Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Fête de la Sainte Trinité – 4 juin 2023 – Évangile de Jean 3, 16-18

Évangile de Jean 3, 16-18

Révélation de l’Amour

L’année liturgique n’est pas une ritournelle rythmée par une cérémonie : elle raconte la découverte progressive la plus essentielle pour l’histoire des hommes et elle nous y entraîne. Y a-t-il un dieu ou des dieux ? Aujourd’hui, après l’évocation successive de Jésus, de sa mort, de sa résurrection, de son Ascension et de la Pentecôte, l’Église proclame la conviction dans laquelle ces événements l’ont ancrée : Dieu est unique en trois Personnes. « Trinité » : le mot est bien abstrait pour désigner le foyer de la Vie, il ne dit rien à la multitude. Le philosophe Emmanuel Kant écrivait au 18e siècle : «  De la doctrine de la Trinité prise à la lettre, il n’y a absolument rien à tirer pour la pratique ». Est-ce exact ? !

Dans l’antiquité, tous les peuples étaient religieux, ils avaient leurs dieux, les nommaient, érigeaient leurs statues, les priaient avec ferveur. Un seul se distinguait : le petit peuple Israël, tant de fois écrasé, assurait que tous ces faux dieux étaient des idoles creuses et inertes, qu’il n’y avait qu’un Dieu, irreprésentable, et qui avait fait une Alliance avec lui. Basée sur les dix Paroles fondamentales, cette Alliance devait être répandue dans le monde entier.

Ce Dieu s’était révélé comme une personne qui parle, il avait dit son nom : « Je suis qui je suis – YHWH » qu’on ne pouvait prononcer. Aussi chaque hébreu était – et reste aujourd’hui encore – tenu d’affirmer deux fois par jour la confession de foi (le shemah) : «  Écoute, Israël ! Le Seigneur notre Dieu est le Seigneur Dieu. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de tout ton être, de toute ta force…Tu répéteras ces paroles à tes fils… »( Deuter 6,4). Beaucoup d’autres lois suivaient avec notamment : « Tu aimeras ton prochain comme toi-même ».

Hélas, la contagion de l’idolâtrie, toujours dénoncée violemment par les prophètes comme un danger mortel, demeura toujours présente au sein du peuple élu.

Qui est Jésus ?

Un jour, au milieu de ce peuple, « né d’une femme », membre d’une famille, artisan de village, paraît Iéshouah-Jésus de Nazareth. il se fait baptiser par le prophète Jean-Baptiste. Après une retraite au désert, il remonte en Galilée et commence à circuler à travers les villages en annonçant : « Le Royaume de Dieu s’approche : changez de vie ». Les foules peu à peu se pressent : on écoute cet enseignement nouveau, on implore les guérisons de malades, des disciples se joignent à lui. Qui est-il ? Tout de lui est d’un homme : il a soif, il est fatigué, il se fâche, il pleure son ami défunt, il prie.

Mais du neuf stupéfie : s’il est fidèle à la récitation du shemah, Jésus confie qu’il prie Dieu comme son Père et dit : « Tout m’a été remis par mon Père. Nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, et nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils et celui à qui le Fils veut bien le révéler »(Matt 11, 27). Confidence inouïe : quelle est donc cette relation privilégiée ?…

Jésus soutient les plus pauvres, il conjoint les deux commandements : « Tu aimeras Dieu de tout ton être » et « tu aimeras ton prochain comme toi-même ». Mais il ne se révolte jamais contre les Romains païens. Par contre il dénonce l’hypocrisie du culte au temple de Jérusalem qui ne fait pas respecter le droit et la justice, il critique l’arrogance des scribes, la vanité et l’enrichissement des grands prêtres. L’hostilité contre lui se durcit. A la fête de la Pâque, il brave le danger, l’étau se referme sur lui, il tremble d’agonie. Arrêté, condamné, il est exécuté sur une croix. Tous les disciples, en dépit de leurs belles déclarations, s’enfuient. La pierre est roulée. Tout est fini. Était-ce un prophète martyr ? …Au lendemain des festivités pascales, les milliers de pèlerins retournent dans leurs pays. Caïphe et Ponce Pilate sont contents : on a évité l’insurrection. Tout est calme à Jérusalem.

Rebondissement : Il est ressuscité !

Maintenant il nous faut sauter plusieurs années et arriver aux « Actes des Apôtres » de Luc (années 85 ?) et aux textes de Jean ( fin du 1er s. ?) en regrettant la brièveté de ces souvenirs qui évoquent la révolution la plus profonde qui vient de se produire et qui va changer l’histoire du monde.

Peu de temps après le drame, les disciples réapparaissent sur la scène publique et proclament la nouvelle stupéfiante, inouïe, incroyable : « Jésus qui était mort est ressuscité, et non réanimé : il est revenu vers nous en nous montrant ses plaies, source de son pardon, il est le Fils du Père, il nous a promis l’Esprit. Il a disparu en retournant vers son Père qui l’avait envoyé, l’Esprit nous a saisis et nous a chargés d’annoncer cette nouvelle à toutes les nations. Celui qui croit est pardonné de ses fautes et il devient réellement fils du Père ».

Ces gens ne sont pas des érudits capables d’élaborer une théorie théologique, ce sont des gens du peuple, sans éloquence et sans moyens. Ce sont des Juifs farouchement attachés à la confession d’un Dieu unique mais qui proclament sans contradiction: « Que toute la maison d’Israël le sache avec certitude : Dieu l’a fait et Seigneur et Christ ce Jésus que vous, vous aviez crucifié » (Ac 2,36). Traduit devant le haut tribunal où siègent Hanne et Caïphe, Pierre lance : « Jésus, il n’y a aucun autre nom offert aux hommes qui soit nécessaire à notre salut ». Là est le salut du monde.

Les juges sont sidérés par l’assurance de cet homme sans instruction et on lui interdit d’enseigner le nom de Jésus mais Pierre répond : « Nous ne pouvons pas taire ce que nous avons vu et entendu » (Ac 12)

Les apôtres parviennent à convertir certaines personnes et notamment ceux que l’on appelle « les craignant Dieu », des païens qui admiraient la grandeur de la foi juive supérieure au paganisme et sont frappés par l’assurance des disciples. Les obstacles qui les rebutaient – circoncision, nourriture casher – ne leur sont plus imposés.

Par contre la grande majorité du peuple refuse d’accepter ce message qui lui paraît contradictoire : on lance des sarcasmes, on s’irrite contre ces fabulateurs qui paraissent introduire trois dieux et renversent le monothéisme farouche d’Israël. Très vite certains apôtres sont arrêtés, menés au tribunal, jugés, flagellés, condamnés. Luc raconte qu’ils sont très honorés de partager le sort de leur Seigneur.

Les apôtres ne cherchent pas les classes aisées, les esprits distingués, les gouvernants : ils s’adressent à tous, aux gens les plus simples. Ils ne comptabilisent pas le nombre des convertis, ils ne s’inquiètent pas d’accroître leurs revenus, ils mènent une vie dangereuse. Certes des convertis apostasient mais bon nombre tiennent bon. Et que font-ils ? Ils fondent des petites communautés locales. On entre dans l’Eglise par le baptême qui très vite se fait « au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matth 28,19). La mission est universelle : des groupes de disciples se dispersent dans les nations voisines. Rien n’arrête l’élan missionnaire ni ne parvient à éteindre la joie profonde des disciples convaincus de vivre avec le Père, le Fils, et. l’Esprit, la révélation suprême.

La foi évangélique crée la paix du monde

Il est faux d’affirmer que la foi en la Trinité est inutile : cette révélation est en effet essentielle. Les apôtres proposaient leur message sans aucune pression, en respectant la liberté de chacun. Mais ils appelaient les convertis à faire une communauté fraternelle. Pour eux, « aller à l’église » ne signifiait nullement se rendre dans un bâtiment sacré pour y vivre des rites hiératiques puisqu’ils n’ont jamais bâti ni chapelle, ni église : mais cela signifiait « je me rends à la réunion de la communauté » qui se tenait dans la maison de l’un d’entre eux. Et puisque Jésus était réapparu le lendemain du sabbat, cette réunion hebdomadaire se faisait le premier jour de la semaine, jour du Seigneur, donc dimanche. « Eglise » en effet veut dire « ceux qui sont appelés hors ». Hors de chez eux, hors de la manière païenne de vivre. Le jour où le corps de Jésus était vivant, la communauté des croyants dispersés se reconstituait en « corps vivant de l’Église ».

Dans cette communion, chacun sait qu’il est pardonné de ses péchés, que Dieu est son Père, qu’il a reçu l’Esprit d’amour divin et que tous les autres, si différents soient-ils de lui, sont ses frères et sœurs qui, comme lui, ressusciteront. L’amour trinitaire l’étreint afin qu’il aime chacun de ses frères de la même manière.

Silencieusement mais de façon réelle, alors le Royaume est commencé et chacun est membre du Corps du Christ. Les « églises » fraternelles partagent le Pain de Vie qui les rend un. Elles sont des cellules de paix, les prémices de la paix mondiale. Trop peu d’entre nous en prennent conscience et ne vivent qu’une habitude rituelle sans impact social.

Comment chercher la foi trinitaire ?

Être scandalisé par une société régie par la violence, qui favorise les grands et écrase des millions de pauvres. L’histoire est-elle une histoire de fous, sans signification ?(Shakespeare). Acceptons-nous de rester sous le règne animal ?…Lire et relire les évangiles : s’interroger sans cesse sur le personnage unique qu’est Jésus de Nazareth. Comment expliquer cette assurance, cette audace des premiers disciples, leur joie sous les attaques ? Ne pas craindre d’oser se démarquer de l’opinion courante aujourd’hui. Pourquoi la foi chrétienne est-elle la plus persécutée ? Pourquoi compte-t-elle plus de martyrs que jamais ?

Un concile a proclamé un dogme mais les disputes continuèrent. Les débats et les recherches se poursuivront toujours.

— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.


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