Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Assomption de Marie – Année C – 15 août 2019 – Évangile de Luc 1, 39-56

ÉVANGILE DE LUC 1, 39-56

MARIE ASSUMÉE

– Bonjour, ami, où t’a conduit cette année ?
– Oh c’était magnifique ! A Noël, on est allé faire du ski à Tignes ; à Pâques on a fait un minitrip à Barcelone ; et cet été un magnifique séjour sous le soleil à Ténériffe.
– Oui mais tout cela ne sont que des vacances, des déplacements dans l’espace. Où est-ce que le temps t’a conduit ?
– Euh !?…Je ne comprends pas.
– Nous pouvons bouger, aller de lieu en lieu, retourner là où nous nous sommes divertis. Mais l’essentiel, n’est-ce pas notre déplacement dans le temps ? Tu parcours l’espace à ton gré mais le temps te fait faire un parcours. Il te change, te modifie. D’année en année où vas-tu ?
– Euh ?! Je ne réfléchis jamais à cette question.
– Il est bien dommage que tu prépares avec soin tes lieux de vacances sans réfléchir à l’endroit où le temps te conduit.
– Tu sais : on est tellement occupé, tellement stressé par la vie moderne !
– Précisément. D’où l’urgence de répondre. A ton avis, notre existence est-elle un vide à remplir pour tenter d’être heureux, un destin guidé par les astres ? Ou a-t-elle une destination que l’on choisit ? Acceptes-tu d’être né par hasard pour mourir par nécessité ?
– ……. ???????
– Tu sais : je ne veux pas abîmer tes vacances. Au contraire. Ta vie prendrait sens par l’avenir que tu choisis.

ECLATEMENT DE NOS ESPERANCES

La fête de l’Assomption donne lieu à de grandes manifestations populaires mais elle n’est pas que joie pieuse ; elle nous rappelle ce qui manque le plus aujourd’hui : le sens divin de notre existence terrestre. Marie nous appelle à espérer plus et davantage. Car nos aspirations sont trop mesquines, donc dangereuses.

Il est insuffisant de nous envoler en navette spatiale pour aller marcher sur la lune et sauter de planète en planète. Car nous n’y transporterons que notre esprit de conquête, nos cupidités insatiables, nos passions guerrières. Dieu nous appelle à nous jeter dans son Infini où il n’y a plus qu’amour, joie de l’enfant émerveillé d’être tant aimé de son Père, allégresse de la découverte amicale des richesses de tout homme.

Il est futile de vouloir possessions, jouissance consumériste, connexion permanente. Notre vocation est la plénitude infinie d’être.

Il est vain de faire partie d’une grande famille, d’un grand peuple, d’un grande civilisation. Notre grandeur est d’être membre de l’humanité appelée par grâce à partager la Vie divine.

La béatitude n’est pas de se perdre dans le Grand Tout mais d’être une personne unique dans une communion plurielle. Alors se dissoudront notre imbécillité de chercher un bonheur égoïste hors de Dieu, notre tristesse d’avoir fait mal à l’autre, notre angoissse de rater notre vie.

L’Assomption de Marie fait éclater nos mesquineries, rend illimitée notre espérance. Transcendance, Infini, Eternité : tous ces mots essaient d’exprimer notre désir de dépasser toute limite, d’aller au bout de nous-mêmes, d’être un MOI sans égoïsme dans un NOUS sans jalousie.

Ce ne sont pas des utopies, des rêveries pour nous consoler d’être mortels. Déjà l’écho s’en perçoit chez François d’Assise et Pascal, chez Rembrandt et Van Gogh, chez Bach et Mozart.

ETRE ASSUME

N’est-ce pas un idéal inatteignable ? Non car il ne s’agit pas de gagner une course, de gravir un sommet, de tirer le bon numéro, de présenter un diplôme de perfection. Nous ne montons pas au ciel : Marie nous rappelle que, commme elle, nous sommes « assumés ».
La visée suprême de notre existence nous est inaccessible par nos propres forces. Car l’autre monde n’est pas le simple prolongement de celui-ci. Jésus l’a promis à ses disciples :

« Que votre cœur ne soit pas bouleversé : vous croyez en Dieu, croyez aussi en moi. Dans la Maison de mon Père, il y a beaucoup de demeures sinon vous aurais-je dit que j’allais vous préparer le lieu où vous serez ? Lorsque je serai allé vous le préparer, je reviendrai et je vous ASSUMERAI – si bien que là où je suis, vous serez vous aussi » (Jean 14, 1)

Seule donc la puissance du Messie crucifié et vivant peut « faire la Pâque », opérer le passage des humains hors de la maison de la terre pour entrer dans la Maison du Père. La foi, ce n’est pas faire son salut mais se laisser faire.

Pourquoi Marie a-t-elle été « assumée » au ciel par son Fils ? Parce qu’elle-même l’a d’abord assumé sur sa terre. « Réjouis-toi, Marie, tu vas avoir un fils ». Elle a été bouleversée par cette révélation inattendue, elle ne comprenait pas le sens de ces paroles, elle se demandait comment elles pouvaient se réaliser. Mais sans tergiverser, sans prétexter de son insignifiance, elle a « assumé » en elle cet enfant, elle l’a porté tout en se laissant porter par lui. Elle lui a appris à mener sa vie d’homme : il lui a appris à marcher vers son Père.

MARIE ET L’EGLISE

Le Nouveau Testament ne dit rien sur la fin de Marie. Son ultime mention dans les Ecritures note sa présence au cénacle, avec la première communauté, hommes et femmes, qui persévère dans la prière. Ces hommes qui, il y a quelques jours, ont abandonné son fils aux mains de ses ennemis, vont recevoir l’Esprit et ils s’en iront proclamer la Bonne Nouvelle dans le monde entier.

De cette histoire millénaire de la mission, Marie n’est pas spectatrice car l’Assomption en Dieu n’éloigne pas des hommes, dit le Concile Vatican II :

Après son Assomption au ciel, le rôle de Marie dans le salut ne s’interrompt pas.
Par son intercession répétée, elle continue à nous obtenir les dons qui assurent notre salut éternel. Son amour maternel la rend attentive aux frères de son Fils dont le pèlerinage n’est pas achevé, ou qui se trouvent engagés dans les périls et les épreuves, jusqu’à ce qu’ils parviennent à la Patrie bienheureuse.

Comme elle a visité sa cousine Elisabeth, elle continue de venir dans l’Eglise et celle-ci ne cesse de reprendre son cantique d’action d’action de grâce :

« Mon âme exalte le Seigneur : exulte mon esprit en Dieu mon Sauveur.
Il s’est penché sur son humble servante ;
tous les âges me diront bienheureuse…
Son amour s’étend d’âge en âge… »

Le concile Vatican II a conclu la grande Constitution sur l’Eglise par un beau chapitre sur Marie. Il met en garde contre toute fausse exagération de la piété mariale car le culte chrétien doit toujours être orienté vers le Christ. Et il précise bien ce que doit être notre attitude envers Marie :

« Une véritable dévotion ne consiste nullement dans un mouvement stérile et éphémère de la sensibilité, ni dans une vaine crédulité.
La vraie dévotion mariale procède de la vraie foi
– qui nous conduit à reconnaître la dignité éminente de la Mère de Dieu,
– et nous pousse à aimer cette Mère d’un amour filial,
– et à poursuivre l’imitation de ses vertus » (§ 67)

« Vaste programme ! »

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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