Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Cannibales et vampires ?

Année B — 20ème dimanche du Temps Ordinaire — 18 août 2024

Évangile selon saint Jean 6, 51-58

Il y a une sorte de mysticisme qui imprègne le cannibalisme : la croyance venue du fond des âges que se nourrir de la chair d’un humain, c’est se nourrir de sa force, de son esprit, de son âme. Manger son ennemi permettait alors d’absorber sa vaillance.

Très tôt aussi, les Chrétiens eux-mêmes ont été accusés de cannibalisme. Justin Martyr le rapporte dès le milieu du IIe siècle, certains philosophes païens propageant l’idée de sacrifices humains durant la messe. Mais même la finale du chapitre 6 de l’Évangile de Jean, dont nous venons de lire un extrait, témoigne de l’incrédulité des disciples, face à l’affirmation radicale de Jésus : « celui qui me mange, vivra par moi » (Jn 6, 57).

La suite du texte, nous donne à comprendre que les disciples entendaient le discours du Christ de manière littérale, à tel point que l’Évangile rapporte qu’à ce moment-là, des disciples le quittent : « Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ? » (6, 60). Jésus s’interroge – « Cela vous scandalise ? » (6, 61) – mais il ne les dément pas. Il ira jusqu’à questionner les Douze : « Voulez-vous partir, vous aussi ? » (6, 67).

L’acception littérale est toujours l’interprétation de l’Église aujourd’hui : littéralement, nous mangeons le corps et buvons le sang du Christ à chaque messe. Et c’est un point de doctrine – la présence réelle de Dieu dans l’eucharistie – qui interroge encore des chrétiens de nos jours, certains étant prompts à la réduire à la spiritualité d’un repas partagé entre amis.

Il n’y a pourtant pas de doute que le Christ entendait littéralement le pain et le vin consacrés comme sa chair et son sang, au risque même de perdre des disciples incrédules voire scandalisés. Nos eucharisties sont bien plus qu’un moment convivial autours d’un repas partagé, il s’agit avant tout d’ingérer de la substance divine et de s’en nourrir autant physiquement que spirituellement. Il s’agit bien de manger (littéralement mâcher) le Christ, dans les Écritures et dans le Pain.

Et au fond pourquoi pas ? Notre compréhension limitée de Dieu nous oblige à reconnaître à ses manifestations concrètes une part de mystère. Comment Dieu se fait-il homme ? Comment se rend-il présent dans les espèces consacrées ? Comment se fait-il que des paroles d’amour nous retissent physiquement, alors que d’autres littéralement nous blessent et nous tuent ? Quel est l’impact de l’esprit, a fortiori de l’Esprit de Dieu, sur notre corps ? Dieu peut-il faire des miracles ? Et pourquoi pas un pain qui donne la vie divine ? A minima, il faut bien que la parole de Dieu ait un effet concret, sinon notre religion n’est qu’une théorie.

Notre corps n’étant constitué que de la nourriture que nous ingérons, manger le Christ, c’est soi-même se transformer charnellement en Christ. Comme le dit le chant bien connu : « Devenez ce que vous recevez. Devenez le corps du Christ. » Si on veut l’entendre ecclésialement, on doit l’entendre individuellement. Il s’agit en effet qu’aussi à travers nous la divinité s’incarne, que nous éprouvions dans notre chair l’amour de Dieu comme le Christ lui-même l’éprouve.

Notre religion n’est pas qu’un état d’esprit, une belle pensée à laquelle nous adhérons, ce qui finalement nous ramènerait à une théologie de la loi, du texte à suivre. Elle est une religion de la personne toute entière, esprit, corps et âme. C’est tous les aspects de notre vie – tant spirituels que charnels – que Dieu veut nourrir de sa présence.

Dès lors, pour revenir à notre question initiale, sommes-nous des cannibales spirituels ? Assurément non. Le cannibalisme, c’est manger les morts en espérant gagner leur esprit tandis que nous mangeons un corps rendu vivant par l’Esprit Saint. C’est la vie divine et non la mort humaine que nous mangeons.

Il y a un vrai mystère à communier au corps et au sang du Christ, qui est celui de notre divinisation corps et esprit. Le salut ne se comprend pas tant qu’il ne s’incarne en nous. Il nous faut accepter cette part de mystère. Sinon, comment comprendre que nos corps puissent ressusciter ?

— Fr. Laurent Mathelot OP


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