques. Jusqu’à ce que le concile de Nicée (325) puis celui de Constantinople (381) accouchent des formules des « credo » que nous récitons encore. Ainsi l’Église va poursuivre sa route et s’étendre peu à peu dans le monde.
Ce rapide coup d’œil sur les débuts tentait de montrer que la foi en Dieu unique, Père, Fils et Esprit, était une aventure historique risquée qui risquait fort d’échouer. Néanmoins, dans un monde baignant dans le paganisme et à partir de la foi monolithique d’Israël, la foi trinitaire s’est peu à peu éclairée sous la lumière et la force de l’Esprit.
Jésus l’avais promis aux siens : « Lorsque viendra l’Esprit de Vérité, il vous fera accéder à la Vérité tout entière…Il me glorifiera et vous communiquera ce qui est à moi » (Jn 16, 13). Mais il ajouta : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (13, 34)
La Trinité Révélation de l’Amour
La foi en un Dieu en trois personnes ne se réduit pas à une conviction intellectuelle, à la confession d’une formule car ce mystère restera à jamais inaccessible à l’esprit humain. Mais il nous introduit sur le chemin de l’amour.
Un grand philosophe écrivait : « …De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Quel aveuglement – pardon Mr Kant. Réfléchissons un peu à trois richesses de cette foi.
D’abord – ce que certains philosophes ignorent – le concept de « personne » qui joue un si grand rôle dans la réflexion anthropologique moderne est né des débats théologiques lors des premiers conciles.
Ensuite remarquez que les Trois Personnes ne sont pas désignées, comme nous, par des noms personnels (Jean Dupont, ;..) mais par des mots de relation : Dieu est le Père de Jésus, celui-ci est le Fils de son Père, l’Esprit est celui qui unit Père et Fils. Nous, nous sommes des humains et nous avons, ou non, des relations éventuelles. Tous les hommes ne sont pas pères, et certains peuvent , hélas, perdre leur enfant : ils restent des hommes. Les Trois personnes divines, elles, sont des relations, elles ne sont que des relations. Tout l’être de Dieu consiste en l’amour porté à son Fils : l’être du Fils est l’amour porté à son Père dans l’élan de l’Esprit.
C’est pourquoi la foi en la Sainte Trinité, si elle est consciente, entraîne l’amour des uns pour les autres. Elle n’est pas une conviction pieuse, privée, éthérée mais une force qui répare nos relations, les renforce, les multiplie. Sortir pour se donner à l’autre pour l’aimer est se trouver et se personnaliser. Elle est de la sorte le grand facteur de la paix du monde.
Enfin, au coeur de nos limites et de nos péchés, gardons conscience de notre grandeur. Le croyant reste un pécheur mais il peut toujours demander la miséricorde du Père. Car le Fils de Dieu a offert sa vie pour nous pardonner : il nous montre ses plaies en nous disant « Paix à vous ». Et l’Esprit de Vie et de Lumière habite en nous. Et si nous nous sommes éloignés de cette foi, si nous sommes tombés dans les turpitudes, nous pouvons toujours revenir.
A la fin de sa vie, le poète Paul Valéry, incroyant, notait dans ses carnets : « Après tout personne avant saint Jean n’avait écrit que Dieu est Amour ».
Fr Raphael Devillers, dominicain.