Année C — 16e dimanche du Temps Ordinaire — 20 juillet 2025
Évangile selon saint Luc 10, 38-42
Les textes d’aujourd’hui nous invitent à réfléchir à cette tension qui existe chez tout croyant entre action et contemplation.
Abraham reçoit la visite du Seigneur et, le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est très afféré. C’est pourtant l’heure la plus chaude du jour mais lui se hâte d’aller trouver Sara dans la tente, lui demande de vite pétrir de la pâte et de faire des galettes ; il prend du fromage blanc, du lait, court au troupeau, choisit un veau gras, le donne à un serviteur qui se hâte de le préparer. Dieu est là, avec lui, et Abraham court partout.
Il le fait pourtant avec l’aval de Dieu puisque les trois hommes lui disent « Fais comme tu l’as dit » et, suite à ce bon accueil, Dieu exaucera son vœu le plus cher, celui d’avoir un fils de Sara.
Dans l’Évangile, Marthe aussi est accaparée par les multiples occupations de service alors que Jésus vient la visiter. Et le Seigneur lui dit : « Marthe, Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée. »
Dès lors la question se pose à nous qui marchons en présence de Dieu : faut-il s’activer ou faut-il seulement, comme le fait Marie, la sœur de Marthe, s’asseoir et écouter sa parole ? On peut relever les différences de contexte entre les deux récits.
Abraham est affairé parce qu’il tient absolument que les trois hommes – qui symbolisent ici la présence du Dieu trinitaire – restent sous sa tente. Il dit : « Mon seigneur, si j’ai pu trouver grâce à tes yeux, ne passe pas sans t’arrêter près de ton serviteur ». Voilà pourquoi il s’affaire à un repas. L’agitation d’Abraham consiste à organiser chez lui un accueil confortable pour Dieu. Sa précipitation trahit son exaltation de recevoir le Seigneur. Il est affairé certes, mais en joie.
Marthe quand à elle n’est pas dans le même état d’esprit. Elle ne s’affaire pas dans la joie et elle s’en plaint : « Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur m’ait laissé faire seule le service ? Dis-lui donc de m’aider. » Ce n’est même pas sa sœur que Marthe réprimande de ne pas s’activer. C’est à Jésus lui-même qu’elle en fait le reproche. « Ça ne te fait rien Jésus que d’autres restent-là à t’écouter pendant que moi je travaille pour toi ? ». La précipitation de Marthe trahit sa lassitude d’œuvrer pour Dieu. On a l’impression que sa seule motivation est le devoir effectué sans joie. Elle tombe dans l’affairisme. Un peu comme certains viennent à la messe par obligation, sans joie.
Remarquons enfin que Jésus ne la réprimande pas pour cela. Il répond simplement que Marie a choisi la meilleure part et qu’elle ne lui sera pas enlevée. Je pense qu’il est souhaitable, en effet, de rester fidèle à la messe même quand la joie de célébrer a disparu. Mais il faut aussi rester conscient qu’on a alors perdu la meilleur part et qu’il convient peut-être alors de s ‘asseoir, de se reposer aux pieds du Christ pour la retrouver.
La récit de Marthe et Marie évoque cette tension qui existe entre action et contemplation, avec leurs deux corollaires néfastes : l’affairisme et le quiétisme. L’affairisme – nous venons de le voir –, c’est l’action sans beaucoup de discernement, le devoir fait « parce qu’il faut », allant parfois jusqu’à gesticuler pour s’occuper l’esprit.
Le quiétisme, c’est précisément l’inverse : c’est renoncer ou refuser de passer à l’action. C’est se placer délibérément dans une position d’attente figée : puisque Jésus a promis qu’il viendrait nous sauver, pourquoi s’emballer ? A quoi bon s’épuiser à changer le monde puisqu’il a dit ne pas être de ce monde et que son Royaume se trouvait aux Cieux. A quoi bon agir puisque depuis deux mille ans rien véritablement ne change ? Jamais autant l’injustice n’a régné qu’aujourd’hui. Restons-là, asseyons-nous comme Marie à écouter la parole de Dieu et attendons donc qu’il nous sauve !
Pourtant, dans la lettre de saint Jacques (2, 14-18), il est écrit : « celui qui n’agit pas, sa foi est bel et bien morte, et on peut lui dire : « Tu prétends avoir la foi, moi je la mets en pratique. Montre-moi donc ta foi qui n’agit pas ; moi, c’est par mes actes que je te montrerai ma foi. »
Paul lui-même, dans sa lettre aux Colossiens dit : « Je trouve la joie dans les souffrances que je supporte pour vous (…) et la mission que Dieu m’a confiée (…), c’est d’amener tout homme à sa perfection dans le Christ. » C’est avant tout par des actes que Paul témoigne. Et il finira martyr.
Le quiétisme et l’affairisme ne conviennent pas au chrétien. Comment imaginer rester inactif quand l’injustice, la violence et la haine règnent ? Mais comment aussi ne pas déplorer les gesticulations inutiles de ceux qui prétendent passer à l’action mais finalement ne font pas grand-chose ?
Ne soyez ni résignés, ni gesticulateurs. Le psaume commençait avec ces mots « agit avec justice » et se terminait en disant « Qui fait ainsi demeure inébranlable ». Voilà qui devrait nous caractériser : être des personnes d’action, justes et inébranlables, des gens dont l’action surgit de la contemplation.
— Fr. Laurent Mathelot OP