Homélies et commentaires par fr. Laurent Mathelot OP

Résurgences

5ème dimanche – Année A – 9 février 2020 – Évangile de Matthieu 5, 13-16

ÉVANGILE DE MATTHIEU 5, 13-16

Les Béatitudes missionnaires

Dimanche passé, la fête de la Présentation nous a empêchés d’écouter l’évangile prévu pour le 4ème dimanche ordinaire, lequel précisément ouvrait la lecture du grand enseignement que Jésus, tel un nouveau Moïse, donne sur la montagne: le magnifique portique des huit Béatitudes:

“Heureux les pauvres en esprit, les doux, les assoiffés de justice, les miséricordieux, les artisans de paix, et même les persécutés…: le Royaume de Dieu est à eux”.

Lors de son baptême, désigné comme “son Fils” par Dieu et comblé de la force de son Esprit, Jésus, le Messie, ne vient pas changer la société, il n’opère aucune révolution par la violence, il n’entraîne pas des disciples d’élite dans la solitude. Il n’extermine ni les ennemis païens, ni les pervers, ni les impies, ni la souffrance, ni la mort. Il laisse chacun exercer son métier. Il ne propose ni des recettes de bien-être, ni des postures de prière, ni des liturgies nouvelles ni des pèlerinages.

Il propose à tous de se comporter comme lui le fait et c’est ainsi que d’emblée il lance son programme synthétisé dans les 8 Béatitudes que l’on pourrait traduire ainsi:

  • D’abord, à la base de tout, piétiner son orgueil et être humble de coeur.
  • Ne pas s’enliser dans le complexe de culpabilité ni se jucher au-dessus des autres.
  • Déployer son savoir-faire sans être obnubilé de le faire savoir pour s’en vanter.
  • Refréner la course à la possession et partager ses biens.
  • Se méfier terriblement de la passion de l’argent.
  • Ne pas se ronger de rancune mais pardonner de tout son coeur.
  • Désirer de toutes ses forces être juste c.à.d. s’ajuster à la Volonté de Dieu avec un coeur pur, simple, sans duplicité.
  • Travailler à arrêter les conflits, à réconcilier et à faire la paix à tous les niveaux.

Depuis le début ce beau programme a évidemment suscité rigolades, sarcasmes, scepticisme. L’expérience des siècles et de tous les peuples n’at-t-elle pas prouvé que pour être heureux il faut être riche et puissant, se faire respecter et même se faire craindre? Et qu’il y a des fautes impardonnables, que le mal est invincible, que les guerres éclateront toujours ?

C’est bien parce qu’il prévoyait ce mur d’incompréhension que Jésus a terminé par une 8ème Béatitude, qu’il a même redoublé par une 9ème:
“Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice…..Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, que l’on vous persécute, que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse…”

Et après cette mise en garde, il affirme à ceux qui veulent bien l’écouter le rôle immense qu’ils vont remplir dans l’histoire des hommes. Le petit texte évangélique d’aujourd’hui l’explique par deux paraboles.

1. LE SEL DE LA TERRE

“Vous êtes le sel de la terre. Si le sel se dénature, comment redeviendra-t-il du sel ? Il n’est plus bon à rien: on le jette dehors et les gens le piétinent”.

Le sel, on le sait, a deux fonctions: il donne du goût aux aliments et il les conserve – second rôle absolument indispensable dans les pays chauds de l’antiquité sans frigidaires ni glacières.

Eh bien, affirme Jésus, vous qui vous décidez à mettre en pratique mon programme, vous jouez le rôle du sel dans la société. Car il ne suffit pas de multiplier les progrès, d’améliorer les conditions d’existence, de hausser le niveau d’instruction ni même de guérir les maladies. Notre problème n’est pas seulement “comment mieux vivre” mais “pourquoi vivre”. Pas seulement augmenter les rendements mais règler les conflits. Pas seulement baisser le prix de l’essence pour rouler moins cher mais donner à la vie un sens et un prix.

Le Royaume n’est pas un avenir problématique, une utopie future, il est là tout de suite. “Vous êtes” proclame Jésus, c.à.d. pas vos discours, votre piété, votre religion. Vous en personne. Même si vous restez fragiles, si vous achoppez à vivre à hauteur des exigences de Jésus. Sa miséricorde ne vous manquera jamais, vos fautes vous rendront humbles et vous apprendront à pardonner aux autres.

En donnant du goût à l’existence, ceux et celles qui vivent les Béatitudes luttent conre la corruption et le défaitisme.

Et quel est le grand danger qui les menace ? S’affadir. “Se contenter d’une foi soft” dit le pape François. Que le sel devienne du talc. On a peur de se distinguer de l’entourage obsédé par l’avoir, les rendements, les voyages, les tendances, les modes, les croisières. La société moderne est si habile pour ridiculiser les béatitudes et prôner d’autres chemins du bonheur et de l’épanouissement. Osez être originaux, ne soyez pas comme les autres. “Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte….soyez dans joie…”

2. VOUS ETES LA LUMIERE DU MONDE

“ Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.
Et on n’allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau: on la met sur le lampadaire et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison.
De même, que votre lumière brille devant les hommes: alors en voyant ce que vous faites de bien, ils rendront gloire à votre Père qui est aux cieux”.

Les Béatitudes ne sont pas un texte à calligraphier, une poésie à réciter, un idéal admirable, une foi mijotée dans son for intérieur: elles tracent un programme de vie, elles balisent une route, une certaine manière de gérer son existence. Tant au plan communautaire (la ville) qu’au plan personnel (la lampe), les Béatitudes sont des actes qui se voient, se remarquent, s’entendent.

Dans la société, les progrès scientifiques ont fait reculer des ténèbres séculaires, ils ont mis dans nos mains des instruments ultra-performants donc des possibilités d’actions d’une ampleur inouïe. Mais qui nous placent devant des choix vitaux, des décisions cruciales pour l’avenir même de la planète. L’Eglise n’est pas la maîtresse qui sait tout mais si le monde aujourd’hui cherche à la faire taire, elle ne doit cesser d’éclairer par ses actes un avenir plein de menaces.

Dans la maison, la famille, l’homme des béatitudes ne brille pas comme une vedette, il souffre de l’incompréhension des siens mais il continue joyeusement à indiquer la façon de vie évangélique.

L’Evangile ne donne pas de réponse définitive, les béatitudes ne sont pas la clef de tous les problèmes mais elles éclairent.

Votre lumière doit briller devant les hommes, ordonne Jésus; il faut que les hommes voient ce que vous faites de bien. Les Béatitudes ne parlent pas de rites, de mystique, elles ne se ratatinent pas dans le secret de la conscience.
Elles sont actions donc, comme Jésus l’a annoncé, elles susciteront contradictions et hostilité de beaucoup. Toutefois d’autres au contraire seront interpelés, remettront en question leurs certitudes “mondaines” et peut-être, à travers ces curieux pratiquants, ils devineront la présence de Dieu. Non plus le Dieu de leurs légendes enfantines ni le juge impitoyable de leurs fautes. Mais le Père des cieux. Qui veut leur bonheur.

CONCLUSION

L’Eglise occidentale a longtemps été majoritaire. Par ses oeuvres, son réseau d’institutions scolaires et médicales, elle tenait une place respectée. Au risque de présenter une religion traditionnelle bercée par la régularité des cérémonies.

La situation présente est totalement retournée. L’Eglise minoritaire retouve sa position normale avec la mission impérieuse que son Seigneur lui a indiquée par ces deux petites paraboles d’aujourd’hui.
La vocation du sel est de se mêler au coeur des aliments pour leur donner du goût et les protéger contre la corruption.
La vocation de la lumière est de briller au coeur des ténèbres pour éviter que l’on ne s’égare, pour indiquer le chemin à suivre et permettre aux hommes de se reconnaître et de se rencontrer.

Ecarter le désespoir, le dégoût des choses, la fatalité, les tendances suicidaires et rendre l’espérance; permettre aux aveugles de discerner le chemin de la vérité dans les ténèbres du mal. Y a-t-il plus belle mission, devoir plus urgent ?

Les Béatitudes en acte donnent sens: sens de la vraie vie, sens du chemin vers l’autre, sens de la révélation du Dieu Père.

Frère Raphaël Devillers, dominicain


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