Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

Apocalypse !

Année B — 33ème dimanche du Temps Ordinaire — 17 novembre 2024

Évangile selon saint Marc 13, 24-32

Les lectures aujourd’hui nous parlent de la fin des temps, de l’Apocalypse. Et les images qu’utilise Jésus dans l’Évangile sont impressionnantes : une grande détresse, le soleil qui s’éteint, les étoiles qui tombent du ciel. D’autant qu’il les présente aussi concrètes que les feuilles de figuier qui annoncent, par leur venue, le début de l’été.

Au XXe siècle, l’Église a mis de coté la prédication sur la fin des temps. Elle est devenue difficile. Notre monde est épris de science et ces récits annonciateurs de catastrophes autant impressionnantes que surréalistes sont devenus embarrassants, peut-être même gênants. Comment évoquer encore aujourd’hui la bête de l’Apocalypse qui avait « dix cornes et sept têtes » (Ap 13, 1) et prétendre encore dire quelque chose de parlant ?

On garde de ces visions que rapporte la Bible, l’impression d’images un peu naïves, qui servaient à effrayer les gens simples de jadis – des images d’enfers bouillonnants, de diables terrifiants et de tortures atroces. Un peu comme un tableau de Jérôme Bosch : très sombre, très rouge, avec des visages effrayants. C’est, je crois, faire deux erreurs. D’abord celle de penser que ces images servaient simplement à faire peur. Elles disent bien plus que cela. En fait, elles illustrent les peurs humaines et les tortures de l’esprit. L’autre erreur serait de penser que les gens des temps anciens étaient bien plus simplets, bien plus crédules que nous ne le sommes. Ce n’est pas vrai. Par contre, ils savaient mieux que nous décoder ces images représentant très graphiquement les tourments spirituels : peurs, chagrins, désespoirs, dépressions, …

C’est aussi sans doute devenu difficile de parler d’Apocalypse et de fin des temps après deux guerres mondiales où les gens ont plutôt souhaité – et on les comprend – parler d’espérance, d’amour et de réconciliation.

Il n’empêche que les textes sont là – en voici deux exemples aujourd’hui – et qu’ils continuent à vouloir nous dire quelque chose.

Le réchauffement climatique nous rend sans doute plus attentifs. Il n’annonce que des catastrophes : canicules et incendies d’une part ; torrents de pluies et inondations dévastatrices, d’autre part. On voit déjà ces changements – récemment en Espagne – et on a l’impression que ce n’est que le début de bouleversements colossaux et effrayants à venir.

Certains se disent aussi que les tensions entre peuples et au sein des peuples qui ne cessent de s’accroître un peu partout sur la planète seraient déjà le reflet de ces peurs qui gagnent tous les habitants de la Terre. Le pape François parle de « guerre mondiale par morceaux » ; partout dans les rues surgissent des affrontements xénophobes.

Notre monde va changer – radicalement changer – et les perspectives ne sont pas réjouissantes. S’annoncent déjà une crise économique majeure, bientôt plus de pauvreté, plus de famines, plus de conflits et de guerres, encore plus de migrations … De là, à parler de fin des temps qui s’annonce et d’apocalypse en vue, pour certains, il n’y a qu’un pas.

Revenons donc sur ces deux textes qui nous parlent, chacun à sa manière, de la fin des temps. D’autant qu’il y a plusieurs fins des temps et qu’on peut faire des liens entre elles. Il y a la fin du monde – « la fin du ciel et de la terre » comme dit l’Évangile et la fin de notre temps à nous, lorsque nous mourrons. Il y a des parallèles à faire entre notre propre mort et l’Apocalypse ultime, parce qu’on passe sans doute par les mêmes sentiments.

La seconde partie du Livre de Daniel (Dn 7 – 12) – d’où vient la première lecture – présente une série de visions apocalyptiques comme celle que nous venons de lire. C’est un livre de l’Ancien Testament écrit vers 164 avant Jésus-Christ. Le peuple juif est alors persécuté par des Grecs venus de Syrie qui ont transformé le Temple de Jérusalem en Temple de Zeus. Les Hébreux finalement se révolteront et finiront par l’emporter.

Ce genre de visions – qu’on appelle apocalyptique – qui parle de la fin des temps avec des images fortes, parfois terrifiantes, pas toujours très compréhensibles, souvent extraordinaires, survient toujours en lien avec des persécutions ou des drames et le sentiment que tout est perdu. C’était le cas à l’époque de Daniel où les Juifs étaient durement persécutés ; c’était le cas pour l’Apocalypse de saint Jean au temps de la persécution des premiers chrétiens.

Ce sont des récits qui s’adressent à des gens qui souffrent, qui craignent pour leur vie et qui ont peur. Ces visions sont impressionnantes et les images qu’elles donnent sont fortes mais, au moment de mourir, nombreux sont ceux qui passent par des tensions spirituelles intenses. Ce sont ces moments-là, quand la vie s’effondre, que ces textes veulent, à leur manière, décrire et surtout accompagner.

Avez-vous déjà eu l’occasion de discuter avec quelqu’un qui meurt ? Avez-vous déjà eu le privilège d’accompagner quelqu’un jusqu’à la fin ? Savez-vous le plus grand regret qui s’exprime, au moment de mourir ? C’est de n’avoir pas assez pris le temps d’aimer. Pour la plupart des gens, c’est le temps que l’on a pas passé avec celles et ceux qu’on aime qui manque au moment du départ final. C’est bien plus facile de partir si on se sent rassasié d’amour.

Bien plus difficile sera le départ de celui qui reste en lutte avec ses propres démons, pour certains terribles. Difficile aussi les derniers instants de ceux qui s’accusent eux-mêmes de lourdes fautes. Le passage de la mort est sans doute plus effrayant pour toute personne qui pense devoir craindre le jugement de Dieu. Comment ne pas voir ici de parallélisme avec la bête de l’Apocalypse qui avait dix cornes et sept têtes, avec les images de démons terrifiants sur certains tableaux. C’est cette peur-là, celle du passé qui vient mordre, que ces images décrivent.

Le Christ dit qu’à la fin des temps le soleil et les étoiles – c’est-à-dire nos repères les plus fixes ; nos certitudes les plus habituelles – disparaîtront. « Les puissances célestes seront ébranlées » ajoute-t-il – c’est-à-dire qu’alors, même notre foi en Dieu pourrait vaciller. Il parle aussi d’une grande détresse …

Et dans cette nuée – c’est-à-dire dans ce trouble – « on verra alors le Fils de l’homme venir avec grande puissance et avec gloire ». Il viendra nous rejoindre, puissamment nous rassurer et nous resplendirons alors « comme la splendeur du firmament » termine l’Évangile.

Cette splendeur du firmament, on peut l’atteindre avant la mort. Je veux témoigner que bien des personnes partent dans la paix, parfois même en joie et avec le sourire.

C’est tout ça qu’on lit entre les mots de ces récits bibliques qui nous parlent de la fin des temps. C’est la force de ce qui se vit au moment où l’on voit venir la mort et la puissance de Dieu qui vient alors nous sauver.

La mort est certes d’abord un combat, mais pour nous chrétiens, l’issue est resplendissante. Le terme « apocalypse » ne signifie ni « catastrophe », ni « effondrement », la juste traduction du terme est « révélation ». L’apocalypse c’est Dieu qui se révèle, au-delà de tous nos tourments.

N’ayez pas peur, à mesure que votre âme s’apaisera, tout ira bien.

— Fr. Laurent Mathelot OP


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