ÉVANGILE DE JEAN 17, 20-26
QUE TOUS SOIENT UN COMME PÈRE ET FILS
Chaque année, le dimanche entre l’Ascension et la Pentecôte nous permet d’entendre une partie de la grande prière finale de Jésus. Un chef-d’œuvre. Pendant le dernier repas qu’il a partagé avec les siens, il leur a longuement confié ses ultimes enseignements. En conclusion, au moment de sortir pour sceller son destin par la croix, il se met à prier.
LA GRANDE PRIÈRE
A l’heure où Jésus passait de ce monde à son Père, les yeux levés au ciel,
Jésus priait ainsi : « Je ne prie pas seulement pour ceux qui sont là,
mais encore pour ceux qui, grâce à leur parole, croiront en moi… »
Sur l’horizontale du temps qui va le mener, comme tout homme, à la mort, Jésus s’élance, par les yeux, le cœur et la parole, sur la verticale qui le relie à son Père. Angoissé par l’issue toute proche mais ancré dans la confiance, il ne doute pas qu’il va « passer » à Lui.
Il ne s’agit pas de la réussite d’un destin personnel mais d’apporter à Dieu ces pauvres hommes qui l’entourent, qui ne comprennent rien à ce qui est en train de se passer, et qui vont le laisser aller, seul, à la mort. Il les aime éperdument c.à.d. jusqu’à se perdre pour eux. Il leur a beaucoup parlé de son Père : à présent il parle d’eux à son Père.
Car le salut ne va pas de soi. L’enseignement est nécessaire mais plus encore l’intercession du Fils et la grâce du Père. Notre faiblesse humaine ne tient que portée par la prière du Fils.
Cette prière ultime s’ouvre à l’immensité des espaces et à la durée insondable du temps. Ressuscités de leur lâcheté, les apôtres se disperseront pour parler de Jésus vivant, ils répandront la Bonne Nouvelle ; puis d’autres à leur suite iront de plus en plus loin. L’Evangile deviendra, par la parole, le nouvel axe de la réussite de l’humanité.
Dans sa prière, Jésus englobe la multitude infinie des hommes qui croiront en lui. Nous prions si peu, si mal : Jésus, lui, prie éternellement pour nous.
TOUS UN
Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi.
Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé.
…..et que tu les as aimés comme tu m’as aimé.
Jésus ne prie pas pour que nous soyons sans défaut, pour que nous formions une Eglise puissante, pour que tous les humains deviennent chrétiens. Mais pour que les croyants en lui soient UN.
Pas unis par les liens familiaux, patriotiques, culturels. Pas camarades. Mais UN comme Père et Fils sont l’un dans l’autre. En Dieu, le rapport, souvent conflictuel, paternité / filiation, n’est pas absorbé dans une unité confusionnelle. Père et Fils ne sont pas idem – sinon Jésus ne prierait pas Quelqu’un.
Jésus prie pour que l’ultime prophétie biblique se réalise, que vienne « le jour qui ramènera le cœur des pères vers leurs fils, celui des fils vers leurs pères » (Malachie 3, 24)
« Comme » ne signifie pas seulement une comparaison mais fournit la raison, la possibilité de l’unité : seul l’amour divin peut provoquer un amour mutuel à une telle profondeur.
L’histoire nous a montré depuis longtemps, et elle le confirme tous les jours, que les aspirations, les désirs, les traités ne parviennent jamais à établir une paix stable. L’unité des hommes ne peut s’effectuer que dans la foi en Jésus, le Fils qui nous rend fils dans le Père, mais qui ne le fait que si le croyant se laisse entraîner sur le chemin du « passage », avec et par la croix.
LE BUT : « AFIN QUE LE MONDE SACHE … »
Hélas, nous voyons quelle résistance nous opposons à cette unification qui nous déchire. L’Eglise qui lance tant d’appels à la paix du monde ne parvient pas elle-même à unir tous ses fils.
L’Evangile d’aujourd’hui doit éveiller en nous une immense plainte : « Père, ton Fils a souffert l’horreur de la croix pour que nous soyons UN … et nous sommes divisés ». Quel scandale ! Scandale épouvantable puisque notre unité est le grand signe qui doit montrer à tous les hommes que Jésus est le Fils envoyé du Père et ainsi leur ouvrir l’accès à la Paix de Dieu. La séparation des chrétiens est l’obstacle majeur à la paix.
L’AMOUR : L’ETRE-AVEC
Père, ceux que tu m’as donnés, je veux que là où je suis, ils soient eux aussi avec moi,
et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée car tu m’as aimé avant la fondation du monde.
Tout lecteur de cette prière est frappé par la répétition du verbe « donner » (16 emplois sur 26 versets). Et chaque fois Jésus est au milieu de ce mouvement : son Père lui donne tout pouvoir / Il donne la Vie aux hommes ; Le Père lui donne des hommes / Il leur manifeste son Père ; le Père lui donne sa Parole / Il la donne aux disciples…
Jésus n’a rien qu’il n’ait reçu, et ce qu’il reçoit, il le donne. Il est le médiateur parfait, le prêtre. Tout le contraire des vedettes, des personnalités qui se gaussent de ce qu’ils ont et qui ne l’offrent que pour leur gloriole. Tout ce qui n’est pas donné est perdu, dira le père Ceyrac.
L’amour est partage de Dieu, pont, transparence ; il est lien très profond, insécable, il refuse la séparation. Jésus demande à son Père de lui rendre ses disciples par-delà leur mort. « Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis » dira-t-il au brigand crucifié près de lui (Luc 23, 43). Et Paul en prison et accablé d’épreuves écrira : « J’ai le désir de m’en aller et d’être avec le Christ, et c’est beaucoup préférable » (Phil 1, 23). Calmons notre imagination : le ciel, c’est être-avec-Jésus. Aujourd’hui déjà la foi nous en donne la réalité insensible.
Revient encore et toujours le mystère de cet homme qui assure ses amis qu’au ciel ils verront la Gloire qu’il avait avant la création du monde. Le Prologue disait : « Au commencement était le Verbe…et le Verbe était Dieu…Tout fut par lui…En Lui était la Vie… » (Jn 1)
FINALE : VERS LA PLÉNITUDE DE L’AMOUR
Père juste, le monde ne t’a pas connu, mais moi je t’ai connu, et ces hommes ont reconnu que tu m’as envoyé. Je leur ai fait connaître ton nom, et je le ferai connaître,
pour que l’amour dont tu m’as aimé soit en eux, et que moi aussi, je sois en eux. »
L’Evangile ne sera jamais religion mondiale car les hommes enfermés dans les choses du monde ne le reconnaîtront pas. Ceux qui reconnaissent en Jésus l’Envoyé, le Fils du Père, comprennent-ils leur bonheur ? Car il continue, par l’Evangile proclamé dans la force de l’Esprit, à leur parler, à leur ouvrir les trésors infinis de sa Parole qui illumine, libère, réconcilie, unit, épanouit. Cette Parole communique l’amour du Père pour le Fils et pour les fils.
La foi ne fournit pas un programme : elle apporte une Présence et un Amour. C’est le dernier mot de la prière. On en tombe à genoux, bouleversés de reconnaissance.
CONCLUSION : LA GRANDE PRIÈRE ET L’EUCHARISTIE
Intéressant de voir la différence des évangiles sur le commandement d’amour. Matthieu et Luc soulignent la force exemplaire des actes personnels : le monde est frappé par les actions de chrétiens en faveur des pauvres, comme l’abbé Pierre ou Sr Emmanuel.
De son côté, Jean insiste sur l’exemplarité de la communauté chrétienne. Ce qui doit convertir le monde, c’est de voir que des gens très différents parviennent, dans la foi, à surmonter leurs différences pour se rejoindre dans l’unité. C’est l’unité de l’Eglise, la fraternité réelle des croyants dans leurs quartiers et notamment à l’Eucharistie du dimanche, qui apparaît comme le signe, la réalisation de l’amour du Fils pour son Père et pour les hommes.
Frère Raphaël Devillers, dominicain