Année B — 21ème dimanche du Temps Ordinaire — 25 août 2024
Évangile selon saint Jean 6, 60-69
Aujourd’hui, se conclut notre lecture du chapitre 6 de l’Évangile de Jean, qui présente un long enseignement du Christ à propos de son corps et des mystères de l’Incarnation divine.
Au début, il y a quatre semaines, les foules étaient nombreuses. Ce fut alors l’épisode de la multiplication des pains. Le peuple s’était même mis à acclamer Jésus, voulant faire lui son roi. Tout au long de ce chapitre, Jésus ne cesse de demander à ses disciples de s’affranchir des signes et des guérisons qu’il accomplit pour croire véritablement au mystère de l’incarnation, au fait qu’il est lui l’incarnation de Dieu venue les sauver. Vient ensuite le discours sur le Pain de Vie où Jésus se compare à la manne venue du ciel, ce qui provoque l’indignation des Juifs : « Comment celui-là peut-il nous donner sa chair à manger ? » (Jean 6, 52).
Aujourd’hui, le texte nous relate qu’à cause de cette affirmation – « celui qui me mange, vivra par moi » (6, 57) –, qui les scandalise, beaucoup de ceux qui jusqu’alors suivaient Jésus le quittent. A tel point qu’il pose aux apôtres cette question tragique : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (6, 67). Clairement, le propos de ce chapitre est de nous interroger sur ceux qui abandonnent Dieu face à l’incompréhensible de la foi chrétienne, qui parfois scandalise leur intelligence.
Un jour, une jeune guide m’a relaté la conversation qu’elle avait eue avec une jeune musulmane. Celle-ci lui reprochait, si elle était logique avec sa religion, d’être cannibale. Et la jeune guide de me dire toute étonnée : « Je n’avais jamais pensé une seconde que manger le Corps et boire le Sang du Christ puissent être vus par quelqu’un comme des actes de cannibalisme ». C’est pourtant une accusation portée contre les chrétiens depuis les origines, notamment par le philosophe Porphyre au IIIe siècle.
Dans le même ordre d’idée, savez-vous que la première représentation de la Crucifixion dont on dispose est un graffiti découvert dans les ruines du palais impérial de Rome ? Il s’agit d’une caricature représentant un homme adorant un Christ à tête d’âne sur la croix. En dessous, il est inscrit : « Alexamenos adore son dieu ». Autre scandale qui rend notre religion incompréhensible : comment peut-on révérer comme Dieu, un criminel mis à mort par les Romains ? Comment espérer être sauvé par quelqu’un qui souffre et qui meurt ?
La présence réelle de Dieu dans l’Eucharistie, la toute-puissance de la Crucifixion, la virginité de Marie : tant d’affirmations qui créent l’incompréhension et suscitent parfois moquerie et scandales tant et si bien que même certains chrétiens les rejettent : Comment croire encore à ces bêtises aujourd’hui ? Comment croire que le Corps du Christ soit monté directement au ciel ?
Vous le savez, les paradoxes sont mon domaine de recherche. Mon travail consiste à comparer les logiques avec lesquelles on raisonne. Et précisément, le reproche qui nous est fait ici, c’est de ne pas être logiques. Pour beaucoup de nos contemporains les affirmations de foi catholique sont un mépris de l’intelligence scientifique.
Je ne vais pas entrer dans de longs développements mais la science aussi raisonne sur l’incompréhensible, le mystère. C’est le cas notamment de la physique quantique – la physique des atomes et de l’infiniment petit – pour laquelle une même particule peut se trouver en même temps à plusieurs endroits. Non seulement, il y a une manière logique de raisonner à partir de paradoxes, mais on peut démonter que c’est inéluctable, qu’ils existent en tant que tels. Autant en science qu’en religion.
Quelle portée en effet le Christianisme aurait-il s’il n’englobait pas une part de mystère ? Comment pourrait-il pleinement rejoindre le mystère que je reste pour moi-même, le mystère de l’amour que nous éprouvons, le mystère qui nous pousse à vouloir transcender la mort, le mystère pour l’intelligence pratique que reste l’action concrète de Dieu dans nos vies ?
Comme la physique qui, depuis le début du XXe siècle, touche enfin au mystère intrinsèque de la matière, la religion doit pouvoir toucher à tous les mystères de la vie et ses affirmations doivent aussi refléter la part incompréhensible de Dieu. C’est une illusion de prétendre tout connaître, tout expliquer par la science, nous n’y arriverons pas. C’est même une supercherie de le laisser entendre ; le contraire a été prouvé en 1931 par Gödel : il y a des questions scientifiques qui resteront définitivement sans réponses. La science ne dévoilera jamais tous les mystères.
On pourra toujours se moquer des affirmations de la foi, comme de ceux qui croient aux miracles ou simplement à l’amour fou que Dieu éprouve pour l’Humanité. Et il y en aura toujours qui le feront, qui nous prétendront faibles ou sots de croire que le Christ, un jour, nous sauvera de la mort. Mais renoncer à aborder l’incompréhensible de l’incarnation de Dieu ferait du Christianisme non plus une religion mais une philosophie, un simple humanisme, désormais centré sur le seul mystère de l’homme. Il aurait alors perdu Dieu.
« Mais alors, Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle. »
— Fr. Laurent Mathelot OP