Année C — 6ème dimanche du Pâques — 25 mai 2025
Évangile selon saint Jean 14, 23-29
En filigrane de ce texte, il y a tout le mécanisme de la vie spirituelle chrétienne. L’Évangile d’aujourd’hui est un véritable traité de spiritualité. Je vous propose de faire une lecture fil à fil, d’en décoder verset par verset le sens spirituel et d’en tirer une méthode pour notre spiritualité.
En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples : « Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole ; mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. »
« Si quelqu’un m’aime » : il s’agit avant tout d’aimer le Christ, de l’aimer plus que tout. C’est explicitement dit dans l’Évangile selon Matthieu (10, 37) : « Celui qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi ; celui qui aime son fils ou sa fille plus que moi n’est pas digne de moi. » C’est une exigence forte, qui peut même nous troubler. C’est pourtant une exigence nécessaire : Dieu est la source de tout amour. Lui seul donne à nos sentiments changeants, qui parfois se troublent ou s’emballent, une perspective d’éternité. Il ne s’agit pas de choisir entre Dieu et nos proches ; il s’agit de pleinement les aimer tous, Dieu en premier, d’un amour qui transcende la mort. Ainsi un premier ressort spirituel apparaît : nous devons consciemment travailler à la croissance de notre amour pour le Christ. Comment faire ?
« Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole. » Il y a deux sens à l’expression « garder ma parole » D’abord, celui de se pencher régulièrement sur l’Écriture et les enseignements qui en ont été tirés, littéralement celui de se nourrir du texte biblique et de ses commentaires. D’autre part, on peut comprendre « garder ma parole » dans le sens d’observer ses commandements. « Garder » couvre ainsi tout le registre qui va de l’inspiration par la parole divine à la vie concrète selon ses préceptes. Spirituellement, nous comprenons qu’une conséquence immédiate de notre amour pour le Christ, à mesure de cet amour, est de chercher à s’inspirer de ce qui est dit de lui et d’en voir apparaître les conséquences pratiques dans notre vie. Il ne s’agit pas tant de se forcer à obéir à Dieu que de découvrir que notre obéissance à ses commandements découle naturellement de l’amour que nous avons pour son Fils. Toute la morale que propose l’Église – qui est une morale exigeante – devient facile, naturelle à mesure de notre amour pour lui.
Alors, poursuit l’Évangile, « mon Père l’aimera. » Le fruit de cette croissance d’amour pour le Christ est l’amour du Père que nous pouvons mieux recevoir. Spirituellement, travailler chaque jour à mieux connaître et aimer le Christ, nous procure en retour la plénitude de l’amour divin.
« … mon Père l’aimera, nous viendrons vers lui et, chez lui, nous nous ferons une demeure. ». Autre conséquence de l’amour pour le Christ, cet amour divin qui vient du Père par le Fils demeurera en nous. Ce que les versets suivants, dans un développement trinitaire, évoquent comme la plénitude de l’Esprit Saint. Il y a derrière la notion de « demeurer » celle de « s’établir, de rester ». Et c’est ainsi que l’on comprend le verset suivant : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » A mesure que croît notre amour pour le Christ, croît aussi en nous la paix. Pas une paix « à la manière du monde » – un état de conflit suspendu – non ! Une paix divinement profonde qui fait que notre cœur n’est plus jamais bouleversé ni effrayé. Qu’est-ce qui encore nous bouleverse ? Qu’est-ce qui encore nous effraye ? Voilà nos lieux spirituels qui doivent encore être rejoints par l’amour de Dieu, nos blessures qui doivent encore être touchées par le Christ.
« Si vous m’aimiez, vous seriez dans la joie » L’ultime conséquence de notre amour pour le Christ, c’est la joie – « puisque je pars vers le Père » et, sous-entendu, que je vous y emmène. Le Christ est notre chemin vers Dieu. Ainsi, on voit dessinée la mécanique complète de la spiritualité chrétienne : aimer le Christ a pour conséquence de nous emporter vers Dieu, de mieux recevoir en retour son Amour, de voir nos peurs apaisées, d’en éprouver une grande sérénité intérieure et donc de la joie, et de pouvoir ainsi mieux aimer encore.
« Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent ; ainsi, lorsqu’elles arriveront, vous croirez. ». La foi chrétienne n’est pas un postulat intellectuel, une belle pensée à laquelle on choisirait d’adhérer. La foi est la conséquence de l’amour éprouvé de Dieu. C’est à mesure que nous aimons personnellement le Christ, que nous recevrons en retour l’amour du Père, sa paix et sa joie, que nous croirons intimement qu’il nous ressuscite et nous sauve. La foi chrétienne n’est pas une vague espérance, elle est une espérance soutenue par l’amour de Dieu et vivifiée par notre réponse amoureuse en retour. Notre foi n’est pas un simple pari, elle est une espérance ancrée dans l’expérience amoureuse qui touche au divin.
Avez-vous déjà été amoureux ? Éprouvez-vous pour quelqu’un – un parent, un conjoint, un enfant, un ami – un amour si véritable qui vous procure paix et joie ? Vous savez dès lors de quel amour vous êtes capables pour Dieu.
— Fr. Laurent Mathelot OP