par Jeanne Larghero
Sans la religion, l’homme aurait-il l’espérance dans l’avenir, la foi dans la vie, et l’amour du prochain ? Privée de Dieu, constate la philosophe Jeanne Larghero, l’humanité est livrée à l’angoisse et au repli sur soi.
L’éco-anxiété est un phénomène galopant, les psychologues et pédopsychiatres ne cessent d’en témoigner. Ne feignons pas de nous étonner : en effet, le principal ressort de la prise de conscience écologique a été pendant des décennies le langage de la peur. Description de l’extinction des espèces, de l’assèchement des espaces naturels, de la fonte des glaciers : depuis Hans Jonas et le Principe de responsabilité en 1979, « l’heuristique de la peur » s’est répandue.
Un remède à l’individualisme et à l’égoïsme
Cependant la conscience qu’a l’homme de sa vulnérabilité n’est pas nouvelle. Ainsi Bergson soulignait dans Les deux sources de la morale et de la religion (1932) la chose suivante : « L’homme est le seul animal qui hésite et qui tâtonne, […] le seul qui se sente sujet à la maladie, le seul aussi qui sache qu’il doit mourir. » C’est également le seul qui puisse « céder à des préoccupations égoïstes quand le bien commun est en cause ». Les deux sont liés : nous savons que l’avenir est incertain, nous savons que nous pouvons échouer, alors la tentation du chacun pour soi est grande. Nous savons que nous allons mourir, alors la tentation du « après moi le déluge » est grande. Cela se vérifie : nous avons consommé et pollué autant par imprévoyance que par égoïsme.
C’est pourquoi Bergson voyait dans la religion un effet de l’intelligence humaine : penser la vie après la mort, miser sur la continuité de la vie, contrer l’inévitable par l’espérance est un élan naturel religieux. La nature, en conférant à l’être humain une intelligence dotée de fonction religieuse, a contrebalancé la lucidité dont elle a par ailleurs doté l’espèce humaine. Elle lui offre une défense contre ce que l’exercice de l’intelligence pourrait avoir de déprimant. En dotant les humains d’une capacité religieuse, la nature a apporté à l’humanité une défense contre la dissolution du lien social : les commandements religieux, les principes moraux qui découlent de la relation à Dieu, la conscience morale de la faute ou du péché, les rites collectifs sont autant de remèdes à l’individualisme et à l’égoïsme.
Une défense naturelle
Dès lors on comprend qu’une génération coupée d’un héritage et de pratiques religieuses, se trouve alors privée des défenses naturelles contre l’angoisse de notre fragilité, contre l’angoisse de la vulnérabilité du système Terre (Earth system) dans son ensemble, contre le sentiment d’impuissance face à une société indifférente. Certes la religion n’est pas une béquille pour les faibles ou les inconséquents, on sait qu’elle apporte également son lot d’inquiétude : la relation à Dieu, dans l’intime du cœur, est faite de moments de grâce comme de moments de doute.
Cependant elle est le lieu où s’expérimente l’espérance dans l’avenir, la foi dans la vie, et l’amour du prochain. Pour celui qui croit à la communion des saints, la notion de générations futures n’est pas qu’un concept très incertain et teinté de pessimisme, elle est au contraire une promesse d’avenir : nous rencontrerons un jour tous ceux dont nous avons aujourd’hui préparé l’avenir. Loin de nous désoler, rendons grâce : notre engagement, si petit soit-il, a un sens dès aujourd’hui, et pour toujours.
Aleteia, publié le 02/06/23