Évangile de Jean 17, 1b-11a
La Grande Prière de Jésus
Chaque année, après avoir célébré le départ de Jésus (Ascension) et en attendant la venue de l’Esprit (Pentecôte), à juste titre nous écoutons la grande prière finale de Jésus à son Père du chapitre 17 de s. Jean. Ce dimanche, nous en entendons la première partie mais il est fortement recommandé d’en prier l’entièreté.
La nuit du grand enseignement
Après avoir ainsi parlé, Jésus leva les yeux au ciel et dit :
Pendant 4 chapitres (de 13 à 16), Jésus a longuement enseigné ses disciples parce qu’il voulait les aimer jusqu’à la fin, aux deux sens du mot : sens temporel (jusqu’au terme de sa vie) et sens qualitatif (l’intensité extrême).
A ces pauvres hommes, il a montré son amour en s’agenouillant devant chacun et en leur lavant les pieds et il leur a enjoint de faire de même entre eux. Il leur a annoncé l’imminence de son départ, il les a prévenus qu’ils allaient connaître refus et persécutions mais l’Esprit-Saint qu’ils allaient recevoir leur donnerait la force de tenir. La sortie subite de Judas jeta un froid et laissa présager la tragédie tandis que le présomptueux Pierre se faisait renvoyer à sa faiblesse.
Oui il les aime, ces quelques jeunes qu’il a appelés dans leurs divers milieux et qui, malgré tout, ne l’ont pas quitté. Après les avoir longuement regardé, tout à coup Jésus se tait. Levant la tête vers le haut (symbole du ciel), Jésus exprime une longue prière. Car l’horizontale de la fraternité ne tient que tenue par la verticale divine.
Père, l’heure est venue !
Jésus n’a jamais tracé sa vie selon ses plans et les circonstances. Dès son appel au baptême et lors de sa longue retraite au désert, son Père lui a confié la plus grande mission de l’histoire. La prière constante le mettait sans arrêt au diapason de son Père sans jamais manquer d’un iota.
Ce plan du Père était marqué par des étapes. Dès le début, à Cana, le don du vin de l’alliance n’était qu’un signe, ce n’était pas l’heure ; de même, à la 2ème Pâque, lorsque la foule, rassasiée de son pain, voulait le couronner roi, Jésus se déroba. Ici à présent, Jésus en est conscient : au cadran de l’histoire telle que Dieu la veut, l’Heure a sonné. L’ombre de la croix se profile mais il fera de son exécution la « Glorification ».
Glorifie ton Fils afin que le Fils te glorifie.
Ainsi, comme tu lui as donné pouvoir sur tout être de chair,
il donnera la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés.
Or, la vie éternelle, c’est qu’ils te connaissent, toi le seul vrai Dieu,
et celui que tu as envoyé, Jésus Christ.
Cette croix dont il sait l’inexorable certitude, il faut le répéter, n’est pas le châtiment d’un Dieu courroucé mais l’obéissance du Fils qui ne peut ni fuir ni se taire et qui se donne. Jésus en est sûr : le Père va glorifier son Fils en même temps que le Fils va glorifier son Père. L’horrible et infâme mise à mort sera l’authentique et définitive « Pâque » : le passage à la vraie vie quand l’amour va jusqu’à se laisser mettre en croix.
Cette Révélation ultime du Dieu Père et de Jésus son Fils offrira aux croyants la Vie éternelle. Non la longévité ni la réanimation mais « la Vie » qui consiste à connaître, c.à.d. à communier au Père et au Fils.
Merveille : l’ignominie du pire supplice et la peur de la mort vont devenir, au regard de la foi, le foyer de l’Amour du Père, de l’amour du Fils pour son Père et de son Amour pour les hommes.
Moi, je t’ai glorifié sur la terre en accomplissant l’œuvre que tu m’avais donnée à faire. Et maintenant, glorifie-moi auprès de toi, Père, de la gloire que j’avais auprès de toi avant que le monde existe.
Jésus, sans vanité, peut l’affirmer : son « oui » donné au baptême, il ne l’a jamais repris. En toute fidélité, il a, de jour en jour, exécuté l’œuvre que son Père lui proposait et qu’il approfondissait sans cesse dans une inlassable prière.
C’est pourquoi nous avons toujours à lire, relire, méditer l’évangile. Car certains se targuent trop facilement de « connaître » Jésus et Dieu.
Mais maintenant, par sa Pâque, le Fils peut demander à son Père de lui offrir cette Gloire qu’il avait avant l’existence du monde. Dès la première page, le Prologue l’affirmait : « Au commencement était le Logos…et le Logos était Dieu…Tout fut par lui… » (Jn 1 1). « Maintenant je vais à celui qui m’a envoyé » avait-il déjà dit (16, 5).
J’ai manifesté ton nom aux hommes que tu as pris dans le monde pour me les donner.
Ils étaient à toi, tu me les as donnés, et ils ont gardé ta parole.
Maintenant, ils ont reconnu que tout ce que tu m’as donné vient de toi,
car je leur ai donné les paroles que tu m’avais données :
ils les ont reçues, ils ont vraiment reconnu que je suis sorti de toi,
et ils ont cru que tu m’as envoyé.
Impossible de ne pas remarquer la répétition du verbe « donner » (pas moins de 16 fois dans ce chapitre 17). Indicible humilité de Jésus libre de tout instinct de propriété ! Il sait que tout lui est donné, il reçoit et il donne. Ses paroles sont celles que son Père lui a soufflées ; ses disciples ne sont pas le fruit de son choix mais un don de son Père ; il ne se vante pas de ses enseignements ni de ses guérisons…Joie du coeur simple, conscient de tout recevoir et heureux de donner tout.
Prière pour les disciples
Moi, je prie pour eux ; ce n’est pas pour le monde que je prie,
mais pour ceux que tu m’as donnés, car ils sont à toi.
Tout ce qui est à moi est à toi, et ce qui est à toi est à moi ;
et je suis glorifié en eux.
Désormais, je ne suis plus dans le monde ; eux, ils sont dans le monde,
et moi, je viens vers toi. »
La foi n’est pas un acquis définitif qu’il suffirait de gérer. Jésus sait par quelle terrifiante épreuve ces hommes vont passer et dont ils n’ont aucune idée, il présage leur désarroi, leur fuite en dépit de leurs belles déclarations de fidélité. Ils vont traverser une tourmente dans laquelle leur foi va manquer de sombrer. Ensuite beaucoup les traiteront de lâches…puis de mythomanes. Aussi Jésus supplie le Père pour eux.
Comprenons bien pourquoi Jésus dit ne pas prier pour le monde : il ne s’agit pas de l’humanité comme telle mais des individus blindés dans leur égoïsme, leur dureté de coeur, leur cupidité.
Jésus prie pour les disciples car ils sont un cadeau du Père : ils ont reconnu la valeur divine des paroles de Jésus, ils ont fini par voir en Jésus plus qu’un homme, plus qu’un prophète, mais le Messie Seigneur.
Maintenant Jésus prend son départ, le mécanisme de la trahison est en route, les autorités sont décidées. Jésus vient vers son Père : eux demeurent dans le monde. Donc ils vont devoir témoigner de tout ce qu’ils vont vivre.
Et l’essentiel – ce sera le sujet de la suite de la prière – ce sera qu’ils restent unis. « Père, qu’ils soient UN comme nous sommes UN » (17,11)
Prière pour la multitude des croyants
Et enfin la prière de Jésus s’évasera aux confins de l’histoire et du cosmos ; Il prie pour tous ceux qui croiront en lui.
« Je prie aussi pour ceux qui, grâce à leur parole, croient en moi : que tous soient UN comme toi, Père tu es en moi et que je suis en toi : qu’ils soient en nous, eux aussi pour que le monde croie que tu m’as envoyé « (17, 20)
Conclusions
Nous prions mal, nous prions trop peu mais le Seigneur Jésus prie sans interruption pour nous afin de nous attirer dans la Gloire du Père. Quelles babioles, les « gloires » de la terre !
Croire trouver la paix par des conquêtes, des victoires, des traités de paix, des armes sophistiquées, des inventions… : tout cela est un leurre. C’est le coeur de l’homme qui doit être guéri. Et personne ne peut s’engager pour les autres.
Indispensable condition première de la mission : notre unité dans l’amour du Père et du Fils. « Qu’ils soient UN comme le Père et le Fils sont UN ». On est loin des poignées de main et des belles proclamations. Ce n’est qu’à cette profondeur divine que la paix du monde est possible.
— Fr. Raphaël Devillers, dominicain.